Pour une maison pauvre, je n’ai même pas d’image de maison. Tout ce que j’ai, c’est une porte qui grince et qui se referme sans l’aide de personne, grâce au ressort style porte de chalet. Je ne vois personne. Rien que des jambes dans des jeans trop longs et effilochés, et des pieds chaussés de vieilles espadrilles en simili plastique. Donc, grincement, jeans qui passent en quatrième vitesse, espadrilles en mystérieux matériau défraîchi, grincement, claquement de porte. C’est mon idée d’une maison pauvre. Je sais. Ça fait pitié.
— Bob, c’est le mari de la sœur de ma mère et ils ont deux enfants : Chloé, quatre ans, et, croyez-le ou non, Benji, deux ans. Benji Bolduc. Il pourrait déjà commencer à se plaindre, celui-là. Ou il va aller loin dans la vie. À suivre. Ce jour-là, c’est l’anniversaire de Bob. Il a trente-cinq ans. Hélène, sa femme, lui a préparé une fête. Les membres des deux familles sont invités avec toute leur marmaille. J’aurais pu me passer de la marmaille. Si au moins ils étaient civilisés. Mais non, une bande de sauvages en liberté. Oups ! Mais maintenant je pense que c’est correct une bande d’enfants sauvages dans une fête. On était tous des enfants sauvages, pas vrai ? Même que Pat n’a pas évolué beaucoup, je dirais.
Ce qui était sûr, c’est que j’avais été chanceux que cette mouche se trouve sur mon chemin. Mon jour de chance, on va dire.
Je les observais du haut de ma cachette. Au moins, j’avais fait diversion et Val en a profité pour s’éloigner un peu de moi. Elle n’avait pas l’air à son aise. Et Mathieu, il ne pouvait pas s’imaginer que lorsque Val et moi on s’embrassait, même un lion n’aurait pas pu nous interrompre. Surtout depuis l’épisode du téléphone. Alors une mouche… C’était peut-être ça qui avait mis Val mal à l’aise : que je sois dérangé et impatienté par une simple mouche.
J’étais devenu muet. Val et moi, on se regardait sans rien dire. Mon cerveau assimilait lentement la nouvelle. J’ai fermé les yeux, puis, les coudes sur les genoux, j’ai caché mon visage dans mes mains. Mon cauchemar était fini. J’avais peine à le croire.
Mes sentiments étaient confus. J’étais soulagé, délesté d’un poids énorme, mais en même temps, je me sentais coupable. Parce que oui, j’avais désiré qu’il meure. Qu’il disparaisse de ma vie, d’une manière ou d’une autre. Aussi, j’étais triste pour lui.
Elle essayait de m’éviter le plus possible en s’intéressant soudainement beaucoup à l’entraînement de Sam. Lui, tout heureux de pouvoir partager sa passion, ne s’en est pas privé. Il s’adressait aussi à moi, peut-être avec l’espoir de réveiller quelques souvenirs (je suis sportif aussi), rallumer quelques restes de braise, enfin n’importe quoi pour que je redevienne un peu moi-même, que je manifeste un enthousiasme quelconque. Mais les seuls signes d’intérêt de Mathieu étaient réservés à Val.
Je suis arrivé juste à temps pour me voir attablé avec le reste de la famille. Ma mère avait préparé du poulet barbecue. Tout le monde attendait d’être servi. Le psychopathe était penché sur son assiette. Il louchait de temps en temps du côté de Sam et de Sophie avec le sourire narquois que je lui connaissais bien. Ce sourire ne me disait rien qui vaille. Mes jambes n’arrêtaient pas de gigoter sous la table. Qu’est-ce que le maniaque mijotait ?
Des serpents. Partout dans la maison. Empilés les uns sur les autres. Petits. Énormes. Glissants et sifflants. Cris épouvantés de Sophie. Sam qui répond sur le même ton que sa chambre en est pleine aussi. Miko sur ma commode, terrifiée, le dos rond, le poil hérissé, les crocs sortis, feulant dans un ultime effort pour repousser l’adversaire.
Dans mon lit, la peur m’empêche presque de respirer.
Ils serpentent sur mon lit.
Déprimé, je me suis hâté de rentrer pour retrouver chaleur et amour. Je comprenais parfaitement pourquoi il voulait ma vie. J’étais sincèrement désolé pour lui.
Dans ma chambre, Mathieu était étendu sur mon lit, la main gauche sur le front, les yeux fermés. Il respirait doucement. Il dormait peut-être. J’aurais voulu m’approcher de moi. Je m’ennuyais de moi. Mais j’avais trop peur qu’il remarque ma présence.
J’ai compris la panique de Val. Josée n’est pas une personne gentille et je n’osais pas penser à ce qu’elle ferait si elle découvrait que Val transportait une mouche dans un contenant en plastique. Elle trouverait ça bizarre (et ce l’était, en effet) et irait raconter ça à tout le monde en ajoutant toutes sortes de détails inventés de toutes pièces.
— Tu parles à ton contenant en plastique ? a demandé Josée.
— Rituel de protection pendant ton sommeil : tu dois mélanger quelques gouttes d’huile de lavande dans de l’eau tiède du lavabo. Tu te frottes ensuite avec ce mélange dans cet ordre : la nuque, les épaules, le ventre et l’arrière des genoux. En faisant ça, tu dis : Dieu tout puissant, Toi qui es la lumière de la Lune, donne à cette eau le pouvoir de protection. Qu’elle me protège toute la nuit. Ainsi soit-il.