Alors oui, je suis différent. Je ne mange pas comme vous, je ne raisonne pas comme les autres, mais après tout, qu’est-ce que c’est que d’être normal ? Est-ce que manger du foie gras en ayant conscience de la torture infligée plusieurs fois par jour à des pauvres canards jusqu’à ce que leurs organes explosent, c’est normal ? Est-ce que boire chaque jour des sodas dont la composition chimique ultra agressive ne vous laisse le choix qu’entre diabète ou cancer, cela est normal ? Est-ce que prendre de l’alcool régulièrement, et même parfois en quantité, sous le prétexte fallacieux de la convivialité, quitte à devenir méchant, amnésique ou dangereux, c’est cela être normal ? Je ne parlerai pas de la cigarette ni des voitures qui peuvent rouler cent kilomètres-heure au-dessus des limitations, car tout cela est parfaitement normal ! Je pourrais continuer à prendre une infinité d’exemples tous plus incohérents les uns que les autres, que certains continueraient de penser que c’est moi qui ne suis pas normal. Ce monde est fou, ce monde est injuste, ce monde court à sa perte, mais ce monde est persuadé d’avoir raison, il est donc légitime de penser que ce sont les autres qui vont mal.
Voilà, je voulais vous parler de mon grand frère et je me rends compte que je parle encore de moi. Mais cela témoigne peut-être du fait que sans lui, je ne serais pas le Simon que je suis devenu. Grâce à lui, je pense, je me sens déjà moins différent, moins handicapé. Il est ma locomotive, celle du TER qui tarde toujours un peu à entrer en gare. Mais je crois bien pouvoir aussi lui être utile. Il a beaucoup de progrès à faire, lui aussi. Je compte bien le mettre en face de ses propres peurs, de ses angoisses ou même de ses névroses. En la matière, nombre d’êtres humains sont tout aussi handicapés que moi. Seulement, eux, ils ont la possibilité d’en guérir. Encore faut-il en prendre conscience et avoir le courage de s’y confronter. Croyez-moi, je me chargerai de m’assurer que mon frère Paul ne gâche pas cette chance de guérison. »
Quand vous pensez que j’avais une chance sur vingt mille d’être atteint par le syndrome de Williams - Beuren et que moi, Simon Renaud, j’en ai été capable sans trop d’efforts, avouez que j’ai quelques facilités ! Et ce n’est pas être arrogant que de dire que très peu d’enfants, ou plutôt de nouveau - nés, sont capables d’une telle prouesse.
Déjà, dans le ventre de ma maman, je me sentais à part, hors norme. J'étais plutôt fier de cela. Je ne savais pas alors que cette étiquette d’enfant différent que la société s'apprêtait à me coller deviendrai mon quotidien et celui de mes proches. Je ne me rendais surtout pas compte qu'elle me serait presque impossible à décoller, tant cette même société aime voir ses sujets convenablement classés, catégorisés , tracés . Telle une pièce de bœuf en barquette trônant fièrement dans son étal réfrigéré,
La maladie d’Alzheimer a cela de bon, c'est qu'elle me permettrait presque d'oublier que je vais mourrir
Chacun est en effet libre de donner ou non. La générosité n’a jamais été une obligation, seulement une qualité. Certains, comme vous, en sont semble-t-il dépourvus et, d’une certaine manière, je les plains pour cela. Mais la moindre des choses lorsque l’on est trop radin pour vouloir participer à un appel aux dons, eh bien, c’est de se faire tout petit, aussi petit que l’étroitesse de votre esprit et celle de votre cœur tout rabougri ! On en crève, de gens comme vous qui attendent que papa et maman touchent l’allocation de rentrée scolaire pour vous racheter un nouvel écran plat ou autre téléphone portable dernière génération ! Sauf que pour vous la verser, cette prime, il a bien fallu que d’autre la payent ! Sans solidarité, rien ne fonctionne dans ce monde. Un jour, je l’espère, vous en aurez besoin, et à ce moment-là seulement vous réaliserez combien nous sommes tous liés les uns aux autres. Mais il faut croire que le soleil de l’intelligence n’a pas encore brillé au-dessus de vos têtes ! Alors, tâchez au moins de ne pas faire de l’ombre aux autres ! »
Si à la lueur de nos préjugés aucune vérité n'est perceptible, à la lumière du cœur aucun secret ne nous résiste.
la solitude est une prison dont on ne s'évade qu'accompagné
La notion de causalité est un concept particulièrement responsabilisant. En effet, cela signifie qu’à chaque instant, je peux décider seul de la manière dont je veux construire mon avenir. Comme si, chaque seconde, nous avions le choix d’appuyer sur le bouton rouge de la « souffrance » ou sur le bouton vert du « bonheur ». Or, trop souvent, par méprise, aveuglés par nos émotions perturbatrices que sont la colère, la jalousie, la convoitise… nous prenons le mauvais chemin, empruntant la voie de la souffrance en pensant appuyer sur le bouton du bonheur. J’avais alors pris conscience que m’entêter à vouloir conquérir Juliette alors qu’elle avait fait un autre choix, développer de la jalousie au lieu de cultiver la bienveillance allait me nuire à moi, à eux, et générer en somme beaucoup de mal-être. Ayant fait le choix raisonné et calculé de la sagesse, il était alors possible, en effet, de faire naître « des fleurs de lotus » dans les cœurs de chacun et de faire fructifier l’énergie de l’amour et de la bonté.
Sous mes airs fragiles, décalé parfois, je jouis de la vie comme peu sont capables de le faire. En effet, notre société prône sans cesse de vivre l’instant présent pour goûter au bonheur véritable. Certains méditent des heures pour y parvenir maladroitement. Or, chez moi, c’est un état naturel auquel je n’ai pas le loisir de me soustraire. Alors, si c’est cela, vivre ici et maintenant, si c’est cela le bonheur, alors je crois bien être le plus heureux des hommes… »
Il ne suffit pas de se souvenir des gens que l'on a aimés, encore faut-il ne pas avoir oublié de le leur avoir dit.