J’ai un salon particulier, une grande salle de bains avec une baignoire et deux lavabos, une chambre pour mes invités, et une pièce où siège mon nid douillet. Les murs sont peinturlurés de rose fuchsia, quand ils ne sont pas entièrement tapissés de photos d’animaux récupérées dans des magazines ou des livres.
Une musique mélancolique tourne en boucle sur mon pick-up. Les mots de Baudelaire, Verlaine, m’accompagnent et bercent mon cerveau encombré de pensées qui cavalcadent et se bousculent sans répit. Je m’abandonne à pleurer, et j’adore ça… Je me souviens tout particulièrement d’un poème de Paul Verlaine :
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?...
Comprendre… Vous n’avez que ce mot-là dans la bouche, tous, depuis que je suis toute petite. Il fallait comprendre qu’on ne peut pas toucher à l’eau, à la belle et fuyante eau froide parce que cela mouille les dalles, à la terre parce que cela tache les robes. Il fallait comprendre qu’on ne doit pas manger tout à la fois, donner tout ce qu’on a dans ses poches au mendiant qu’on rencontre, courir, courir dans le vent jusqu’à ce qu’on tombe par terre et boire quand on a chaud et se baigner quand il est trop tôt ou trop tard, mais pas juste quand on en a envie ! Comprendre. Toujours comprendre. Moi, je ne veux pas comprendre. Je comprendrai quand je serai vieille. Si je deviens vieille. Pas maintenant…
Boulimie signifie « faim de bœuf ». Pour moi aussi, ce mot possède une certaine résonance. « Boulimie »… « boule », ce mot est horrible. J’imagine quelqu’un en forme de boule qui souffre de son état de boule, je me vois comme une boule qui roule et amasse tout sur son passage ! Alors qu’anorexie signifie absence de désir, perte d’appétit. Le corps se dissout derrière l’esprit : « Je suis un pur intellect et je méprise mon corps ! » Ça fait tout de suite beaucoup plus classe, c’est tout de suite beaucoup plus séduisant, contrairement à la boulimique dépendante de ce monde bassement matériel, être humain orgiaque dépensant ses journées à se remplir…
Pour se sentir exister et pallier au sentiment intérieur d’être incomplète, elle a un besoin frénétique de plaire. Ses relations sont instables, intenses, et alternent entre idéalisation excessive et dévalorisation de l’autre. Elle est particulièrement sensible à la manière dont on agit à son égard.
C’est vrai qu’à ma période d’addiction, je n’avais peur de rien, sinon de moi-même. Je n’avais aucune limite, aucun frein. Comme si je méprisais et ignorais les conséquences possibles de mes actes, jusqu’à ma propre mort. Tout m’était véritablement indifférent.
Parce que je ne tenais pas à moi.
Parce que j’étais absente.
Quand t’es boulimique, tu prends du poids, ou alors tu dois tout faire pour ne pas en prendre. Quand on mange une tonne on ne se sent pas bien, on peut vite être déprimé. Ça ne veut pas dire qu’on se sent super bien quand on ne mange pas… Il y a toujours un problème avec l’image du corps. Anorexique c’est quand même plus du contrôle, tu vois que t’as un corps qui se rapproche de ton idéal, et t’es plus fière de ne pas manger que de bouffer le placard. C’est mieux au niveau mental aussi. Vis-à-vis des autres t’es moins gênée. En plus, il y a tout le monde qui est grave mince.
L’anorexie comme la boulimie deviennent vite une drogue. Et quand l’addiction t’attrape, ce n’est plus uniquement le symptôme qu’il faut traiter, mais aussi la dépendance.
Quand tu manges, ça t’apaise, mais très vite tu en veux plus, tu augmentes ta dose, il te faut manger toujours plus et te faire vomir encore plus. Tu ne parviens jamais à te satisfaire, car le mal est ailleurs.
Se taire par peur. Se taire pour se protéger de soi-même et des autres. Lou aimerait parler, dire qu’elle est prisonnière de son langage muet, mais la honte bloque tout, elle ne peut rien dire, tant elle craint le regard de l’autre. Et si elle parlait s’ajouterait la culpabilité de l’entraîner dans sa souffrance.
Comme si on pouvait mourir de dire.
« J’aime beaucoup tes totems, mais je leur aurais coupé la tête », me propose un collectionneur.
Ces totems sont comme de longs phallus en terre noire, terminés par un gland transformé en une gueule de loup ou bien de cerf, ou encore en tête de mort… Pourquoi arracher ce gland ?
Mes sculptures intriguent, dérangent ou rencontrent un véritable engouement… Trois personnes se portent acquéreuses, Ferdinando, un ami réalisateur italien avec lequel j’ai tourné, Valérie, une copine comédienne, et mes parents, mes fidèles fans !
Je remonte toujours le fil de mon passé à travers les amours qui ont marqué ma vie. Ce sont elles qui la scandent et l’inscrivent dans le temps. Car les dates n’imprègnent pas mon cerveau.