Mon coeur est un soir d'été, dans une petite ville au bord de la mer. La brise souffle, la première étoile s'est levée. Il y a des filles aux fenêtres, des garçons sur la place, des gazes mauves sur les montagnes où se couche le soleil. La pleine lune monte sur la mer. Les amoureux soupirent. Et s'aiment plus encore.
Mon coeur est un ange de pierre à l'aile brisée.
J’ai pensé à vous. Il était exactement trois heures de l’après-midi quand j’ai pensé à vous. Je le sais parce que j’ai secoué la tête comme si j’étais pris de vertige, et regardé l’affichage horaire au milieu de l’avenue.
Avant de devenir aussi laid, aussi violent et sale que toi, je demande le divorce. A tes torts, conflictuellement. Je m'en vais sans retour : dire du mal de toi à la table la plus oubliée du coin le plus sombre et plein de mouches du bar le plus louche du plus affreux des faubourgs d'Asuncion, Paraguay.
Calamité publique
Je t’aime comme les bégonias tarentules aiment leurs congénères, comme les serpents s’aiment en s’enroulant lentement les uns très verts et d’autres sombres, le signe au front, lents lourds, avec cette intensité qui m’entoure, même si ça te foudroie ou qu’un coup au visage me fasse moins os et plus vérité, je t’aime.

Il est huit heures du soir ; il n’y a personne à la gare.
Non, ce n’est pas exact. Pour être précis, le TGV arrive ponctuellement à vingt heures et sept minutes - et il n’y a rien de plus ponctuel qu’un TGV peut-être l’omnibus suédois de Kungshambra, il y a si longtemps, est-ce que ça va continuer ainsi ? - , donc il est bien huit heures du soir, un peu plus, mais à peine. S’il importe toute fois de savoir l’heure à laquelle tout cela commence.
Supposons que j’aie trois, au maximum cinq minutes, pour attraper mon fourre-tout, bagage typique et minimal de celui qui se moque d’aller d’un endroit à l’autre sans cesse et sans halte, pour sauter du train et monter les escaliers du quai jusqu’au couloir de sortie, de ce pas hésitant des gens frais débarqués dans un lieu où ils ne sont jamais allés auparavant. Supposons aussi que j’aie regardé alentour, à la recherche de K ou de quelque autre personne complètement inconnue debout dans la gare déserte, tenant un écriteau avec mon nom ; qu’alors je me sois attardé un moment à cette pensée vague que tel est depuis toujours l’un de mes rêves : débarquer dans un egare déserte et inconnue pour rencontrer quelqu’un de pareillement inconnu portant un écriteau avec mon nom brandi bien haut, au-dessus des têtes de ceux qui partent ou arrivent, car telle est la gare que j’imagine, pleine de gens qui montent et descendent les escaliers, chargés de valises, venant de ou allant vers des lieux, d’autres gens ; et au-dessus de leurs têtes anonymes, en transit mon nom serait le seul inscrit en grandes lettres visibles, peut-être rouges, brandies bien haut, les lettres de mon nom.
J’ai rêvé que vous rêviez de moi. Ou le contraire ? Quoi qu’il en soit, peu importe : ne me réveillez pas, s’il vous plaît, je ne vous réveillerai pas. »
C’est vrai, je suis mort. Ce que vous voyez n’est qu’un revenant ; je suis revenu parce que je n’arrive pas à me libérer du jardin, je vais rester à y errer comme un egum (esprit)
Au delà des fenêtres, je retrouve ce moment de miel et de sang que Dieu a placé avec tant de brièveté, et de délicatesse, devant mes yeux depuis si longtemps incapables de voir : une possibilité d'amour. J'incline la tête, reconnaissant. Et si je tends la main, dans la poussière du dedans de moi, je peux aussi toucher autre chose. Cette petite épiphanie. Avec un corps et un visage. Que je parcours lentement, trait à trait, quand je suis seul et que j'ai peur. Alors je souris. Et cesse presque d'avoir faim.