
— Tu as été très courageuse, répétai-je à Jodie. Tu n’auras plus à subir ça. C’est terminé à présent.
— J’aurais mieux aimé un homme, dit-elle, sautillant à côté de moi.
— Quand ? Pour la visite médicale ? J’étais très étonnée. Assurément, après ce que Jodie avait souffert, qu’un homme pratique sur elle ce genre d’examen aurait dû être le dernier de ses souhaits !
— Pourquoi ?
— Les dames font plus mal que les hommes, parce qu’elles n’ont pas de zizi. Je m’arrêtai et me tournai vers elle alors que la signification de ses paroles m’apparaissait peu à peu.
— Je ne suis pas sûre de comprendre… Quelles dames ? Comment elles t’ont fait mal ? Elle fronça les sourcils tandis qu’elle cherchait dans son vocabulaire limité les mots pour expliquer.
— Ma maman et la tante Bell, il fallait qu’elles utilisent des choses parce qu’elles n’ont pas de zizi.
— Qu’elles utilisent des choses ? Sur tes organes génitaux, tu veux dire ?
— Oui. Comme les docteurs. Elles m’enfonçaient des choses à l’intérieur. J’étais pétrifiée. Oh non, par pitié ! Quelles atrocités supplémentaires cette enfant pouvait-elle avoir endurées ?
— Quelles choses, Jodie ?
— Des cuillères, comme celle que le docteur a mise dans ma bouche. Sauf qu’elles étaient en argent.
— Ta maman et ta tante Bell mettaient une cuillère en métal à l’intérieur de tes organes génitaux, c’est ça ? Elle hocha la tête.
— C’était froid. Papa la chauffait dans ses mains d’abord. Il était gentil de temps en temps, hein, Cathy ? C’en était trop. Je ne pouvais plus cacher ma colère contre les gens qui lui avaient infligé ce martyre.
— Non, Jodie, il n’était pas gentil. Il était vicieux. Ce sont des brutes. Tous autant qu’ils sont. J’espère qu’ils croupiront en enfer !
— Cuisiner ! Nettoyer ! Et vous, fichus gamins, dans mes pattes toute la journée ! Je me demande pourquoi je vous ai eus. Vous êtes des emmerdeurs ! Je voyais bien qu’elle jouait un rôle, qu’elle répétait sans doute des propos qu’avait tenus sa mère, et pourtant je sentais qu’il y avait là un fond de vérité. Aînée des trois enfants, elle avait probablement veillé sur son frère et sa sœur quand ses parents étaient trop ivres ou drogués pour s’occuper d’eux. Les raisons pour lesquelles nous vivions cette expérience me revinrent à l’esprit, et le bref aperçu que Jodie m’avait donné de son passé m’aida à rassembler mon énergie pour affronter l’humeur instable et les exigences continuelles qui ne manqueraient pas de se présenter.
On ne peut demeurer triste et en colère toute sa vie. Il arrive un moment ou il faut mettre le passé derrière soi, lâcher prise et avancer.
Les assistants familiaux s'analysent beaucoup et sont souvent assaillis par le doute, plus encore qu'un parent qui élève ses propres enfants. Car, en fin de compte, quelle plus grande responsabilité que d'élever un enfant qui n'est pas le sien ?
Je l'enlaçai et l'attirai contre moi. J'aurais aimé qu'il soit en mon pouvoir d'extirper la douleur et de la guérir.
- Ne te tourmente pas, Jodie. Tu ne crains plus rien avec moi. Ca ne se reproduira pas, je te le promets.
Face à un problème, je crois profondément qu'il vaut mieux le connaître et le traiter. On ne peut pas traiter quelque chose qu'on ne connaît pas. L' ignorance, à mes yeux, ne conduit pas au bonheur.
« Accueillir un enfant qui ne peut pas vivre avec sa famille naturelle, c'est lui donner une vie de famille aussi normale que possible. Certains enfants ont affreusement souffert, et vous vous trouvez souvent en train de pleurer avec eux. Mais si, quand ils vous quittent, vous avez réussi à les aider un tant soit peu et à leur apporter un peu, alors la satisfaction est énorme. »
Les enfants placés n’arrivent pas chez vous candides et souriants. Ils ont tendance à être renfermés à cause de ce qu’ils ont vécu et se montrent souvent distants, coléreux et inaccessibles, ce qui n’est guère étonnant. Dans les cas les pires, ils peuvent manifester une agressivité et une violence verbales, voire physiques. La seule constante, c’est qu’ils sont tous différents, et qu’ils ont besoin d’attention et de gentillesse pour sortir de leur chagrin. La tâche n’est jamais aisée.
Les mots peuvent être violents, mais les regards peuvent l'être aussi. Il y a un proverbe qui dit qu'une image vaut mille mots.
Une injonction serait aussi utile que verrouiller la porte de l’écurie une fois que le cheval s’était enfui.