Je suis tellement perdue dans mes pensées que je n’entends pas la porte du balcon qui s’ouvre derrière moi ni les pas qui s’avancent en ma direction. Je ne reviens à la réalité que lorsque, dans mon dos, deux bras enlacent ma taille avec douceur.
Depuis ma plus tendre enfance, j’ai été habituée aux rumeurs, aux paparazzis et au manque d’intimité inhérent au fait d’être la fille de deux personnalités publiques. Les industries hôtelières respectives de mes deux parents — aujourd’hui séparés — accueillent depuis des dizaines d’années les plus grandes fêtes, les plus impressionnantes innovations, les plus importants visiteurs, logés dans les plus luxueuses suites. Rapidement, leur nom est devenu très connu dans Paris. Mais c’est les frasques en tout genre de la famille Mercier qui en ont fait la cible préférée de la presse à scandale.
Son regard me passe au crible et je lève les yeux au ciel, amusée. Directrice artistique du journal, elle me traite ici comme elle le ferait n’importe où et notre complicité est connue de tous. Je sais pertinemment ce qu’elle vient faire dans mon bureau, mais je joue l’innocente, lui adressant un regard interrogateur. En vérité, j’ai pleinement conscience qu’à cette heure j’ai déjà une bonne demi-heure de retard au rendez-vous qu’elle m’a proposé — ou plutôt imposé — quelques jours auparavant.
Malgré moi, elle a toujours installé une certaine rivalité entre nous. Jalouse de mes quelques années de moins, de mon succès et de celui du pôle société, elle ne cesse de jouer des coudes pour prendre le devant de la scène. Dès ma prise de fonction, elle a lancé la rumeur dans les tabloïds que ma nomination au poste de rédactrice en chef n’était due qu’à mon nom et que mon richissime père avait versé un pot-de-vin conséquent pour me positionner au sommet.
« Voilà qui donne raison au dicton “L’argent ne fait pas le bonheur” ! L’empire immobilier Mercier construit par l’un des couples les plus puissants du pays semble en effet s’effondrer à cause de conflits internes. Selon les rumeurs, le divorce ainsi que la dissolution de la société seraient déjà en cours. La raison ? Une petite indiscrétion de Charles Mercier avec sa secrétaire qui aurait résulté en grossesse imprévue de cette dernière.
Ce jeu du chat et de la souris n’a que trop duré entre Ethan et moi. Et avant même de faire mon entrée ce soir, je savais pertinemment que c’est avec lui que je terminerais ma soirée. Sa virilité, son assurance autant que son intelligence me font vibrer. Sans parler de son corps taillé en V sur lequel je fantasme depuis trop longtemps à mon goût. Pendant quelques instants, je me délecte de ce baiser avant de m’écarter doucement.
Ce genre de coup bas m’aurait sans doute fait voir rouge et mon avis sur le fameux Ruben ne fait que se dégrader un peu plus. Visiblement, il se plaît à torturer son pauvre collègue qui n’ose rien dire. D’ailleurs, Gabriel monte sur la scène, trébuche sur une marche, et même contre sa volonté, il se retrouve à jouer le jeu des enchères. Sans autre issue possible, il avance sur le podium alors que l’hôte vante ses mérites.
L’univers sportif dans sa généralité ne m’a jamais spécialement attiré, mais la ligne éditoriale du magazine en particulier n’aide en rien. Cela fait deux ans que j’ai été embauché. Ce poste qui m’est apparu comme salvateur financièrement parlant ne m’a, au final, jamais aidé à m’épanouir. Incapable de m’intégrer réellement et de connecter avec l’équipe et l’esprit du média, les sujets m’étant confiés se font rares.
Jade est celle qui me soutient, qui me fait rire, celle qui me force à sortir de ma zone de confort tout en veillant à ne pas trop me mettre mal à l’aise. Elle est pétillante, positive, très franche et d’une confiance à toute épreuve. Elle est mon parfait opposé et pourtant elle reste celle qui me comprend le mieux. Ce soir, c’est d’ailleurs aisément qu’elle comprend que quelque chose m’occupe l’esprit.
Je n’aurais tout de même pas pu reprocher la conduite de mon père à la jeune femme qui — tout autant que moi — n’avait rien à voir avec cette histoire. Alors, on a appris à se connaître, à s’apprivoiser, à se soutenir et à grandir ensemble au milieu du chaos des conflits familiaux. Elle est, sans aucun doute, ma moitié dans ce monde de fous.