AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de hcdahlem


INCIPIT
C’est une nuit claire. Pas le genre de nuit qu’aurait choisie Louise pour s’en aller. Elle aurait préféré une nuit d’orage. Partir avec fracas.
Une brise se faufile dans l’appartement à travers la fenêtre entrouverte, apportant avec elle le parfum des chrysanthèmes. Les doigts esquissent le contour d’un crâne, des cheveux clairsemés, une nuque cassée. Les lignes du visage se dévoilent au rythme du fusain qui gratte la toile. Puis vient le corps, le ventre proéminent, élastique comme du caoutchouc. Tandis que la ville dort, le personnage s’extirpe de la feuille. Penseur aux yeux d’un noir profond, perçants comme ceux d’un chat, il prend vie.
Attiré par la lampe fixée au-dessus du chevalet, un moustique vient tournoyer dans son halo. Même gorgé de sang, il est ridiculement petit comparé aux grands moustiques d’eau qui dansaient au-dessus des étendues planes de la rivière de V. Billie observe l’insecte un moment avant de l’écraser d’un coup sec. Sur sa peau le sang se mélange à la poudre du fusain.
Elle se lève, va ouvrir l’autre fenêtre du salon pour créer un courant d’air. En bas la rue est déserte. Délestée de ses touristes et de ses endeuillés, la porte du Repos s’est refermée il y a quelques heures déjà. Seul perdure le bruit vague de la circulation du boulevard Ménilmontant. C’est là, à la nuit tombée, que Billie aimerait aller flâner le long des allées du Père-Lachaise, sous les corolles des arbres centenaires, cernée par les sifflements des merles sautillant entre les tombes. De sa fenêtre, les mausolées prennent toutes sortes de visages, devenant tour à tour des cabanes ou des corps de géants, recroquevillés.
Elle songe à l’attractivité qu’exerce sur elle ce lieu, depuis le premier jour où elle l’a découvert en visitant l’appartement et en admirant sa vue plongeante. C’était en hiver, la pâleur du matin éclairait le salon, faisait ressortir les taches d’humidité sur le plafond, les peintures écaillées et le parquet en mauvais état. Il faudrait tout remettre à neuf. Mais c’était compter sans le charme des murs en soupente, l’espace généreux qu’elle créerait en abattant la cloison qui coupait la pièce principale en deux, et surtout le ciel à perte de vue, les longues branches qui le traversaient, courant au-dessus des tapis de mousse et des caveaux. Billie s’était attardée sur cette vue, sillonnant mentalement les divisions du cimetière. Et son regard s’était arrêté sur elle : silhouette de pierre courbée au-dessus de l’une des tombes contre le mur d’enceinte. C’est parce que les arbres étaient dénudés et qu’ils offraient une vue dégagée qu’elle l’avait aperçue. En visitant l’appartement un jour d’été, sans doute l’aurait-elle ratée. À cet instant elle avait su qu’elle vivrait là.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}