Accompagnée par Nemo Vachez
Rencontre animée par Mélanie Leblanc
Qu'elle publie de la poésie, des romans ou des pamphlets, Perrine le Querrec écrit par chocs successifs, fait parler les silences, travaille l'espace de la page, entraînant ses lecteurs dans des univers d'une grande singularité.
Elle propose ce soir une lecture musicale portant sur des extraits de deux recueils publiés en ce début d'année. Dans Warglyphes, l'écrivaine tente de décoder le langage de la guerre. Elle analyse sa grammaire, scrute ses manifestations, inventorie ses formes, parcourt son atlas. Tout autre programme avec La fille du chien : « le chien pour guide, quitter la ville. Apprendre une vie lente, foisonnante. Chaque jour en inventer la langue. »
À lire
Perrine le Querrec, Warglyphes, éditions Bruno Doucey, 2023 La fille du chien, éditions Les lisières, 2023.
+ Lire la suite
courir sur la mer
Je suis déjà parti tant de fois
sans songer au retour.
Je cours,
je chevauche
je navigue et divague
sur la vigueur des algues
afin de repousser toute immobilité
jusqu'à demain.
Jean-Yves Tayac
Si je suis ici, se répète-t-il, c’est parce que mes poèmes ressemblent au pollen que transporte le vent. On brûle mes livres, on m’interdit d’écrire, on enferme mon corps dans une prison, on me retient loin des lieux où ma parole se fait entendre, mais cela n’empêchera pas ma poésie d’atteindre d’autres rivages. On n’arrête pas le vent. Demain, lorsque la dictature tombera, comme tombe un fruit pourri de l’arbre, je serai à nouveau un homme libre… (pages 122-123)
-Poèmes de circonstance-
A mon corps
Ils ne m'auront ni par la faim ni par la peur
Et s'ils m'avaient un jour, ce serait mon squelette
Et s'ils faisaient un jour ma dernière toilette
Ils trouveraient changé mon corps, mais non mon coeur.
Mais nous serons bien un ou deux
Le monde usé jusqu'à la corde
découvre son envers hideux
Et l'univers se désaccorde
mais nous serons bien un ou deux
pour ne pas nous soucier des hordes
et pour lever encor les yeux. (p.56-57)
Jean Wahl (1888-1974)

Regardez-les, ces hommes et ces femmes qui marchent dans la nuit.
Ils avancent en colonne, sur une route qui leur esquinte la vie.
Ils ont le dos vouté par la peur d’être pris
Et dans leur tête,
Toujours,
Le brouhaha des pays incendiés.
Ils n’ont pas mis encore assez de distance entre eux et la terreur.
Ils entendent encore les coups frappés à leur porte,
Se souviennent des sursauts dans la nuit.
Regardez-les.
Colonne fragile d’hommes et de femmes
Qui avancent aux aguets,
Ils savent que tout est danger.
Les minutes passent mais les routes sont longues.
Les heures sont des jours et les jours des semaines.
Les rapaces les épient, nombreux.
Et leur tombent dessus,
Aux carrefours.
Ils les dépouillent de leurs nippes,
Leur soutirent leurs derniers billets.
Ils leur disent : « Encore »,
Et ils donnent encore.
Ils leur disent : « Plus ! »,
Et ils lèvent les yeux ne sachant plus que donner.
Misère et guenilles,
Enfants accrochés au bras qui refusent de parler,
Vieux parents ralentissant l’allure,
Qui laissent traîner derrière eux les mots d’une langue qu’ils seront contraints d’oublier.
Ils avancent,
Malgré tout,
Persévèrent
Parce qu’ils sont têtus.
Et un jour enfin,
Dans une gare,
Sur une grève,
Au bord d’une de nos routes,
Ils apparaissent.
Honte à ceux qui ne voient que guenilles.
Regardez bien.
Ils portent la lumière
De ceux qui luttent pour leur vie.
Et les dieux (s’il en existe encore)
Les habitent.
Alors dans la nuit,
D’un coup, il apparaît que nous avons de la chance si c’est vers nous qu’ils avancent.
La colonne s’approche,
Et ce qu’elle désigne en silence,
C’est l’endroit où la vie vaut d’être vécue.
Il y a des mots que nous apprendrons de leur bouche,
Des joies que nous trouverons dans leurs yeux.
Regardez-les,
Ils ne nous prennent rien.
Lorsqu’ils ouvrent les mains,
Ce n’est pas pour supplier,
C’est pour nous offrir
Le rêve d’Europe
Que nous avons oublié.
Laurent Gaudé
Ce matin-là, sur les bancs de l’école, Aimé est assis à côté d’un garçon plongé dans un livre. « Que lis-tu ? » lui demande-t-il. « Un livre sur nos ancêtres les Gaulois, répond le petit enfant nègre. Tu sais qu’ils avaient les cheveux blonds et les yeux bleus ? » Aimé, en colère, lui arrache le livre des mains : « Pauvre crétin ! Va te voir dans une glace ! »
LEVÉE EN MASSE
Ne serait-ce qu’une fois, si tu parlas de liberté,
Tes lèvres, pour l’avoir connue, en ont gardé le goût du sel,
Je t’en prie,
Par tous les mots qui ont approché l’espoir et qui tressaillent,
Sois celui qui marche sur la mer.
Donne-nous l’orage de demain.
Les hommes meurent sans connaître la joie.
Les pierres au gré des routes attendent la lévitation.
Si le bonheur n’est pas au monde nous partirons à sa rencontre.
Nous avons pour l’apprivoiser
les merveilleux manteaux de l’incendie.
Si ta vie s’endort,
Risque-la.
JEAN MALRIEU - Une ferveur brûlée, 1995.
Pour la plupart des Amérindiens - ceux que l'on surnomme au Québec des autochtones, c'est-à-dire littéralement ceux qui appartiennent à la terre - la nature n'est pas un décor, ni un bien immeuble que l'on peut vendre et exploiter. L'être humain - l'Innu est simplement un homme - est indissociablement lié à la terre, à chaque instant de sa vie. La forêt, les lacs et les rivières, les animaux qui les habitent, et les pierres, les sources, le vent et les nuages sont nos parents, nos alliés même lorsqu'ils nous tuent.
J.M.G. Le Clézio
Écrire de feu l'eau claire
la pente du sourcil
la traque du jaguar
Écrire d'un bond ta peau
le sable des lisières
l'aube des sentinelles
Écrire sans fin de rage
de peur et de brisures
écrire de bric et de broc
de soc et de pollen
Pourvu qu'en son passage
le vent te laisse nue
à la pointe des mots.
L’imagination est un cheval fou qui court sur la mer.
Qu’ils s’estiment heureux de n’avoir pas été abattus comme des chiens pour entrave au bon fonctionnement de l’État. Le nouvel ordre grec leur offre une occasion unique de changer. Yaros n’est pas un bagne mais un camp de purification sociale.
Un lieu de dératisation de l’esprit.
Un centre de décoloration idéologique. (page 48)