nous sommes retournés au bois …
nous sommes retournés au bois
le bois n’était plus le même, à peine partis il fallait rentrer
alors les champignons sont apparus sous les feuilles
ils caressèrent les mains les nids de trompettes
noires et profondes dans le sous-bois
venant à tes yeux et à tes mains
(revenus au même emplacement aimantés) au pied de l’arbre
juste ce qu’il faut d’humidité et de lumière
la main nue va directement comme en pleine nuit
(seuls les champignons pouvaient te sortir du souvenir
brisé car tu tendais la main mais aussitôt la retirais)
un soupçon d’existence tout au fond, très enfoui
pour aller loin dans le souvenir
une ombre et la maison s’assombrit
Poésies métisses
OMBRE D’UN SEUL NUAGE
Quand les deux cerisiers se touchent
ils font de tout le regard un blanc
cela ne dure pas au printemps
un jour tout leur poids s’écroule
et les beaux pétales se resserrent
autour d’un goût de sel dans la bouche
au début de l’été
dans le voyage à Tôkyô
il fait déjà chaud
sensation qui fermente
de l’eau aux fleurs de cerisier salées
leurs feuillages donnent une ombre tendre
particulière aux cerisaies
ce que l’on ne sait jamais des autres
se referme avec le temps
Motoori Norinaga
attentif aux fleurs
a su passer un peigne à poux
― fines dents serrées pour saisir ―
dans le Genji aux indémêlables nœuds d’amour
tout commence avec les saisons
et les fruits cueillis sur l’arbre
au passage des oiseaux
le noyau reste accroché
dans la bouche
le halo entoure les cerisiers sauvages
petits et touffus
ombre d’un seul nuage.
extrait 9
(le pommier)
on ne peut rien pour la branche du pommier
tombée à la fin de l’hiver
au bas de l’eau
l’offrande de son bouquet de fleurs
blanche et rose
innocente à la boue
Ma vie a commencé dans une cour
Ma vie a commencé dans une cour
au-dessus d'une autre cour
une cour petite étroite
il n'y avait rien
ni plante ni soleil ni dimanche
il fallait lever haut la tête
(est-ce pour cela qu'elle a un grand cou)
pour voir le ciel pour me voir
on entrait dans cette cour en se recroquevillant
– redevenir petite –
enjamber une étroite fenêtre au-dessus
d'un escalier afin de ne pas se cogner ou tomber
et pour revenir faire un vol plané au-dessus des marches
– être acrobate –
dans les courants d’air glacés …
dans les courants d’air glacés du nord
comment savoir s’ils peinent ou aiment
et peut-être que pour eux
cela n’a pas d’importance
swifts
fuite de la fragile ligne de leurs vols
danse
(leur vol dans la danse du vent)
– pas un mot ne semble pouvoir s’ajuster à ce que l’on ressent –
ils sont là les swifts dans un ciel très sec
l’émotion qu’ils m’apportent disparaît sous ce trait de crayon
qui les immobilise
on glisse sur les choses rien n’accroche
(car alors) comment rendraient-elles
complice de ce qui a été mais n’est plus
– les swifts jouent avec le vent –
le sanglier a remonté le jardin…
le sanglier a remonté le jardin jusque devant la porte
il voulait entrer il a suivi le chemin familier il saignait
et pourtant a dépassé la grille
nous avons vu sa blessure nous ne pouvions lui ouvrir la porte
cette vie là n’a pas été longue je me suis enfui
maintenant il faut se cacher jusqu’à la nuit
la balle n’a fait qu’effleurer j’irai loin plus loin encore
vous savez que c’est moi mais vous ne me reconnaissez pas
quand les animaux à leur tour vous rejettent
ils n’ont aucun tort ils sont cette force
qui vous repousse déploie alors en soi
une violence à renverser et à se lancer en boule sur eux
extrait 2
( )
(les plantes ne viennent pas vers nous)
les plantes ne viennent pas vers nous
elles restent sur leur garde
nous ne les comprenons pas
il est si facile d’exercer une pression sur elles
mais c’est alors qu’on ne peut plus les atteindre
– approchez-vous et tout simplement nous vous accueillons –
parfois on ne les voit même pas
(personne ne nous les présente)
elles sont là très humbles
mais il suffit que l’on nous laisse seule avec elles
le dedans un peu retourné vers le dehors –
pour que l’on perçoive leur vie
entière à côté
elles savent parfois nous rappeler du fond de nous- mêmes
comme le peut un livre, une lettre sur une feuille de papier
(on est au fond des âges et le temps se soumet)
c’est une chienne de marécage…
c’est une chienne de marécage de boue mêlée
d’eau et de vies grouillantes c’est un marais
qu’une rame frappe et la chienne nage
la tête au ras de l’eau l’ouïe est une
ligne au-dessus de la ligne de l’eau
les narines au-dessus pour humer l’air
si l’eau tournoie l’emporte l’onde
retournera à l’immobilité
l’odeur de vase pénètre au fond du vêtement
et le tissu à la peau se soude
(qu’écrire redonne vie et ne la retire pas)
que reste-t-il
des sensations du corps
dans la course et l’eau des fleuves
la chienne —— s’en va
Les noms de lieux font rêver ‒
Si l’on était descendu
en traversant les déserts de neige, de cailloux
pour suivre cet homme allant tout droit vers nulle part
que serait-il arrivé ?
Dans la couverture de survie dorée
une sorte de déité
qu’on ne peut acheter
un lièvre bondit, une maison uniforme
avec quoi autour
où doit vivre un couple
les ciels gris, le froid
on se demande où s’accroche un peu d’espoir
on sait qu’il n’y a pas grand chose à attendre
mais seulement après avoir goûté
le rien qu’est l’existence
je pourrais dire, j’y vivrai.
extrait 1
(nul besoin de se cacher)
nul besoin de se cacher quand on n’existe pas plus
qu’une ortie écrasée
nous ne sommes rien on ne compte pas
(nous les plantes reléguées au rang de plantes
qui n’avons rien à dire pas d’être non plus
et qui recherchons inlassablement ce retrait cette mise à l’écart)
pas un regard ne se pose avec attention
les regards que l’on croise sont vides
est-ce que nous n’existons pas est-ce qu’ils ne voient pas
on prend notre place le rôle qu’on nous alloue
n’est pas le nôtre cette beauté n’est pas la nôtre
je ne sais pas ce que vous voyez
c’est alors que nous confions aux champignons notre mémoire
car au fond de la terre ils se souviennent