Tous ces jeunes coqs qu'ont encore que des cocoricos maigrelets au fond du gosier et juste trois plumes à l'arrière-train, ils s'encanaillent, ils jouent les caïds, les bandes se toisent, ils se cognent tant que toute la cité se fige.
( p 16)
Comment ressort-on après 14 mois sous écrou ?
Ferm-t-on les portes chez soi ?
A-t-on envie de jeter ses clés, toutes les clés ?
Quand t'es blanc et que t'as du fric, même si t'as un casier, faut pas croire, tu vas pas si vite en prison. Mais si t'es pauvre, arabe ou n'importe quoi comme couleur, ta réputation elle sent mauvais, à la première bêtise on te flanque au trou. Elle est pas juste la justice.
[p16]
Hier j'étais de garde à la maison de retraite. C'est dur d'être debout toute la nuit. Les vieux faut les rassurer, les changer,les border comme des bébés. Y en a un, il dit que je suis son soleil de minuit, c'est tant gris ici.
( p 14)
Ils sont condamnés dedans. Nous, on est condamnées dehors.
Ne pas me plaindre, il a déjà bien de la peine, je vais pas lui rajouter la mienne. Et puis moi, j'ai la liberté
Le sens de la lame...J'en parlerais pas non plus
Mais alors, à part le chat, de quoi on va causer ensemble ?
L'important, c'est pas tant qu'il sorte du trou, c'est surtout qu'il y retourne pas.
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Les jours de bonne humeur, laisser venir ceux qui s'engouffrent l'air ahuri, supporter l'assaut des derniers, haletants et cramoisis. Répondre laconiquement aux bonjours lancés â la volée ou murmurés. Les jours de mauvaise humeur, sous prétexte de respecter l'horaire, feindre de fermer définitivement la porte, ignorer la salve des poings tambourinant contre la vitre, jouir sans les regarder des visages suppliants. Puis déclencher l'ouverture d'un geste magnanime et savourer la gratitude éperdue ou les yeux furibonds. Ne jamais ouvrir si, les nerfs â vif, on vocifère sur le trottoir. Être le seigneur du bus.
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Il a des barreaux à la fenêtre, moi, j'ai des béquilles dans la tête.
Il lui avait semblé ensuite, dans l'infini des jours qui avaient suivi, que le temps s'était détaché d'elle, désincarné du vivant, du réel, ou peut-être etait-ce elle qui s'était arrachée de sa trajectoire pour moins souffrir. Enfin, après l'amnésie, le déni, l'abattement, la prostration, l'accablement, elle s'était levée un matin se sentant capable d'admettre l'inconcevable, d'accueillir l'irrecevable.
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