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Citation de Cielvariable


– Tu… vas… bien ?
Pas la voix de Mario. Celle de Derek.
Le ton familier avait chassé sa panique initiale, mais
seulement une seconde. Je t’aime, Kylie. L’aveu que le jeune
homme lui avait fait moins d’un quart d’heure plus tôt
ressurgit brusquement dans son cerveau, accompagné
d’une nouvelle tempête affective, qui tournoya dans sa tête
et son coeur. Derek l’aimait. Mais elle, que ressentait-elle ?
Elle se déplaça légèrement, et son talon droit se détacha,
lui faisant perdre l’équilibre. Voilà comment était sa vie :
comme si elle avait perdu un talon et que son seul choix
était d’avancer en boitant.
– Qu’est-ce qui ne va pas ?
La voix du demi-Fae était teintée d’inquiétude.
Je vais bien. Les mots étaient perchés sur le bout de sa
langue, mais Kylie les avala. Derek pouvait lire en elle. Lui
mentir sur son état émotionnel ne servirait à rien. Alors,
elle se tourna pour lui faire face.
– Que fais-tu ici sans escorte ? lui demanda-t-il. Tu n’es
pas censée te balader toute seule, au cas où ce vampire
bizarre reviendrait.
Lorsqu’elle croisa le regard de Derek, elle constata que
l’anxiété faisait briller ses yeux. Elle savait que l’agitation
qu’elle y décelait était également la sienne. Quand elle
souffrait, lui aussi. Quand elle éprouvait de la joie, lui aussi.
Quand elle redoutait quelque chose, lui aussi. Vu son état
affectif de ces dernières minutes, il devait vivre un enfer.
Son torse se gonfla sous le T-shirt vert cendré. Il mit une
main sur son ventre musclé, aspirant de l’air dans ses
poumons. Ses cheveux châtain foncé étaient ébouriffés par
le vent et sa frange collait à son front, où perlait de la sueur.
L’espace d’une seconde, elle n’eut qu’une seule envie : tomber
dans ses bras et laisser son contact apaisant chasser
l’appréhension en elle.
– Est-ce… ce que j’ai dit ? demanda-t-il. Si oui… je le
retire. Je n’ai pas voulu te déchirer.
On ne pouvait pas retirer une déclaration d’amour,
pensa-t-elle. Pas si elle était sincère. Mais elle n’en dit rien.
– Ce n’est pas ce que tu as dit. (Puis elle s’aperçut que
cela aussi était un mensonge. Cet aveu semait la pagaille
dans ses sentiments.) Enfin, ce sont aussi d’autres choses.
– Lesquelles ? (Il haletait en parlant. Il la chercha du
regard, et elle vit les mouchetures or s’éclairer dans ses iris.)
Je sens que tu es terrifiée, et perdue, et…
– Mais je vais bien.
Elle remarqua de nouveau qu’il était à bout de souffle,
comme s’il avait parcouru deux kilomètres à la course pour
la rejoindre. Était-ce le cas ?
– Où étais-tu passé ?
Il aspira profondément une nouvelle bouffée d’oxygène.
– Dans mon bungalow.
Plus de deux kilomètres.
– Tu as ressenti mes émotions de si loin ?
– Oui.
Il fronça les sourcils, comme s’il espérait qu’elle ne lui
en voudrait pas. Elle n’aimait pas qu’il puisse déchiffrer ses
sentiments, mais elle ne lui en tenait pas rigueur. Il lui avait
confié une fois que s’il pouvait arrêter de les lire, il le ferait.
Elle le croyait.
– Tu n’avais pas dit que cela s’atténuait ? fit-elle. Cela
continue-t-il à te rendre fou ?
Son épaule gauche se releva de quelques centimètres.
– C’est encore très fort, mais pas aussi puissant qu’avant ;
je peux faire avec, maintenant que je…
Maintenant qu’il avait accepté de l’aimer. C’est ce qu’il
lui avait raconté. C’est pour cela que leur lien était devenu
si puissant. Sa poitrine s’alourdit de nouveau d’indécision.
Tant mieux si l’un d’entre eux pouvait le supporter. Parce
qu’elle, elle n’était pas sûre d’en être capable. Pas s’il
l’aimait. Pas avec les révélations qu’on lui avait faites. Du
moins pas en ce moment.
– Qu’est-ce qui ne va pas ?
Il se rapprocha. Si près qu’elle pouvait sentir l’odeur de
sa peau – une odeur de terre, véritable, réelle.
La tentation de se ruer dans ses bras la submergea. Elle
brûlait d’envie de ressentir le mouvement de sa poitrine qui
montait et redescendait quand il respirait, de laisser ce qui
appartenait au passé faire partie de l’avenir. Refermant ses
poings serrés, elle passa devant lui en boitant avec son talon
cassé, se posta devant un arbre et se laissa glisser par terre,
plus fraîche que la chaleur de l’air. Les brins d’herbe lui
chatouillèrent les jambes, mais elle les ignora.
Il n’attendit pas qu’elle l’invite et s’agenouilla à son côté.
Pas assez près pour la toucher, mais suffisamment pour
qu’elle en ressente l’envie.
– Donc, il n’y a pas que ça ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête, et la décision de se confier à lui sembla
déjà prise.
– Mon père m’est apparu. (Elle se mordit la lèvre.) Il
m’a expliqué ce que j’étais.
Derek eut l’air perplexe.
– Je croyais que c’était ce que tu attendais ?
– Oui, mais… il a affirmé que j’étais un caméléon.
Comme un lézard.
Ses sourcils s’arquèrent, puis il gloussa.
Elle n’apprécia pas sa candeur. Sa panique ressurgit,
trois fois plus forte. Elle avait voulu découvrir ce qu’elle
était afin que les autres l’acceptent, afin de s’intégrer, mais
si, en fin de compte, elle était quelqu’un d’anormal ?
– Je déteste les lézards ! Ils sont exactement comme les
serpents – des minuscules créatures aux yeux exorbités, qui
rampent sur la terre et qui avalent des petites bestioles.
(Elle contempla de nouveau le bois, imaginant une brigade
de lézards lui rendre son regard.) J’ai vu une émission, un
jour, qui montrait un lézard à longue langue qui s’enfilait
une araignée au ralenti. C’était dégoûtant !
Derek secoua la tête, toute trace d’humour disparaissant
de ses yeux.
– Je n’ai jamais entendu parler de lézards surnaturels.
En es-tu certaine ?
– Je ne suis sûre de rien, voilà ce qui est flippant. Ne
pas savoir. (Elle frissonna.) Sérieusement, il vaut mieux
boire du sang qu’avoir une langue comme ça et manger
des insectes.
– Peut-être qu’il s’est trompé. Tu as bien dit que les
fantômes avaient du mal à communiquer, non ?
– Au début, oui, mais à présent, les propos de mon père
sont tout à fait limpides.
Derek ne sembla pas convaincu.
– Mais d’après toi, qu’est-ce que c’est qu’un surnaturel
caméléon ? Il change de couleur ?
Kylie laissa ses paroles faire le tour de son cerveau.
– C’est peut-être ça ?
– Tu peux changer de couleur ?
Le doute apparut sur son visage.
– Non, mais si ça se trouve, je peux modifier ma configuration.
Comme mon grand-père et ma tante qui avaient
l’air humain. Et moi aussi, à l’instant présent.
– Ou alors ton père fait une rechute et il est tout simplement
confus. Parce que je n’ai jamais entendu parler de
surnaturels qui savaient changer leur configuration cérébrale.
– Et moi ? fit-elle. Et mon grand-père et ma tante ?
Il haussa les épaules.
– Holiday a affirmé que c’était sûrement un sorcier qui
avait jeté un sort sur ton grand-père et sur ta tante.
– Sur moi aussi ? demanda Kylie.
– Non, mais… d’accord, je n’ai pas la réponse. Et je sais
que tu es contrariée. Mais tu m’as dit que ton vrai grandpère
allait te rendre visite, non ? Je suis sûr qu’il t’expliquera
tout.
– Oui.
Elle mordit sa lèvre inférieure.
Derek la dévisagea.
– Autre chose ne va pas, n’est-ce pas ?
Elle soupira.
– Quand j’ai demandé à mon père ce que ça signifiait,
être un caméléon, il m’a répondu que nous le découvririons
ensemble.
– Et pourquoi est-ce que tu n’es pas contente ?
Kylie enfonça une porte ouverte.
– Il est mort, et il est limité dans ses visites terrestres.
Donc, ça signifie que je vais bientôt mourir ?
– Non, pas du tout, répliqua Derek.
Sa conviction rendit son ton plus grave.
Elle allait lui rétorquer qu’il ne pouvait pas en être sûr
à cent pour cent, mais comme elle voulait le croire, elle se
retint. Elle regarda fixement l’herbe et tâcha de s’apaiser,
sachant que son grand-père viendrait dans deux jours,
sachant qu’elle avait vendu la mèche. Et en effet, elle se
sentait légèrement mieux.
– Tu en as parlé à Holiday ?
Il se pencha et son épaule heurta la sienne. Sa chaleur,
son contact apaisant chassèrent une partie de son angoisse.
Elle secoua la tête.
– Pas encore. Burnett est avec elle dans son bureau.
Kylie n’avait toujours pas réfléchi à cette histoire de
fantôme. Si l’esprit de quelqu’un apparaissait devant vous
alors que cette personne n’était pas morte, qu’est-ce que
cela signifiait ? Les réponses éventuelles firent peu à peu
trembler son coeur.
– Je pense que cela a une certaine importance, dit-il.
– Je sais, mais…
– Il y a autre chose, n’est-ce pas ?
Elle leva les yeux. Lisait-il ses sentiments ou son esprit ?
– Problèmes de fantômes.
– Quel genre ?
De tous les résidents, Derek était le seul que le mot
« fantôme » ne faisait pas fuir.
– Cette personne n’est pas morte.
– Donc ce n’est pas un fantôme.
Derek semblait perdu. Kylie se mordit la lèvre.
– Oui… enfin… au début, il avait complètement l’aspect
d’un zombie – la peau qui pendille, des vers – puis il a
changé. Et son visage s’est transformé en celui de quelqu’un
que je connais.
– Comment est-ce possible ? s’enquit-il.
Elle marqua une pause.
– Je ne sais pas, c’est peut-être un tour.
– Ou pas. Tu ne crois pas que quelqu’un va mourir ?
Plus personne, avait-elle envie de hurler.
– Je ne sais pas.
Elle arracha quelques herbes.
– Qui est-ce ? demanda-t-il. Pas quelqu’un d’ici, n’est-ce
pas ?
Un poids pesa sur la poitrine de Kylie. Elle ne voulait
rien dire, de crainte que cela devienne réel.
– Je dois y réfléchir.
Derek blêmit.
– Oh, mince ! C’est moi ?
– Non.
Elle jeta les touffes d’herbe et les regarda tourbillonner
dans le vent. Quand elle reposa les yeux sur lui, elle sentit
qu’il lisait ses émotions, déchiffrait leur signification.
– Cette personne compte beaucoup pour toi. Lucas ?
Une voix grave et irritée se fit brusquement entendre.
– Quoi, Lucas ?
Kylie vit Lucas surgir entre les arbres. Ses yeux étaient
d’un orange furieux. La culpabilité la fit tressaillir une
seconde, puis elle la refoula. Elle ne faisait rien de mal.
– Rien, lâcha Derek, comme elle ne disait pas un mot.
(Il
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