Avec Jean-Luc Fromental & des auteurs du catalogue
Entretien mené par Victor Macé de Lépinay
Dessins en direct par François Olislaeger
De Donald qu'il découvre à 4 ans, à Gemma Bovery, le roman graphique de Posy Simmonds paru en 2001, qui mènera à la création de Denoël Graphic, Jean-Luc Fromental racontera son éducation en BD. Une traversée-éclair d'un demi-siècle de figuration narrative, ponctuée des diverses révolutions auxquelles il s'est trouvé mêlé, comme lecteur d'abord, puis comme praticien.
Lors de l'entretien qui suivra, il évoquera les vingt ans d'existence de la collection, et sera rejoint par des auteurs présents dans la salle, Antonio Altarriba, Steven Appleby, Ugo Bienvenu, Joëlle Jolivet, Gérard Lo Monaco, Chantal Montellier, Posy Simmonds, Camille de Toledo, Marcelino Truong
par exemple !
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… ; le vingtième siècle, après tout, qu’est-ce, sinon trois générations qui ont cru à l’avenir jusqu’à ce que la foi dans la promesse reflue ? Thésée, c’est là que nous sommes apparus ; nous voulions, nous aussi, inventer l’avenir, mais le tremblement nous a pris…
(page 189)
je regarde, mon frère, la photographie de Messaoud
prise par Nissim
et je pense à l’Europe qui se barricade
je pense à celles et ceux qui se disent « souchiens »
qui s’inquiètent d’un « grand remplacement »,
d’une Croisade à l’envers
il y a, en France, en Allemagne, assez d’os et de sangs
de tous les coins de monde pour mener une action en justice afin
que tous les descendants de nos morts puissent y demeurer
et peut-être, finalement, est-ce cela que je cherche
en plus de relancer la vie
(page 214)
la ville où je m’installerai sera pour moi le futur
là-bas, ils ne viendront pas me chercher
et ce ils désignent ses morts, le frère, la mère, le père, l’écrin de leurs angoisses, la manière que le père, eut d’être présent en se détournant, en s’éloignant, en photographiant leur jeunesse, la vie d’avant, celle qu’il est en train d’enfouir en lui si loin qu’elle ne pourra plus, il l’espère, être excavée
(pages 35-36)
À celles et ceux que je n’ai pas connus
mes ancêtres invisibles
qui portèrent ce nom d’expulsé, de Toledo,
Espagnols, puis Ottomans,
reconnus comme Français, dénoncés comme Juifs
emportés tout au long de ce vingtième siècle désastreux
dont nous sommes les descendants
(page 248)
… ; on ne veut pas que la mort éclabousse, alors on fixe un récit, et ce récit arrive aux oreilles de la mère ; ce qu’elle ressent, elle ne peut le partager ; elle ne peut plus fuir comme elle a fait toute sa vie ; le suicide de son fils l’oblige à observer ce qu’elle a repoussé ; et maintenant, c’est trop tard, le fils est parti et elle dit
je voudrais mourir
(page 17)
ce serait si simple de dire que j’ai besoin de Dieu, que je ne suis
pas assez fort, pas assez moderne, pour croire à la solitude
et à l’absurdité de l’existence humaine
(page 243)
Thésée est dans un labyrinthe, Thésée tremble entre les corps gisants de celles et ceux qui l’ont précédé, Thésée entend le monstre, au loin, derrière une paroi, qui l’attend, mais il s’obstine à avancer non par courage, mais parce que son corps ne lui en laisse pas le choix ;
(page 173)
tandis que toi, tu as refoulé ce travail sur le passé, sur la vie intime, pour te vouer à l’Actualité, à la Haute Politique ; pour interviewer ces grands singes qui croient gouverner et tirent cette désespérante croissance vers de plus amples ruines…
(page 143)
Thésée cherche une issue hors du labyrinthe, il voudrait éviter le monstre ; face à toutes ces images qui sont répandues là, à ses pieds, il aimerait reprendre vie sans même les regarder ;
(page 67)
et la ville de l’Ouest, à cet instant, n’est plus habitable
il quitte son pays avec ses trois enfants
derrière lui, Paris est une nécropole
(page 23)