Bande annonce de la série Après toi le chaos (el desorden que dejas), adaptation du roman de Carlos Montero
C’est ton premier jour, profite de cette énergie, certes un peu ramollie par l’insomnie et l’allergie, et altérée par le café. Mais, si tu recherches bien en toi, ta joie de rencontrer les élèves et les collègues est intacte. Comme quand tu étais petite et que tu attendais en secret la rentrée des classes. Cette odeur de livres neufs était aussi merveilleuse que celle d’une baguette tout juste sortie du four. Les senteurs enivrantes n’ont pas leur pareil.
J’ai lu quelque part que les plus grandes causes de stress, par ordre décroissant, sont : la mort d’un être cher, une rupture amoureuse et un déménagement.
« Remplaçante jamais découragée ». J’adore mon travail, même si je ne peux pas rester aussi longtemps que je le voudrais avec les mêmes élèves. Ma vocation n’était pas précoce, bien au contraire : je ne m’étais jamais imaginée professeur. Mais, quand j’ai essayé, ça m’a rendue accro. Avec le temps, il m’arrivera peut-être comme à beaucoup de profs de me sentir lasse, de voir les années passer et moi vieillir alors qu’en face ils ont toujours le même âge, la même dynamique, et moi non. Mais pour l’heure cette perspective me semble difficile à croire.
Selon elle, tout ce qui dépasse notre âge, trente-quatre ans, est considéré comme vieux. D’où le fait que maintenant elle a décidé de se taper un ou deux mecs par semaine, pour profiter de sa dernière année avant la décadence. Je lui dis que je ne parle pas comme une vieille, je suis simplement avec Germán depuis ma deuxième année d’études. Déjà douze ans, un mariage, deux fausses couches, la mort de son père, celle de ma mère, quatre déménagements, ses deux ans et demi de chômage qui s’éternisent, même s’il refuse de reconnaître qu’il est inactif : il écrit, sauf qu’il n’écrit pas et que ne pas écrire le déprime. Il entre dans la dépression et en ressort avec une facilité déconcertante.
Je ne le lui ai pas pardonné. Je ne lui ai pas pardonné de n’avoir pas voulu me déranger, d’avoir cru devoir m’épargner sa maladie ou pensé que, comme j’étais fâchée, je n’allais pas venir quand elle aurait besoin de moi. Et je ne me le suis pas pardonné non plus. Je ne me suis pas pardonné d’être restée sur cette dispute si bête, dont je ne me rappelle pour ainsi dire plus la cause – enfin si, mais quelle importance – et de ne pas l’avoir appelée, de ne pas avoir essayé de lui tendre la main.
Et je maudis cette époque où nous avons décidé d'étaler notre intimité sur la toile. Nous en avons assez de nous faire rabâcher que le concept de vie privée s'est transformé avec les nouvelles technologies, ou qu'il s'est volatilisé, mais avant de le vivre soi-même on n'a pas conscience de tout ce que ça implique. Nous sommes coupables de partager chaque minute, chaque instant sur le Net. Et coupables aussi de ne pas protéger de manière plus sûre notre intimité dans notre ordinateur.
Il a peut-être raison. Je ne devrais peut-être pas me fermer à ce qui nous attend. Sa ville n’est pas mal, sa famille n’est pas mal, même certains de ses amis ne sont pas mal. Pourquoi ne serait-ce pas le début de quelque chose qu’on mérite ? Je veux me battre pour notre couple. Vraiment. Et, pour qu’il fonctionne, il ne suffit pas de tourner la page, d’oublier, je dois aussi m’impliquer entièrement. Je suis prête à le faire.Je le suis.
Chaque fois qu’on lui demande comment elle va, elle répond à la galicienne : « on fait aller ». Avec résignation, sans cesser d’essayer, en faisant contre mauvaise fortune bon cœur, mais pas trop non plus, parce que ce n’est pas le moment de plaisanter. Qu’on sache qu’on avance, qu’on fait des efforts, sans reculer, mais sans se voiler la face non plus. Aller ? On va. Avec joie ? Non, on fait aller.
Avec le petit Nanouk, j’ai appris des choses fondamentales, ou plutôt, j’ai retrouvé la valeur de l’essentiel. C’était révélateur, de découvrir avec lui toutes les merveilles qu’offre la vie ; pour lui, tout ce qui comptait, c’était jouer, manger, se promener. Rien d’autre, et ça suffisait. Le sentir profiter de chaque découverte, de chaque caresse, m’a poussée à réévaluer mes priorités.
C’est peut-être pour cette raison que nous sommes en couple depuis plus de douze ans. Parce que parfois on rit encore ensemble. Pourtant, depuis son père, j’ai chaque jour plus de mal à lui arracher un sourire. « Son père » signifiant « la mort de son père », bien sûr. Comme c’est étrange, les euphémismes et tous les efforts que nous faisons pour effacer la mort de la vie et du langage.