Catherine Cusset : au bonheur des dames
« Vous pensez que votre fils est quelqu’un de fiable ? »
La flèche atteint Hélène en plein cœur. Elle rit faiblement.
« C’est mon fils », dit-elle.
Tu es parfois sujet à des accès de dépression pendant lesquels ta vision du monde est d’un pessimisme absolu. C’est le cas en ce moment. Tu as hésité à me parler de cette humeur qui envahit ta vie, telle une marée noire et tue en toi tout désir, de ce vide qui t’engloutit comme des sables mouvants.
- Tu es content de ton séjour en Inde?
- Je suis content de rentrer. Il fait trop chaud, c'est sale. Je n'aime pas voyager.
La réponse n'était guère courtoise, mais le ton restait amical.
- Rien ne t'a plu vraiment?
- Ce n'est pas ça. C'est cette misère. ça me donne l'impression d'être un voyeur. Je trouve ça obscène;
- Pourquoi tu as accepté de venir?
Il haussa les épaules.
- Comme ça. Je ne connaissais pas l'Inde. Pour confirmer que je suis mieux chez moi..
C'est à cela que sert une famille . A ramener les siens qui partent à la dérive.
Dans les portraits de famille, d'abord papa : bon père, bon époux, la terreur des femmes de ménage, qui rage, enrage mais finit toujours par accepter ce qu'on lui demande. Il est l'homme sur qui on peut compter. Puis la maman, à laquelle est consacrée le chapitre suivant : une femme (juge) qui hait la famille, ne cesse de le clamer, déteste les fêtes, les repas à préparer, qui préfère son deuxième fils à ses quatre enfants, et que rien ne contente sinon une bonne note à l'école. Enfin, articulés autour de la narratrice (qui n'est autre que l'auteur), les frères, la sœur (tous brillants élèves), toute une famille qui se retrouve en Bretagne, à Ploumor, pour vivre tout simplement sa vie de famille, avec ses hauts et ses bas, ses humeurs, ses petites tragédies, ses bonheurs maritimes.
Tu vas mieux. Sans raison. Ton énergie revient avec le printemps. Quand tu te réveilles le matin, la journée ne t'apparaît plus comme un désert impossible à traverser.
(p. 221)
« Après t’être terré tout l’automne et l’hiver, tu t’éveilles avec le printemps. Tu commences à connaître ce rythme, le très haut suivi du très bas, les montagnes russes des émotions, le bonheur du printemps et de l’été suivi du désastre de l’automne et de l’hiver, suivi d’un nouveau printemps. Proust retrouve le temps, et toi la joie. Sans doute est-ce le rythme de la vie… »
Avoir seize ans, foncer dans la nuit calme sur une route déserte et sentir la brise tiède caresser vos épaules tout en enlaçant la taille d’un garçon qui vous a embrassée hier pour la première fois, la joue appuyée contre son dos : ce devait être la définition du bonheur.
David voulait qu'en entrant dans la salle les gens éprouvent un sentiment de vénération religieuse comme dans une cathédrale. La peinture devait englober le spectateur, afin qu'il se sente intuitivement en empathie avec l'oeuvre. Voilà pourquoi elle devait être aussi grande. Sa taille rappellerait à l'homme sa petitesse devant l'immensité. (p. 165)
Si tu aimes tant Proust, c'est pour son intuition fondamentale : la vie véritable est dans les fragments de temps qui échappent au temps. La fameuse madeleine n'est rien d'autre que la rencontre du présent et du passé qui permet de sortir de l'angoisse de la mort en n'étant ni dans le passé ni dans le présent mais entre les deux.
(p. 175)