Apprendre par cœur désigne l'appropriation par répétition. Seules les répétitions atteignent le cœur. Son rythme, lui aussi, naît de la répétition. La vie d'où s'est échappée toute répétition est sans rythme, sans mesure. Le rythme stabilise aussi le psychisme. Il donne une forme au temps, élément en soi instable. [...] A l'ère des émotions, des affects et des expériences qu'on ne peut répéter, la vie perd forme et rythme. Elle entre dans une fugitivité radicale.
L'absence de regard est coresponsable de la perte d'empathie à l'ère digitale. Dès son jeune âge, l'enfant se voit refuser le regard par sa personne d'attachement, qui a les yeux rivés à son smartphone. C'est précisément dans le regard de la mère que le petit enfant trouve appui, confirmation de soi et communauté. L'échange de regards construit la confiance originelle. L'absence de regard débouche sur une relation perturbée à soi-même et à l'autre.
La main est l'organe du travail et de l'action. Le doigt en revanche est l'organe du choix.
La contrainte constante de mobilité complique l'identification aux choses et aux lieux.
Le sujet performant, épuisé, dépressif, est en même temps usé par lui-même. Il est fatigué, épuisé de lui-même, de la guerre qu'il mène contre lui-même. Incapable de sortir de lui-même, d'être dehors, de se fier à autrui, au monde, il s'acharne sur lui-même, ce qui aboutit, paradoxalement, à creuser et vider le Soi. Le sujet s'use comme dans la roue le hamster qui tourne toujours plus vite sur elle-même. (p. 21)
Les informations et les données n'ont pas de profondeur. La pensée humaine est plus que calcul et résolution de problèmes. Elle éclaire et illumine le monde.
Les affections humaines sont remplacées par des évaluations et des likes et l'on ne fait plus, pour l'essentiel, que compter ses amis. La culture est transformée en pure marchandise.
Les vagues d'indignation sont très efficaces pour ce qui est de mobiliser et de monopoliser l'attention... La société de l'indignation est une société du scandale. Elle est dépourvue de contenance, de tenue. L'insoumission, l'hystérie et la rétivité qui caractérisent les vagues d'indignation n'autorisent aucune communication discrète, objective, aucun dialogue. (p. 17-18)
Nous préférons ajouter des sms plutôt que d'appeler : par écrit, nous sommes moins liés à l'autre. C'est ainsi que l'autre disparaît en tant que voix.
La psyché du sujet performant d'aujourd'hui se différencie de celle du sujet discipliné. Le Moi de Freud est, par exemple, un sujet discipliné bien connu. L'appareil psychique de Freud est un appareil contraignant répressif, avec ses règles et ses interdits. Il mets le sujet sous un joug et l'opprime. A l'instar de la société de la discipline, cet appareil psychique est comme noyauté par des murs, des seuils, des frontières et des postes frontières. La psychanalyse de Freud n'est de ce fait possible que dans une société répressive qui fonde son organisation sur la négativité de l'interdit et de la règle. Mais la société d'aujourd'hui est société de la performance qui ne cesse de se débarrasser de la négativité de l'interdit et de la règle et se voit comme une société de la liberté. Le verbe qui caractérise la société de la performance, n'est pas le freudien "devoir", c'est "pouvoir". Ce tournant social entraîne avec lui une restructuration de l'âme. Le sujet postmoderne performant possède une "tout autre psyché" que le sujet obéissant en vigueur dans la psychanalyse de Freud. L'appareil psychique de Freud est régi par la négation, le refoulement et la peur de l'infraction. Le Moi est un "lieu de l'angoisse". Le sujet performant postmoderne est dépourvu de négation. C'est un sujet d'affirmation. Or, si l'inconscient était nécessairement lié à la négativité de la négation et du refoulement, alors le sujet performant post-moderne n'aurait plus d'inconscient. Ce serait un Moi postfreudien. L'inconscient freudien n'est pas intemporel. C'est le produit de la société de la discipline, société dominée par la négativité des interdits et du refoulement mais n'est plus nôtre depuis longtemps.