Camille Wright

À l'instar de bien des Bretons, Morgan était très attaché à sa patrie, tenait l'alcool comme un pilier de bar russe et savait que le beurre doux était une hérésie qui mériterait de disparaître dans les limbes de l'oubli gastronomique.

Il se releva dans la foulée, ressentant le besoin irrépressible de s’éloigner de son roi et de briser ce climat insidieux qui s’imposait de plus en plus et menaçait de précipiter le cours des événements. Aldric se leva dans ce qui lui sembla être le même mouvement, annihilant sur l’instant toute volonté de maintenir une distance de sécurité entre eux. Là encore, il ne sut pas exactement qui de lui ou du roi fut le premier à empoigner l’autre pour le tirer à lui d’un geste aussi brusque qu’impérieux. Il retrouva la saveur de ses lèvres avec l’impression dérangeante d’être enfin entier, renouant avec les sensations brutes et intenses ressenties plus tôt à la rivière.

Sa seule ancre, son seul ilot de réconfort et de paix pendant toute la durée de l’opération avait été cette main ferme et fraîche qui, en lui écrasant les doigts, l’avait empêché de dériver.
— Majesté.
Cette voix.
Il avait bel et bien dû perdre conscience à un moment donné, puisqu’elle attira son esprit comme un fanal en pleine obscurité. Une part d’Aldric s’offusqua de le savoir ici, tandis que l’autre se félicitait de sa présence. Aucune des deux n’arrivait à se mettre d’accord sur les raisons qui avaient bien pu pousser son champion à rester à son chevet au lieu de laisser cette tâche au médecin royal.

Certains hommes étaient mal à l’aise avec l’idée même de coucher avec une femme enceinte et il était persuadé que son roi était de ceux-là. Il n’eut cependant pas le loisir de le pousser à avouer ses réticences que la porte par laquelle le bourreau s’était sauvé plus tôt s’ouvrait de nouveau sur la silhouette de ce dernier.
Son torse, barbouillé d’un sang épais et poisseux, s’élevait au rythme haché de sa respiration. Dans un ensemble parfait dont ils n’eurent pas même conscience, champion et roi se précipitèrent à la hauteur du maître espion qui eut en réponse mouvement de recul involontaire.

De Courtelle avait un pouvoir d’abstraction qui fascinait Aldric. Certes, le chevalier venait peu souvent au palais, puisqu’il s’entêtait à vivre sur son caillou improductif, mais comment avait-il pu seulement ne pas entendre ce qui se murmurait de lui ? Ce détachement s’était avéré aussi pratique que fascinant, puisque le roi avait pu s’en servir sans que son champion ne se braque et n’en devienne contrariant.