Elle aimait être surprise, voire déstabilisée d’où son attirance pour ce qui ne lui ressemblait pas. Volontairement, elle refusait toute réflexion matérialiste, ne se préoccupait pas de savoir ce que son partenaire faisait pour gagner sa vie, ou quelles étaient ses activités quand il n’était pas avec elle. Elle avait juste besoin d’avoir un bon feeling. Un regard bienveillant lui suffisait pour donner sa confiance sans limite, elle se fiait à son instinct. C’était sans doute les seuls moments où elle acceptait de lâcher prise. Quand la relation s’installait, la magie disparaissait, elle se faisait dévorer par les obligations sans intérêts du quotidien qu’en femme de caractère elle entendait gérer au mieux.
Après tout, elle ne voulait plus d’homme dans sa vie à plein temps mais elle ne disait pas non à une petite aventure sans lendemain. Son problème est qu’elle n’avait jamais eu d’histoire d’une nuit. Et elle avait peur de tomber amoureuse du premier homme qu’elle ramènerait dans son lit. Elle se sentait incapable de faire l’amour avec un homme sans éprouver de sentiments pour lui. Elle se reprochait d’être si fleur bleue. Il fallait qu’elle se trouve un bel homme qui n’aurait aucun goût commun avec elle. Ainsi, elle ne risquerait pas de tomber amoureuse. Ce serait juste une attirance physique.
L’amour relève d’un engagement plus profond. L’amour implique une philosophie de vie partagée, de nombreux points communs où se retrouver avec plaisir et sans effort, que ce soit le sexe, le sport, la culture. Mais l’amour suppose aussi un fort désir de construire un vrai projet ensemble qui s’inscrit dans la durée, que ce soit élever des enfants, se battre pour les mêmes idées, s’engager artistiquement ou politiquement… L’amour peut demander des efforts, parfois des sacrifices au nom de ce projet commun. Les amitiés amoureuses sont, elles, plus légères, elles n’existent que pour le plaisir.
En effet, pour apprécier la marche à pied, il fallait n’avoir aucun souci de rentabilité, soit le contraire du capitalisme. Ca lui rappelait une émission où elle avait entendu le témoignage d’un vieil agriculteur à qui on avait proposé, lorsqu’il était plus jeune, de se moderniser pour produire plus et s’agrandir pour produire plus et s’agrandir… Il avait envoyé promener les conseilleurs et vivait aujourd’hui comme il y avait cinquante ans et se disait très heureux. Il ne possédait rien mais vivait en harmonie avec la nature, au rythme des saisons, à son rythme.
Entre l’amitié et l’amour, on pouvait donc placer les amitiés amoureuses. Sansdoute était-ce pour cette raison que Gaspard avait placé la citation entre deux points d’interrogation. Il incitait ainsi le passant à s’interroger sur les notions d’amour et d’amitié, de désir et de sentiments.
En fait, ce qui sépare l’amour de l’amitié ce ne sont ni les baisers, ni les rapports charnels. Associer le désir systématiquement aux rapports amoureux est une vision très bourgeoise et religieuse des rapports humains.
C’est alors qu’elle reçu un second sms : « Adepte de l’hédonisme. ». Elle avait déjà entendu ce terme. Spontanément, elle l’associait à Michel Onfray qu’elle avait entendu par hasard, à plusieurs reprises, l’été précédent, sur France culture. C’était une sorte de philosophie du plaisir. Elle sentait bien qu’il y avait une différence avec l’épicurisme mais elle n’avait jamais pris la peine de vérifier. Elle se promit de contrôler le lendemain matin. Elle tenta à nouveau de s’endormir sans aucun résultat.
Liberté et respect étaient peut-être les deux mots clefs de la vie amoureuse. Mais que faire du sentiment de jalousie ? Est-ce que lorsqu’on assumait complètement ces relations multiples on était à l’abri du sentiment de jalousie ? Selon Gaspard, cela n’avait rien à voir. Et la jalousie relevait plus d’un problème de confiance en soi que d’un problème de confiance aux autres.
Les choses ne se passent pas toujours comme prévu. Elle devait s’y installer avec son ami, mais là encore le sort en avait décidé autrement. Enfin, le destin, elle n’y croyait pas vraiment. Elle avait juste pris un autre chemin, à la dernière minute. Ces derniers temps, sa vie prenait des libertés qu’elle ne maîtrisait pas toujours.
Elle avait bien conscience de mélanger différentes cultures arabes mais elle n’était pas spécialiste du sujet et vu de Brest, tout ça était un peu pareil. Elle s’assit par terre et commença à éplucher chaque journal. Evidemment, elle ne comprenait rien mais elle recherchait des formes, des harmonies. La langue devenait matière.
Laisse faire le temps. Mais sache que tu me plais beaucoup et que je serai toujours honnête avec toi. Nous sommes des adultes libres. Je ne t’appartiens pas et tu ne m’appartiens pas. Et manifestement, nous prenons un certain plaisir à être ensemble. Ce sont déjà des bases solides. Pour le reste, nous verrons bien.