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Critiques de Carlos Fuentes (143)
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La campagne d'Amérique

Beaucoup de plaisir pour cette immersion dans La campagne d’Amérique et la découverte de l’auteur, Carlos Fuentes.

En compagnie de Baltasar Bustos, le principal protagoniste et de ses amis Xavier Dorrego et Manuel Varela, Manuel Varela le narrateur, nous entrons dans une fresque historique et romanesque.

L’histoire se déroule en 1810 dans le fracas de la lutte pour l’indépendance où l’Argentine œuvre pour sa libération du joug espagnol sous influence de guerres napoléoniennes et autres tentatives de récupérations, outre Manche.

Le déroulement de la conquête y est bien représentatif, d’ailleurs, nous avons de nombreux clins d’œil et autres corrélations avec de véritables personnages historiques, cependant que, notre élan nous porte davantage vers l’accompagnement romanesque du récit et ce pour plusieurs raisons.

Tandis que Baltasar Bustos est rousseauiste, Xavier Dorrego voltairien et notre conteur Manuel Varela, un fervent admirateur de Diderot, nous pouvons désormais les suivre, la trame du récit étant ainsi posée, dans leurs aspirations qui n’empêchent nullement l’amitié de converger entre les trois. Chacun suivant indépendamment sa route et se retrouvant pour quelques instants dans une correspondance suivie, ou relatant, pour ce qui nous préoccupe et en particulier, l’épopée de Baltasar.

Fils de José Antonio Bustos père et bien qu’attaché à l’illustre paternel vieillissant, autant qu’au signifiant de l’homme pour sa terre, il choisira la lutte pour l’indépendance, et donc la fuite, au contrario de son amour qui l’eût porté encore à rester, pour réintégrer ses origines, l’estancia, les bêtes et la vie ancestrale de la pampa.

On a l’impression que les mots se liquéfient et fondent en des nuances colorées, s’édifiant en une composition picturale où la réalité nous parvient, mais surtout celle de l’intérieur, comme dans cette image, volontairement isolée, pour l’exemple, où Baltasar tue pour la première fois. Il sent ce corps contre lui, tandis qu’une chaleur pareille à la sienne l’envahit, qui insuffle la vie et rappelle des images saugrenues, en apparence, l’eau qui boue... les pommes de terre qui sont longues à cuire... des images qui s’imposent très justement de façon simultanée, soit de la vie qui s’échappe dans ce rappel au quotidien, soit de l’extinction de la vie. Il se veut tueur de l’indien et non du combattant, car il veut se pénétrer de l'acte et de sa portée, sur lui, en tant qu’homme qui tue l’homme ; et puis, cet instant sublime où il regarde l’indien sans parvenir à le voir autrement qu’en un second lui-même, qu’il dépouillera ensuite, un instant nu en son néant, pour lui revêtir ses propres frusques : « grotesquement trop larges... »

Et par ailleurs, l’image des ces prêtres dont l’engagement dépasse celui de l'enracinement au seul ciel, pour l’amour et la liberté des hommes. Et ce regard un peu mixte ou presque équivalent sur la beauté des hommes et donc des femmes.

Ainsi et à plusieurs reprises, c'est dans une joie extrême que nous pouvons lire à travers l’impulsion artistique et le tracé au pinceau de Carlos Fuentes, l’expression d'un humanisme transposé dans une action guerrière où les hommes se perdent et se trouvent en même temps.

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Aura

Un jeune historien est engage par une vieille dame pour reecrire et editer les memoires qu'a laisse son mari, un illustre et oublie general mexicain. A une condition: qu'il habite chez elle tout le temps de son travail. Il recevra une par une, au fur et a mesure de l’avancee de sa besogne, les liasses des memoires. Trois liasses, gardees a clef dans un vieux bahut.





La maison s'avere etre a l'image de la vieille femme: obscure, lugubre, delabree, moribonde, silencieuse, peuplee seulement de couinements de rats, de la toux de la vieille et de quelques sons enigmatiques. Mais l’historien est attire par la niece de la vieille dame, Aura, lui fait la cour et couche avec elle. Trois rencontres amoureuses, une par liasse de papiers, la troisieme quand il aura fini de tout lire et de comprendre l'histoire du general et de sa veuve, la vieille dame. Mais comprendra-t-il avec qui fait-il l'amour? Enigme. Une enigme que Carlos Fuentes ne veut pas resoudre clairement. Chaque lecteur devra trouver sa propre solution.

Car a chaque rencontre amoureuse Aura semble differente. C'est d'abord une jeune fille un peu craintive, qui devient plus assuree a la deuxieme rencontre. Comme une femme mure? Son corps aussi semble avoir muri? Et a la troisieme… comme elle a change! Qu'est-elle devenue? Et lui? Comment l'aime-t-il? Pourquoi l'aime-t-il? A-t-il change? Qu’est-il devenu? Mais qui est-il? Et qui est-elle?





Tout cela est redige a la deuxieme personne du singulier. La voix narratrice s'adresse au personnage principal, donnant l'impression qu'elle le dirige et le conduit le long de l'intrigue. Et l'intrigue est assez simple, presque prevue d'avance par le lecteur, mais Fuentes reussit, en s'inspirant surement de maitres comme Henry James (Les papiers de Jeffrey Aspern), a mixer le gothique des decors, le romantique des situations, le mystere enrobant le tout; a questionner notre notion du temps, du passage du temps, insinuant la persistance du passe dans le present (dans l'histoire du Mexique?), fabulant sur la regenerescence des temps, du passe dans le present (le mythe de l'eternel retour? Au Mexique?), fabulant aussi sur le dedoublement de la personnalite (sur le dedoublement de personnes?).





La critique litteraire range Fuentes parmi les auteurs du “boom sud-americain" des annees 60. Dans ce petit opus il me semble plutot un continuateur qu'un novateur. Un eleve de ces autres sud-americains qui avaient avant lui joue avec le gothique et la pulverisation du temps: Horacio Quiroga, Borges, Rulfo. Un bon eleve. “Aura” porte avec aisance l'aureole des bonnes nouvelles gothiques.





P.S. Je ne sais si cette nouvelle a ete publiee separement en francais. Elle est en tous cas inclue (incluse? Il parait qu'incluse est plus juste) dans le recueil de Fuentes "Chants des aveugles", chez Gallimard.

Moi je l'ai lue en V. O.

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Apollon et les putains

Vicente Valera, en écoutant la voix hypocritement caressante de l’hôtesse de l’air, ne pas fumer, attacher sa ceinture, relever son siège, nous arrivons bientôt, désire un drame à l’atterrissage : « une star d’Hollywood a trouvé la mort au dessus de la baie d’Acapulco. »

Finalement, il en réchappe, sort dans l’air brulant , vague de feu contrastant avec le froid de l’avion, froid que le narrateur a aussi senti lorsqu’il a reçu un oscar du meilleur acteur( de seconde zone).



La gloire est froide : « ma main brûlante contre l’objet glacé ».



C’est dans la chaleur mexicaine que le mexicain Carlos Fuentes redécouvre son pays avec l’œil de son narrateur, Irlandais de Los Angeles ; celui-ci engage sept prostituées sur un voilier qu’il loue.

Les jeux de mots s’échangent, puisque, dit Fuentes, le langage sert plus à se défendre qu’à communiquer, à dissimuler plus qu’à révéler. Dans la situation échauffée, les mots ne tardent pas à revêtir une double, ou triple implication obscène :

« La canne à pêche fit l’objet de toutes les métaphores phalliques, l’hameçon se clitorisa, l’appât se prépuça. »

Prélude évidemment au passage à l’acte, avec les sept naines pas si naines que ça quant il s’agit de passer à l’action collective, mouillée, excitée, inventive et enflammée.

Vicente , pauvre Apollon de Celluloïd, est pompé, sucé, caressé, mordillé, pénétré par sept jeunes déchainées, il se livre à l’extase multipliée, sous le regard de Blanche-Neige, la marâtre.

Chaleur, ah, que calor, érection qui durcit, en l’attente de la jouissance suivante, et reste pourtant rigide, ah, mourir de plaisir…. Voilà il est mort, le froid de la mort l’étreint sous le soleil équatorial, malgré les mains de plus en plus chaudes des filles riant aux éclats de la situation.

Il est mort, mais conscient, et en premier lieu du désarroi de ces femmes qui ont fui leurs vies, ont dénié les douleurs de leur courte existence et essayé de s’étourdir en dansant nues.

Cette nouvelle fait partie du recueil l’Oranger, or Vicente sera enterré à côté du fils de l’une des naines près d’un oranger, petit soleil.

« Qui a bien pu le planter, se demande-t-il ?il y a combien de temps ? J’aimerai savoir quelle quantité d’histoire me protège désormais. Suis-je couché à l’ombre de l’histoire ?»

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La Desdichada

La cerveza coule à flot. Le rhum déverse mon verre. Le mezcal noie son ver. Boire un verre, lire un roman, partir au Mexique ce soir. Seul avec mes silences. Des silences qui peuvent se vouloir lourds, pourtant ils sont pleins de sens et d’amour.



Deux étudiants, littéraires et futurs écrivains, partagent un appartement. Deux copains avant tout. Jusqu’au jour où ils croisent le regard de La Desdichada, un mannequin de bois en vitrine. Tout bascule, tout bouscule. Poupée de cire, poupée sans son. Ils la ramènent chez eux, et un étrange manège de jeux et de séduction animent leurs soirées. C’est à qui aimera le plus cet objet qui, sous leurs yeux, prend forme humaine. Elle n’est plus mannequin, elle devient femme. Une soirée pour la présenter aux autres, la sortir dans un bal ou un restaurant. Etrange amour que ces deux se livrent jusqu’à se déchirer.



Ainsi s’achève ma seconde expérience « Carlos Fuentes », et comme pour « Apollon et les putains », mon esprit en ressort plutôt mitigé. Pas que je n’ai succombé au charme onirique de cette histoire d’amour hors des normes, mais justement au final, cette histoire me parait banale : deux hommes, une femme. Il y en a un de trop et même si la femme est silencieuse, même si la femme est faite de bois et de chevilles, ce n’est rien d’autres que ça : un triangle amoureux avec une personne de trop et la fin d’une amitié masculine. Une petite nouvelle bien trop sage pour satisfaire mon désir littéraire et passionné.
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En bonne compagnie - La chatte de ma mère

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement une contributrice et amie que j'aime beaucoup et qui m'a fait cadeau de ce livre. Malaura, je te dédie cette critique, grâce à toi j'ai découvert un auteur qui m'a fait craquer.



- En bonne compagnie -

Suite au décès de sa mère, Alejandro décide de quitter Paris pour aller vivre au Mexique, la terre natale de sa famille. Accueilli par ses deux tantes qui occupent une vieille maison dans Mexico, quelle ne sera pas la surprise du jeune homme quand il va découvrir que les deux femmes ne se parlent plus depuis des années et se partagent la maison en évitant de se côtoyer. Une seule règle sera imposée à Alejandro, toujours sortir par la porte de derrière et que personne ne sache si les tantes sont mortes ou vivantes, mais le jeune homme est encore loin de connaître l'ampleur du mystère qui règne dans la vieille bâtisse...



- La chatte de ma mère -

Leticia Lizardi, trente-cinq ans, vieille fille, vit toujours auprès de sa mère Emerita Labraz de Lizardi, femme acariâtre toujours flanquée d'Estrellita, sa chatte angora adorée. Entre Leticia et le félin c'est l'amour vache, cette bête sournoise a toujours l'air de cacher quelque chose mais la vieille adore ce petit monstre sur pattes. Ancrée dans une vie monotone, le destin de Leticia va un jour basculer quand elle va rencontrer Florencio Corona, parfait en tout et beau comme un dieu. Au fur et à mesure l'amour va naître entre l'apollon et la vieille fille, mais ce qui semblait idyllique au début va un jour tourner au cauchemar...



Ces deux nouvelles sont simplement géniales. Carlos Fuentes embarque son lecteur dans un univers fantastique et oppressant. Au fil des pages la tension monte crescendo et on se demande ce qui va arriver à nos protagonistes que la mort semble avoir pris pour cible. Les secrets de famille sont parfois lourds de conséquences et nos héros vont l'apprendre à leurs dépens, pris au piège dans une spirale infernale d'événements mystérieux et inexplicables. Ce qui m'a plus dans cette lecture, c'est la façon dont l'auteur finit ses récits. J'ai trouvé qu'il s'arrêtait pile au bon moment pour laisser l'imagination du lecteur tourner à plein régime, ce qui entraîne une foule de suppositions sur ce qu'il pourrait se passer si l'histoire continuait.

Si vous recherchez une lecture ou le dépaysement est garanti et le suspense encore présent même une fois que le livre est refermé, n'hésitez pas, lisez ce livre vous ne serez pas déçus.

Pour ma part, je vais découvrir avec plaisir d'autres titres de Carlos Fuentes vu que cette lecture m'a vraiment enchantée.

A lire !
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Aura

Je découvre Carlos Fuentes avec Aura une longue nouvelle de 1962 qui figure dans la remarquable anthologie « Histoires étranges et fantastiques d'Amérique Latine » ainsi que dans le recueil Chant d'aveugles.

Philippe Montero un jeune historien francophone sans le sou répond à une annonce lucrative qui semble étrangement faite pour lui. Il hésite puis se rend deux jours plus tard au 815 rue Donceles, dans l'ancien quartier colonial du centre de Mexico. Une voix féminine le guide impérativement dans un dédale lugubre et décrépit. Dans la pénombre, Consuelo Llorente, une vieille dame infirme l'attend. Elle désire l'engager pour éditer et publier les mémoires, écrits en français, de son défunt mari, l'un des généraux de Maximilien 1er, mort soixante ans plus tôt.. Initialement hésitant , Philippe change rapidement d'avis après avoir découvert Aura, la jeune et belle nièce de la veuve. Il commence à travailler sur les mémoires du Général, en particulier sur son amour pour la belle Consuelo, tout en fantasmant sur l'ensorcelante Aura aux yeux verts. Peu à peu, il perd la notion du temps...

J'ai bien aimé cette nouvelle très riche qui renouvelle le roman gothique classique et regorge de mythes et symboles féminins. J'ai pensé à Déméter/Perséphone et aussi à Circé, mais il y en a bien d'autres. La narration est à la deuxième personne et vous engage à entrer dans la tête et les obsessions de Philippe. Les descriptions sensorielles des lieux, de l'atmosphère toujours en corrélation avec son attirance et sa répulsion sont fameuses. La tension monte, Philippe lutte...

"L'homme chasse et se bat. La femme intrigue et rêve ; elle est la mère de la fantaisie, des dieux. Il a la seconde vision, les ailes qui lui permettent de voler vers l'infini du désir et de l' imagination... Les dieux sont comme les hommes : ils naissent et meurent sur la poitrine d'une femme…".

Jules Michelet (cité en exergue de la nouvelle)
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Terra nostra

«Tous les problèmes se ramènent au temps. Douleur extrême ou temps non orienté : voie de l'enfer ou du paradis. Perpétuité ou éternité.» (Simone Weil)



Divisé en trois grandes parties («Le Vieux Monde», «Le Nouveau Monde», «L'Autre Monde»), TERRA NOSTRA apparaîtrait d'emblée comme une vaste allégorie du caractère mortifère et destructeur de toute forme de pouvoir, temporel ou spirituel, aspirant à soumettre le monde à ses seules lois et prérogatives. Pouvoir incarné ici, notamment, par le personnage du «Seigneur», «Philippe». D'emblée, on pense à Philippe II d'Espagne, mais au vu de certains éléments disparates (par exemple, la reine Jeanne la Folle, grand-mère de Philippe II, y est présentée comme étant mère du "Seigneur"), et après une consultation rapide de Wikipedia, on se rendra compte qu'il pourrait en l'occurrence s'agir tout aussi bien du père et/ou du grand-père de Philippe II, Charles Quint et Philippe le Beau, les trois monarques ayant visiblement été condensés par l'auteur en un seul personnage.

Situé d'autre part approximativement, sur la frise chronologique, au moment charnière représenté par la découverte du Nouveau Monde, TERRA NOSTRA s'intéressera cependant moins au rayonnement de la branche habsbourgeoise espagnole et à l'avènement du Siècle d'or espagnol, qu'à la mise en évidence d'une dynamique symbolique, déjà présente à ce moment-là, qui conduirait inexorablement au déclin spectaculaire connu plus tard par la nation espagnole, et à l'origine de cette aura de morbidité qui allait hanter par la suite, à travers les siècles, l'image d'une Espagne ruinée, rétrograde et «fiancée à la mort». Refusant en revanche toute historicité ou réalisme à son entreprise littéraire, ainsi que toute linéarité chronologique des faits évoqués («la véritable histoire est circulaire et éternelle»), Fuentes propose une vision sui generis du cours même suivi par l'histoire par une approche iconoclaste et totalement libre des codes traditionnels du roman historique.



Quintessence du processus de «baroquisation» de la littérature latino-américaine initié à partir de années 50-60, TERRA NOSTRA (1975) est une oeuvre démesurée, hors gabarit, hyperbolique : un géant en papier (compacté en quelques 1.300 pages et en deux volumes dans son édition poche) affichant le dessein titanesque de proposer une interprétation nouvelle, eschatologique et hallucinante, de la marche de l'humanité.



Foisonnant et excessif, dédaléen, volontiers emphatique et surchargé, impossible -à l'instar de ces cathédrales qui seraient érigées plus tard dans le Nouveau Monde - à être embrassé d'un seul regard ou appréhendé par des canons traditionnels en matière de narration littéraire, encore moins par des critères relevant uniquement de l'intellect et de la raison pure, le monument bâti par Fuentes risque de décourager plus d'un lecteur se sentant légitimement dépassé par la majesté pléthorique de l'édifice, par une oeuvre se défiant en fin de compte de bon nombre des repères spatiaux et temporels, dont notre humble cogito se sert habituellement afin de s'orienter tant soit peu dans le chaos du réel (logos renversé, entre autres, par un succinct et récurrent «ce qui est pensé, est» - formule reprise à différents passages du roman).

Ainsi, suralimenté et craignant parfois la congestion face à l'imagination incontinente de l'auteur, déclinée par une verve tout aussi copieuse et luxuriante (et accommodée superbement, soit dit au passage, par l'excellent travail de traduction de Céline Zins!), le lecteur, bien qu'il soit à la base doté d'un estomac plus ou moins solide, à un moment ou à un autre, peu ou prou, accusera, je pense, inévitablement le coup..!



En effet, avec TERRA NOSTRA nous avons affaire à un nutri-score littéraire vraiment élevé, notamment du fait des très gras mystères qu'il essaie de pénétrer, ainsi que des bien consistantes spéculations philosophiques et métaphysiques qui entrent dans sa composition et en constituent, pour ainsi dire, la piècede résistance, à savoir : l'hypothèse d'une marche «circulaire» et d'une «simultanéité» du temps non-humain (avec une trajectoire époustouflante imprimée dès lors à «l'Ange de l'Histoire» tel que le décrivait Walter Benjamin!); du statut positif du mal et du mouvement perpétuel de création-destruction en oeuvre à l'échelle de l'univers; de la synchronicité entre évènements séparés dans l'espace-temps, de l'existence d'archétypes fondamentaux constitutifs à toute forme de civilisation et, enfin, d'une mémoire collective primordiale et commune à toute l'humanité.



« Une vie ne suffit pas. Il faut plusieurs existences pour faire une seule personne. Toute identité se nourrit d'autres identités. (…) Toute chose est dotée de l'aura de ce qu'elle fut et de l'aura de ce qu'elle sera quand elle aura disparu. Tu appartiens simultanément au présent, au passé et au futur : à l'épopée d'aujourd'hui, au mythe d'hier, à la liberté de demain. Nous sommes immortels : nous possédons plus de vie que notre propre mort, mais moins de temps que notre propre vie. (…) Un jour nous fûmes tous un. Aujourd'hui, nous sommes tous autres.»



Tout en emboîtant des épisodes racontés par différents narrateurs-chroniqueurs, avec des dénouements la plupart du temps suspendus, différés; en superposant temporalités, évènements et figures historiques (et faisant tourner en girouette ce pauvre Ange de Monsieur Benjamin..); en travestissant, en rendant perméables songe et réalité dans l'esprit des grands chefs-d'oeuvre de l'Art baroque; en fusionnant et en semant ambiguïtés et syncrétismes divers entre personnages, faits avérés et légendes, mythes et réalité; en entremêlant à ses apologues et à ses récits méandriques des oeuvres, des auteurs ou des personnages célèbres du patrimoine littéraire universel («L'Odyssée», «La Métamorphose» de Kafka, le «Théâtre de la Mémoire» de Giulio Camillo, Monsieur Ionesco en personne, «Don Juan», «le Quichotte», «Cuba Venegas, et j'en passe.. !),; en déclinant et en démultipliant l'identité de ses personnages au-delà de leur corporéité, à travers les âges et périodes historiques, puisant dans une sorte de fond généalogique commun à toute l'humanité, depuis la Rome de Tibère, l'Empire aztèque, jusqu'à un Paris étonnamment néo-médiéval au virage du XXIe siècle - TERRA NOSTRA échappe radicalement à tout essai de schématisation, de synthèse ou d'interprétation univoque.

Ce colosse littéraire («aux pieds d'argile», rajouteraient peut-être d'autres lecteurs assommés par les aspirations cyclopéennes et totalisantes du roman) ne pourrait en effet être savouré convenablement, me semble-t-il, qu'en essayant d'adhér à la logique même ayant présidé à sa naissance : «ne pas conter ce que nous savons mais dévoiler ce que nous ignorons», «ne pas décrire un lieu et une époque mais tous les autres lieux et temps contenus en eux», «ne pas se contenter de l'écoulement du successif quand la plume offre la plénitude du simultanée».



Un festin donc à long cours! Et que je ne conseillerais surtout pas aux amateurs de repas rapides, cette lecture devant comporter, à mon sens, des moments de pause et des temps de latence, autrement «telle la nature [qui] a horreur du vide et remplit le moindre espace laissé par la réalité», une telle «floraison instantanée, aussi pleine, risquerait de transformer sa jeunesse en maturité, et sa magnificence en cancer»…

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Apollon et les putains

Les vacances, faire le vide dans sa tête, se vider les bourses, et lire sur le pont d’un voilier, sous le soleil d’Acapulco. La vie est belle, je lis, j’écris, le soleil me brûle et j’ai convié sept putains à venir sur mon voilier. Tourner les pages, et se faire sucer en même temps. La maquerelle m’apporte un pina colada, quel délice pendant que je sodomise la numéro deux. Et au milieu de cette eau sans vague, le vague à l’âme, j’en garde mon âme d’enfant. Blanche-neige et les sept nains. Apollon et les sept putains. C’est une métaphore. Car si ces « naines » ont de belles et grandes jambes, des seins généreux, des culs appétissants, elles n’en sont pas moins besogneuses, à l’image de ses nains de jardins dans le conte pour grands enfants. Eh oh on rentre du boulot. Et question boulot, je suis servi, elles me servent, écartent les cuisses, me masturbent, me fellationnent, tout en prenant un bain de soleil, seules et perdues sur ce voilier sans vent et sans regard.



Qui n’a pas rêvé d’une croisière telle que Vince l’a organisé ? Chronique d’une partouze annoncée. Car, je n’en oublie pas mes références littéraires. Il n’y a pas que la sodomie dans la vie même dans une croisière, même sous le soleil mexicain à en attraper un coup de soleil sur le derrière, surtout avec un punch coco à la paille. Pendant que N°3 s’abreuve de mon foutre, doucement ma belle, savoure, c’est pas du lait de coco. Vince, il peut mourir heureux, cet acteur miteux qui a failli devenir mythique dans une série B. Vince, il peut mourir le sexe érigé vers les cieux, son âme flottant entre les effluves de ces délicieuses putains, pêcheuses amatrices, pécheresses aguerries.



Sans Carlos Fuentes et ma bouteille de Mezcal, je n’aurai imaginé un tel plaisir sur un voilier. Sept putes sur ma queue, fière et dure. Je réapprends à rêver, sous le soleil d’Acapulco. Tout me semble possible, même de croquer le ver au fond de ma bouteille. Le pouvoir des mots, ou est-ce celui de mon imagination qui sourit à l’idée de voir sept bouches s’évertuer à caresser, sucer, gober, mon magnifique glaive, fièrement dressé sous le soleil d’Acapulco. Un air trotte dans ma tête, The Love Boat, et sept culs qui dandinent devant moi, de haut en bas, le long de ma queue. J’aurai du faire acteur de porno, sous le soleil d’Acapulco. A moins que je ne me réveille, les rognons bouffés par ces sept putains livrées à elle-même, mon cœur ayant lâché d’une telle jouissance, sur cet océan du plaisir. La croisière ne m’amuse plus tout d’un coup, même sous le soleil d’Acapulco.
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En bonne compagnie - La chatte de ma mère

Pour terminer le Défi Lecture 2022, il me fallait trouver un auteur qui a les mêmes initiales que moi. J'avais d'abord pensé à Claire Favan, en espérant dégoter l'un de ses livres à la bibliothèque, jusqu'à ce que je trouve ce petit recueil de nouvelles tout au fond de ma pal. Ce petit livre de 128 pages rassemble deux nouvelles : "En bonne compagnie" et "La chatte de ma mère".



Toutes deux nous plongent dans une ambiance très particulière, inquiétante, étrange, mêlant l'irréel à la réalité, quelque peu ésotérique. Toutes deux se déroulent à Mexico et nous font rencontrer ce qu'on pourrait appeler des fantômes.



La première nouvelle, "En bonne compagnie", nous emmène dans une vieille maison délabrée où vivent deux vieilles sœurs qui accueillent leur neveu parisien après la mort de sa mère. Des phénomènes étranges se produisent, les deux vieilles dames sont énigmatiques, Alejandro (le neveu) se demande ce qu'il fait au milieu de ces deux folles et ne comprend plus rien. Moi aussi d'ailleurs... C'est tellement flou, tellement peu expliqué, que je n'ai rien compris. Je ne sais pas qui est finalement vivant ou mort, qui sont les fantômes. Et je ne parle pas de la fin, encore plus incompréhensible... En seulement 53 pages, j'ai réussi à me perdre totalement. Je ne suis pas passée à côté, je suis carrément tombée dans le ravin...



La seconde nouvelle, "La chatte de ma mère", m'a davantage plu. Je l'ai nettement mieux comprise aussi (ça joue !). Ici, nous nous retrouvons dans une vieille maison également, mais plus grande et un peu plus luxueuse, dans laquelle vivent Letitia, sa tyrannique de mère et sa chatte blanche détestable, ainsi que la "bonne à tout faire". Là encore, des phénomènes étranges se produisent, mais plus tard, sans qu'on s'y attende vraiment, ou nous y préparant du moins. Letitia se retrouve aux prises entre passé et présent, voit sa vie basculer du merveilleux au terrifiant. Il y a une chatte blanche aux yeux vairons, des rats, des ossements, une histoire de bûcher, des fantômes, etc... De quoi donner le frisson et créer une atmosphère poisseuse. Bien trop court et un peu mal exploité à mon sens, mais pas trop mal !



Pour résumer, une première histoire totalement incompréhensible et une seconde un peu plus appréciable. Je n'aime pas trop les nouvelles, alors forcément, je n'en ressors pas convaincue. C'est trop court (bien qu'heureusement pour "En bonne compagnie"...), ça va bien trop vite, ça manque de profondeur .



Ce livre aura au moins eu le mérite de me faire découvrir la plume de l'auteur, loin d'être désagréable, fine et élégante.

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Terra nostra

Terra Nostra est une incursion, une plongée dans un univers difficile à décrire, baroque, quelque part à mi-chemin entre le roman historique et l’expérimentation religieuse ou spirituelle, une réflexion sur le sort l’humanité, des erreurs du passé et de leurs conséquences sur le présent (et le futur). Bref, tout un défi. Ne s’y lance pas qui veut. D’autant plus que ça ne ressemble pas aux autres romans de l’auteur Carlos Fuentes. Bon, je n’ai pas lu toute son œuvre mais une bonne dizaine de romans.



Dans Terra Nostra, il n’y a pas une intrigue à proprement parler. Plusieurs intrigues, plus ou moins précises, qui s’entremêlent et transportent les lecteurs dans une aventure surréelle et déroutante. Pour s’y retrouver (ou l’apprécier à sa juste valeur), il faut une bonne culture. Un voyage temporel. L’Espagne du début du XVIe siècle. Et, incidemment, dans son rayon d’action. Il est question des Pays-Bas et du Nouveau monde. Plusieurs personnages sont reconnaissables. La Reine Folle (Jeanne la Folle), le Seigneur (Philippe le Beau et Philippe II réunis) et plusieurs autres : le moine, l’alguazil, etc. Ils sont légions, les personnages qui entrent et qui sortent de cette histoire.



On y traite donc de la conquête du Nouveau Monde, des grandes découvertes, de l’inquisition, de l’exécution des sorcières, de l’expulsion des Maures et des Juifs, etc. Toutefois, il ne s’agit pas d’un roman historique, loin de là, d’autant plus que certains événements sont distorsionnés, la chronologie semble inventive et certains personnages plus ou moins fidèle aux sources. C’est peut-être plus une réécriture fantaisiste de l’histoire. Bref, la fidélité historique se trouve davantage dans l’esprit de l’œuvre.



Aussi, le tout mêlé de considérations métaphysiques, morales, créant un futur possible. Donc, il faut un intérêt pour les échanges philosophiques, aimer discourir sur tout et rien. Il faut surtout une bonne concentration et une bonne patience pour suivre le fil des méandres labyrinthiques que prend cette histoire. À l’occasion, j’aime bien plonger dans ce type de bouquin qui fait travailler mon cerveau et mon imagination. Pendant ma lecture de Terra Nostra, je ne pouvais m’empêcher de faire des liens avec un autre bouquin semblable, Le bréviaire de Saint-Orphée, écrit par Szuthkeny.
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Ecrivains mexicains

Ce recueil bilingue (2009) contient trois nouvelles précédées d’une préface que j’ai trouvée confuse ( à l’image de la quatrième de couverture).



1. Les deux Hélène/Las dos Elenas de Carlos Fuentes (1928-2012).

Cette nouvelle originale est extraite du recueil Chant des aveugles (1964). C’est une variation sur le triangle amoureux et le thème du double. Le narrateur est Victor, un architecte élégant de Mexico. Sa belle mère apparemment traditionnelle se plaint de la conduite de sa fille Hélène qui défendait l’idée qu’une femme puisse aimer deux hommes, comme dans Jules et Jim. Hélène est une jeune femme moderne, sexy, fortement influencée par la mode pop et le cinéma d’auteur. Les deux époux cherchent celui ou celle qui complèteraient l’autre…La fin inattendue modifie notre première lecture. Cette nouvelle m’a donné bien envie de lire le recueil Chant des aveugles (qui contient aussi Aura).



2. L’obscur frère jumeau/El oscuro hermano gemelo de Sergio Pitol (1933-2018)

La nouvelle mêle essai et fiction. Pitol commence par analyser comment un auteur tisse une histoire et se faisant invente sous nos yeux une histoire. (Voir citation). J’aimerais lire d’autres contes de Pitol avant de me faire une opinion. Celui-ci m’a paru un peu trop savant.



3. Soyeuse, la petite/ Sedosa la nina d’Alejandro Rossi (1932-2009)

Je n’ai pas compris grand-chose à cette nouvelle
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Des orchidées au clair de lune

Deux femmes, deux sœurs (?) vivent ensemble de puis sept années, sept années qui semblent leur peser, à Venice, Californie. Qui sont -elles ? Elle sont nommées María et Dolores. Sont-elles donc les célèbres actrices mexicaines María Félix et Dolores del Río, qui seraient en train de décliner au point de sombrer dans une forme de sénilité, de maladie mentale ? Ou plutôt - ce que suggère Fuentes lorsqu'il précise qu'on pourrait faire jouer les deux rôles par des blondes grassouillettes, voire par des hommes - des actrices (?) probablement vieillissantes, de simples femmes, des êtres humains lambda qui se cherchent à travers celles qu'elles considèrent comme leurs idoles, et même leurs doubles ? Elle sont seules, se portent visiblement un amour sincère, mais elles ne savent pas qui elles sont, ni ne peuvent vivre l'une sans l'autre. Se présentera un fan venant dire son admiration à Dolores, ou plutôt pour s'accaparer Dolores. Son intervention précipitera une fin inéluctable.





Un peu long à mon goût. Certes, on comprend toute la détresse de ces deux femmes sans que nous-mêmes ne sachions qui elles sont, sinon des sortes de fantômes issues d'un mythe créé par le cinéma. Cinéma qui aura le dernier mot, qui ne peut finalement qu'avoir le dernier mot dans un monde clos complètement nourri, jusqu'à la nausée, du septième art.





Mais les dialogues de la pièce se répètent beaucoup, sans que les sujets discutés et sans cesse remis sur la table n'apportent plus de finesse, plus d'analyse psychologique à la situation désespérée des deux femmes. Du théâtre un peu déconcertant, ni versant réellement dans la psychologie, ni clairement dans la métaphore - une sorte d'entre-deux, qui m'aurait semblé plus accrocheur s'il avait vibré de plus d'intensité. Voilà, c'est le reproche que je formulerai : le désespoir de Dolores et María est palpable, mais trop délité, trop emphatique par moments. Pas suffisamment émouvant. Et pourtant certaines répliques aigres, acerbes, ainsi que le sujet, le sont.
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La Mort d'Artemio Cruz

Avec ce roman La mort d'Artemio Cruz, Carlos Fuentes s'est fixé une ambition qu'il a finalement accomplie : établir disait l'auteur "une correspondance étroite entre la vision du monde et l'expression littéraire".



D'une construction élaborée, jouant sur trois personnes verbales (je, tu, il) à la façon des palmiers sauvages de Faulkner, ce roman met en scène un nanti social et politique sur le point de mourir, issu de la classe ouvrière rurale, et qui doit sa fortune et son ascension sociale à la révolution mexicaine.

Mêlant agonie présente d'Artemio et passé de plus en plus lointain de façon non linéaire, l'auteur finit par fusionner le début et la fin de l'existence de son protagoniste, dans une sorte de cycle fermé et sans échappatoire, où le temps occidental côtoie le temps cyclique pré-hispanique.

Changeant subtilement de narrateur et de perspectives et en imposant une temporalité judicieusement diffractée, Carlos Fuentes déploie la biographie imaginaire d'un homme obsédé par le pouvoir et l'intérêt, mais aussi le renoncement à ses idéaux et sa déchéance morale, pour mieux pulvériser la rhétorique officielle de la révolution mexicaine en dénonçant une oligarchie qui a détourné les acquis révolutionnaires à son avantage.



Carlos Fuentes ne raconte pas la vie d'un arriviste : au-delà de l'évocation historique et politique, son objectif est de dévoiler de façon critique les pulsions silencieuses et les agitations secrètes d'un Mexique en pleine évolution, critique qui se concentrera ensuite dans les essais qui succèderont à ce roman. Fuentes, encore une fois, propose par l'imaginaire une ardente approche des vérités humaines.
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La plus limpide région

Un roman foisonnant, que La plus limpide région. Les critiques parlent d’un puzzle et je suis complètement en accord. Un roman déroutant, aussi. C’est que son auteur Carlos Fuentes propose une galerie de personnages impressionnante. J’ai déjà vu plus en termes de quantité mais le hic c’est que, même s’ils sont récurrents, ils n’ont pas tous la même importance ou présence, et la structure même du roman n’aide pas.



Mais je vais trop vite. Carlos Fuentes raconte la révolution mexicaine (celle du début du XXe siècle, pas celle contre l’Espagne). Une période troublée, coup d’état par-dessus coup d’état, mouvements populaires, contre une élite probablement corrompue, dans tous les cas incapable de faire face aux besoins ou aux revendications. Cette histoire est racontée du point de vue de plusieurs personnages, certains s’entrecroisant, d’autres pas. Il y a les riches propriétaires terriens (certains se réfugiant à l’étranger, rentrant pour tenter de récupérer leurs biens) (comme la famille de Ovando), d’autres, un peu moins riches, à la tête de petites haciendas (comme les Zamacona), des officiers, des bourgeois (comme Federico Robles, qui sert un peu de héros, du moins, celui qui peut le plus prétendre à ce rôle dans un roman), quelques étrangers venus tenter leur chance et plusieurs autres, qui représentent autant de points de vue différents. Certains sont des révolutionnaires convaincus, d’autres ne sont que des citoyens ordinaires qui ne savent pas de quel côté va pencher la balance et qui, de toute façon, doutent que leur situation s’améliore peu importe qui se trouve à la tête du pays. C’était très représentatif de la société de l’époque et des étrangers de toutes sortes qui venaient y tenter leur chance.



Dans l’édition Folio, il y a bien au début un tableau chronologique des événements évoqués, en deux colonnes, présentant les vrais, ceux s’étant réellement produits, puis ceux inventés concernant les personnages fictifs. Je croyais lire un squelette du roman. Eh bien, plus ou moins. Les événements entourant les personnages sont présentés chronologiquement mais le roman bouscule cet ordre. En effet, le tableau commence avec la naissance de Federico Robles mais le roman débute alors qu’il est adulte. Plusieurs des événements entre les deux sont présentés en flashback à différents moments (et pas dans l’ordre non plus). Pareillement pour d’autres personnages ou situation. Ainsi, certains des événement figurant dans le tableau ne sont qu’évoqués, peut-être au milieu du roman, peut-être vers la fin. Ça peut être mélangeant.



Conséquemment, se faire une tête de ce roman imposant peut s’avérer une expérience difficile. Chercher le fil conducteur… ouf. Tout un défi. Eh bien, justement, mettez ça de côté. La vraie vedette de ce roman, c’est la révolution mexicaine, le peuple, la ville.



La plus limpide région ne transforme pas la révolution en geste héroïque. Puisque des personnages récurrents évoluent dans un cercle intellectuel proche des socialistes, parfois, j’avais l’impression que l’auteur lui-même avait des affinités avec la gauche (je regrette de ne pas m’être informé là-dessus avant d’entamer ma lecture). Toutefois, c’était suffisamment honnête pour ne pas idéaliser ce mouvement et présenter les limites du socialisme et de ses représentants. Et des Mexicains en général. Bref, La plus limpide région alternaient constamment entre échanges philosophiques, peinture sociale, critique et condensé des grands événements touchant le pays au début du siècle dernier. Un grand roman intéressant mais que la forme peut rendre difficile d’accès. Heureusement, il y a suffisamment d’humour pour alléger le tout.
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La plus limpide région

Premier roman de Carlos Fuentes, véritable biographie de la ville de Mexico et du présent mexicain, ce livre, sorte de roman-collage, entame un parcours ironique dès son titre : la plus limpide région, emprunté à Alfonso Reyes qui avait repris l'expression aztèque de limpidité de l'air du plateau du Mexique. Or l'air y est pollué, la violence obscure, la corruption bien sombre et le désespoir aussi noir que la perdition.

Au chaos urbain de Mexico, Carlos Fuentes répond par une composition en kaléidoscope où l'espace et le temps sont fragmentés.

Pas de héros mais une histoire collective aboutissant à un être collectif, avec une interrogation majeure sur la trahison de la révolution mexicaine, mêlant les obsessions préhispaniques aux inquiétudes existentielles contemporaines. Volontiers polyphonique, le discours sur cette tour de Babel qu'est Mexico laisse transparaître l'antique Tenochtitlan, révélant un thème majeur dans toute l'oeuvre de Fuentes : les tensions. Tensions entre désir et objet, entre individu et collectivité, tension entre le mythe et l'histoire.
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Terra nostra

Plus qu'un livre, Terra Nostra est une expérience aux flots furieux. Oeuvre immense et complexe, Terra Nostra se révèle ambitieuse et embrasse quatre continents en couvrant presque deux mille ans d'histoire.

Si son pivot est l'Espagne et le règne de Philippe II autour desquels se déploie le récit, Carlos Fuentes ne cesse de nous projeter sur le fleuve du temps de sa source à sa fin, de l'empire romain à la fin du 20ème siècle, où les réitérations de l'Histoire sont permanentes jusqu'à pulvériser le sens linéaire du temps et l'ordre immuable des évènements.

Vieux Monde, Nouveau Monde : mondes liquides, consanguins et instables ; fantasmes et monstres sont engendrés par de fécondes réminiscences culturelles jusqu'à l'apparition du Seigneur, sorte de Philippe II au sang dégénéré, instaurant un ordre divin, tel son Escurial frigide et autoritaire, qui se veut immuable et unitaire, menacé par des hérétiques pluralistes, puis un carnaval de personnages, parfois sorcière brûlée réincarnée entremetteuse, ou chroniqueur manchot cervantesque, un dieu tutélaire aztèque témoin des premières explorations des conquistadores… Violence, folie collective, permanence des combats inondent l'aube tragique du deuxième millénaire. Carlos Fuentes dissèque avec furie les troubles d'un monde devenu moderne.



En peuplant son oeuvre d'aberrations historiques, Carlos Fuentes annonce une lecture à la fois parodique et visionnaire de l'Histoire d'où pourrait émerger une nouvelle réalité verbale, vérité occultée par le discours historique officiel (lecture initiée par de nombreux auteurs latino-américains, notamment les modernistes indigénistes) : chercher le souffle du devenir dans les tourbillons imaginaires ou réécrits du passé. Mémoire sourde et univoque bannie par l'auteur contre mémoire devenue enfin ouverte, féconde et plurielle. le tout au gré de références picturales (le Greco, Bosch…) pour mieux annoncer, dans un élan philosophique, l'imminence de l'apocalypse.



Puis l'Autre Monde. Prophétique, Terra Nostra intrique histoire catastrophique et avènement d'une utopie unitaire, création dans la création (littéraire) qui contiendrait le tout pluriel, incarnée par un Adam androgyne tel un retour kabbalistique au premier homme-femme dos contre dos de la tradition hébraïque, avant leur séparation première.

Carlos Fuentes boucle la boucle magistralement, nous laissant éreintés de tant d'inflorescences baroques et abasourdis de tant de spirales vertigineuses et de démesure littéraire.
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En bonne compagnie - La chatte de ma mère

Deux nouvelles, deux euros. Et l'occasion de découvrir l'écrivain mexicain Carlos Fuentes.



Dans la première histoire, "En bonne compagnie", un jeune homme qui vient de perdre sa mère s'en retourne au Mexique que ses parents avaient fui pour habiter Paris. A Mexico vivent les deux soeurs aînées de sa mère, deux vieilles filles bizarres et brouillées entre elles. Au fil du récit, la réalité semble se gondoler comme un caramel mou. Alejandro, élevé dans des principes cartésiens, sent sa raison vaciller peu à peu face aux mystères de la vieille maison familiale.

Ambiance gothique façon XIXème siècle avec cette nouvelle fantastique et au charme désuet. L'écriture est fine et l'auteur nous entraîne avec son personnage dans une spirale dont on ne sait si elle provient de la folie ou du surnaturel. Ce flou fait tout le sel de l'histoire. Et les tantines mexicaines valent le coup d'oeil... de l'autre côté des pages.



La seconde nouvelle, "La chatte de ma mère", met en scène quatre éléments féminins vivant à l'écart. Il y a la mère, vieille femme acariâtre, sa fille la narratrice, vieille fille de 35 ans, la bonne à tout faire d'origine indienne d'un flegme à faire pâlir d'envie le plus british des majordomes. Et Estrellita, chatte angora détestée de la narratrice et qui le lui rend bien. Comme pour la première nouvelle, mystère et fantastique s'invitent dans cette singulière maisonnée.

Outre l'occasion de lire une bonne histoire, Carlos Fuentes - et sa traductrice Céline Zins - m'ont permis de découvrir les mots "oligophrénie" et "halitueux", signifiant respectivement arriération mentale et moite. Pas forcément simple de les recaser dans une conversation du quotidien...



J'ai été conquise par ces deux récits différents quoique dans la veine gothique. Ils laissent entrevoir un univers aussi fascinant qu'inquiétant chez Carlos Fuentes. Je compte bien découvrir d'autres de ses ouvrages.
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La volonté et la fortune

"La volonté et la fortune" est un livre remarquable qui décrypte, entre autres sujets, les rapports entre l'argent et le pouvoir dans un Mexique corrompu et qui part à vau l'eau (cela ne vous rappelle rien ?) fin prêt pour une bonne vieille dictature de derrière les fagots. Mais ne devient pas dictateur qui veut et l'un des personnages de ce livre l'apprendra à ses dépens. Car c'est aussi un livre sur l'ambition, la volonté d'arriver par soi-même, et ce faisant, de devenir plus fort et plus malin que les autres. Deux jeunes gens, qui ne savent rien de leur origine feront ainsi leur apprentissage dans la vie, sous la protection d'un riche personnage dont ils ne savent rien. Fraternels au début puis devenus ennemis intimes à la fin (toujours les femmes que voulez-vous, tout au moins comme déclencheur de ces rivalités sournoisent qui se cachent sous l'apparence de l'amitié) ils revivront l'histoire d'Abel et de Caïn, sous l'égide d'un père retrouvé et redoutable, et de sa maîtresse aussi ambitieuse que dépourvue de scrupules.

Roman foisonnant au lyrisme parfois fatigant, roman d'une rare densité sur les rapports humains et les secrets de famille, ce texte, imprégné de culture plonge dans les racines de la corruption, des gueguerres des ego (qui savent toutefois se mettre en veille pour parvenir à leurs fins), de la manipulation et aussi de la décadence et de la perte de soi-même.

Un grand roman, pas toujours facile à lire et à la limite du grandiloquent genre tragédie grecque, mais passionnant et qui sonne toujours juste.

A découvrir de toute urgence pour qui veut comprendre le monde dans lequel nous vivons.
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En bonne compagnie - La chatte de ma mère

Deux nouvelles marquées du sceau de l’étrange et tirées du recueil « En inquiétante compagnie » par l’un des plus célèbres représentants de la littérature mexicaine, Carlos Fuentes.



Dans « En bonne compagnie », le jeune parisien Alejandro de la Guardia, part pour Mexico après le décès de sa mère, retrouver deux vieilles tantes fortunées. « Le Mexique, les tantes, la fortune. Voilà l’horizon qui le tentait ». Mais sur place Alejandro se rend compte que les deux vieilles dames sont vraiment très particulières…Les deux sœurs ne sortent jamais de leur demeure, ne s’adressent plus la parole et, pour ne jamais avoir à se croiser, se partagent en un temps très règlementé les parties communes de l’habitation, le matin pour Zenaida et le soir pour Serena. Dès son arrivée, Alejandro apprend qu’il ne devra jamais emprunter l’entrée principale pour gagner l’extérieur, afin que nul ne sache si les deux sœurs sont mortes ou vivantes…Au fil des jours, Alejandro se sent de plus en plus oppressé et mal à l’aise dans la vieille demeure. Cauchemars, hallucinations, incidents troublants le tourmentent jusqu’à l’obsession tandis que les vieilles tantes adoptent un comportement de plus en plus étrange et inquiétant. Quel mystère cachent-elles ? Quel secret morbide abritent-elles ?...



Dans « La chatte de ma mère », c’est Leticia Lizardi qui voit sa morne existence bouleversée par la rencontre d’un bel éphèbe brun, aussi charmeur que diabolique. A 35 ans, d’un caractère effacé et réservé, Leticia Lizardi vit auprès d’une mère bigote, imbue de sa créolité, tyrannique et odieuse, dont le passe-temps favori est de maltraiter verbalement sa servante noire Lupe en caressant Estrallita, sa chatte blanche, seul être vivant auquel elle porte un tant soit peu d’affection. Pour Leticia, les jours s’écoulent ainsi, moroses et ternes, dans l’attente où, à la mort de sa mère, elle touchera sa part d’héritage. L’arrivée fortuite de Florencio Corona dans son existence, sonne le glas de sa vie de vieille fille. Beau comme un Adonis, paré de toutes les qualités du Prince Charmant, Florencio incarne l’homme idéal dont toutes les femmes rêvent, généreux, gentil, intelligent…hum ! Trop beau pour être vrai, cet homme-là ! Et en effet, bientôt, d’étranges incidents se produisent. C’est d’abord la disparition de Lupe la servante, puis la mort brutale de Doña Emerita la mère, puis des rats qui envahissent la demeure, enfin un Prince Charmant qui se transforme en monstre poilu….N’y aurait-il pas quelque diablerie dans cette histoire ?...



Deux histoires au parfum d’insolite dans lesquelles Carlos Fuentes fait jaillir un fantastique inquiétant au sein d’une réalité bien installée, au départ banale et sans surprise.

Pour Alejandro et Leticia, comme pour le lecteur, la sensation d’angoisse s’installe peu à peu, montant crescendo en se doublant d’un sentiment d’incompréhension et de la certitude d’un danger imminent impossible à cerner, insaisissable et inexplicable.

Fantômes et revenants hantent ces contes gothiques où plane l’ombre maléfique de la damnation éternelle en représailles des erreurs commises par la famille ou en expiation des crimes historiques perpétrés par le passé.

Obsession, cauchemar et mort peuplent ces deux nouvelles de l’étrange où la frontière entre monde des vivants et autre-monde, aussi ténue qu’un voile de brume, crée un climat trouble et menaçant suscitant une attente et une curiosité dont la finalité n’est toutefois pas entièrement satisfaisante mais permet néanmoins d’appréhender une partie de l’univers fantaisiste de l’auteur mexicain. Un univers foisonnant où le bizarre est roi et se nourrit aussi bien d’évènements historiques, de mythes et légendes ou de la cité labyrinthique de Mexico.

Au final deux petites nouvelles agréables mais peut-être pas complètement révélatrices du talent du grand écrivain mexicain maintes fois primés, auteur de récits, d’essais et de très grands romans comme « La mort d’Artemio Cruz » ou « Terra Nostra ».

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Diane ou la chasseresse solitaire

Diane est actrice, belle, blonde, américaine, avec la candeur diaphane des filles venues d'un village de ploucs de l'Iowa, et en pleine crise cinématographique. le narrateur est mexicain à moustache, marié et en pleine crise conjugale, également écrivain célèbre et en pleine crise littéraire. Années 70, nuit de la Saint Sylvestre, les deux protagonistes se rencontrent et arrive ce qui doit arriver, que l'on soit en pleine crise ou pas. C'est la passion à la mexicaine qui normalement doit se terminer avec une rupture shakespearienne, parfois même wagnérienne : dans un cas il faut réviser son anglais et dans l'autre son allemand.

Carlos Fuentes fictionnalise dans ce roman sa brève et torride relation avec une star américaine de la nouvelle vague, à la coupe courte et blonde bien connue. L'auteur affirme à propos de ses deux personnages que leur potentiel sexuel fut infini. En effet, on le constate.

Fuentes a déclaré : "l'érotisme du corps est une illusion de la permanence de la chair" : il a pu le vérifier dans cette relation et son immanquable dissolution. Leur séparation et les dégâts sentimentaux furent immenses, d'un autre côté Diane était alcoolo, droguée, progressiste et déjà à moitié folle, obnubilée par les Black Panthers et les droits de l'homme. Carlos Fuentes est sans complaisance aucune avec l'actrice comme avec lui-même. (En vrai, l'actrice va quitter Carlos the big one pour une liaison passionnelle avec Clint Eastwood. Comme je la comprends : le beau Clint porte à merveille le poncho mexicain).



Si Fuentes est ici dans la pure lignée de ses personnages toujours écartelés entre leurs impossibles aspirations et un réel décevant, mouvant et médiocre, "allant jusqu'au bout du souvenir ou du mensonge" dit l'auteur à propos de son oeuvre, et son écriture toujours enchanteresse, son récit n'arrive pas à trouver le souffle épique et le réalisme symbolique de ses oeuvres précédentes. Fuentes est, je le répète, en crise littéraire. Les parties les plus intéressantes de Diane ou la chasseresse solitaire sont celles où Fuentes se transforme en essayiste lucide et analyse le système Hollywoodien à la solde du capitalisme et de sa propagande, la bien-pensance progressiste d'une jeunesse bourgeoise universitaire américaine dont le pays aide en sous-main les pires dictatures latino-américaines ou encore les mythes historiques (la vraie passion de Carlos Fuentes). L'auteur fait un parallèle assez judicieux entre la dissolution de la relation entre l'actrice et son narrateur, celle de leur vie respective et la dissolution du monde et de ses derniers idéaux.

Enfin, pour Carlos Fuentes, la littérature heureuse est celle qui réunit trois réalités au même moment : réalité matérielle, réalité subjective et réalité de la rencontre de son moi avec le monde. Cette dernière réalité dissoute dans ce livre par les fracas de cette relation érotique est effectivement une littérature malheureuse.
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