Brian Stock

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Si nous examinons les versions successives de la vie d'Augustin, nous n'arrivons pas à un seul récit homogène : nous découvrons à la place que l'idée que se fait Augustin des questions portant sur la révision de sa propre vie et sur la révision du récit que l'on en fait désigne quelque chose de commun. C'est une méthode littéraire au service de la philosophie.
Augustin différait également des penseurs précédents en ceci qu'il faisait de l'enquête sur son expérience subjective le fondement de l'examen de soi. Sa fidélité à la valeur de la subjectivité prenait pour appui philosophique l'argument du cogito. En réponse à l'idée sceptique selon laquelle se connaître soi-même est aussi problématique que connaître toute autre chose, il maintenait que la seule qu'il était sûr de savoir était le fait irréfutable de sa propre existence. Son intérêt pour la subjectivité le conduisit aussi à réévaluer le rôle que jouent les souvenirs personnels dans l'établissement de la continuité de la connaissance de soi. Le récit du progrès ou de l'éducation de l'âme, qui fut un thème commun à bon nombre de quêtes de la connaissance de soi après Platon, s'associa au récit d'une vie particulière au fur et à mesure que celle-ci avançait dans le temps historique, une vie qui suivait une forme philosophique traditionnelle en franchissant les étapes de l'incertitude et de la conversion.
Au sein de son interprétation de la notion d'une vie Augustin accordait un statut important à la rhétorique. Il abandonna la conviction antique selon laquelle une personne engagée dans une recherche philosophique devrait être capable d'atteindre un mode de vie satisfaisant grâce au seul usage de la raison; il adopta à sa place l'idée que la raison doit être renforcée par la persuasion. S'appuyant sur son propre récit, il maintint qu'aucun des problèmes fondamentaux de sa vie n'avait été résolu par un raisonnement philosophique puisque la possibilité d'un choix rationnel n'intervenait que lorsqu'une personne comme lui possédait un nombre de faits suffisant pour formuler un jugement objectif parmi plusieurs ligne de conduites possibles.

(...) l'individu qui narrait sa vie, comme un auteur qui écrivait un livre, racontait l'histoire à l'intérieur des limites des connaissances disponibles et non pas comme l'aurait racontée un narrateur omniscient. Augustin insinuait que la connaissance de soi et la représentation de soi ne pouvaient être dissociées. Il apporta ainsi une contribution au débat de longue date entre les approches théoriques et philosophiques de la connaissance de soi, qui remontait à l'Antidois d'Isocrate et à la critique de la rhétorique par Platon. Sa synthèse fut aussi importante que sa rénovation du genre littéraire de l'autobiographie et peut-être même durable en ce qui concerne son influence, comme en témoignent les adaptations de cette approche au style de confessions de Pétrarque, de Montaigne, de Descartes, de Pascal et de Coleridge, pour ne parler que de quelques auteurs connus qui ont suivi cette tradition mais n'ont pas écrit d'autobiographies de type formel. A travers une seule oeuvre, les Confessions, Augustin a transformé la pratique contemplative de l'Antiquité en pratique littéraire et contemplative pour l'époque moderne.

En ne révélant pas au lecteur si son dialogue se déroulait à l'intérieur ou à l'extérieur de son esprit, Augustin soulignait l'ambivalence des deux types de discours quand on les considère séparément l'un de l'autre. Par opposition aux nombreuses techniques d'instruction morale qui procèdent de l'extérieur, en insistant sur les exercices et les contraintes auxquels soumettre le corps, ce dialogue intérieur s'interrogeait sur sa propre intériorité : il rendait ainsi difficile de séparer le moi et sa configuration, le moi et son image, le moi et la description littéraire qu'il en donnait. Il est problématique aussi d'essayer de séparer chez le destinataire d'un tel échange les préoccupations littéraires et philosophiques. Dans les "Soliloques" par exemple, c'est à travers dialogues et récits que le lecteur s'achemine du livre l au début du livre ll, où il trouve précisément une anticipation du "cogito ergo sum" de Descartes, qui fournit la preuve abstraite du sujet fondée sur la certitude de la conscience de soi.

Attention ! Citation d'une note de lecture du livre de Brian Stock de Alain Giffard dont je donne le lien dans les commentaire ....................................................................................................................................."La première thèse, appuyée ici sur les travaux de Pierre Hadot, reconnaît une continuité avec la " connaissance de soi " et la méditation antique. En revanche, Brian Stock diffère explicitement de Michel Foucault sur l' " écriture de soi ". La différence ne porte pas sur l'idée, mais sur l'histoire de la pratique. Au fond, Stock ne croit pas que le soi, comme " quelque chose sur lequel il y a matière à écrire ", soit une tradition déjà établie à l'époque d'Augustin (Foucault) ; il pense plutôt que cette tradition débute avec Augustin, après Augustin."

(...) l'absence de bruit perçue par les sens, était la confirmation de cette présence, puisque les textes de la Bible, dans lesquels résidait la voix de l'être divin, étaient silencieux jusqu'au moment où ils étaient lus, et silencieux à nouveau dès que la lecture orale en était terminée et que la méditation avait commencé. Le processus de la lecture, outre le fait de fournir de la matière biblique à la contemplation, concentrait les sens de la vue et de l'ouïe sur un objet intérieur; cette concentration était l'état psychologique préalable à l'expérience méditative. Dans la prière du commencement du livre X des Confessions, Augustin dit : "(...) ma confession, mon Dieu, en ta présence se fait à toit dans le silence : car elle est silence de bruit, elle crie de sentiment"

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Le changement majeur ne tenait pas aux moyens de communication écrite, mais au lieu dominant de la croyance, qui passait de la philosophie à la théologie. Transformation capitale de la perspective intellectuelle, qui a laissé des traces sur de nombreux aspects de notre intérêt pour les textes. L'association entre écrit et vérité, développée dans la première pensée religieuse de l'Occident, nous paraît si naturelle, que son caractère inhabituel dans l'histoire a tendance à nous échapper. Peu de Grecs et de Romains cultivés de l'époque du paganisme impérial se seraient sentis à l'aise avec une vision apparemment aussi étroite.

l'apport significatif d'Augustin à cette tradition est d'avoir montré à ses lecteurs comment s'engager dans un examen d'eux-mêmes, degré par degré, grâce à leur mémoire personnelle. C'est l'une des raisons pour lesquelles il a reconfiguré l'histoire de sa vie en un récit de ses progrès selon ses étapes de lecture, se servant ainsi de la mémoire de sa vie comme d'un instrument de recherche éthique.

Dans l'antiquité tardive, on ne peut référer à l'adoption du codex aucun changement majeur de la doctrine chrétienne. La conception de l'écriture n'était pas non plus influencée par des habitudes de lecture (...) Le changement majeur ne tenait pas aux moyens de communication écrite, mais au lieu dominant de la croyance, qui passait de la philosophie à la théologie.

Ce mot de "soliloque", Augustin l'a inventé : il voulait signifier par là un type de dialogue se déroulant à l'intérieur de l'âme entre le moi et lui-même.