Le corps d’un homme aurait donné les mêmes résultats, mais on sait ce que les nazis pensaient du rapprochement des épidermes masculins (les homosexuels aussi, par milliers, ont été passés au chalumeau dans leurs colonies d’extermination). Donc des Juives, les cobayes étant des hommes – quoique, les expériences terminées et les rapports rédigés, tous les corps étaient également ignidégradés, peu importe le sexe. Honni soit qui mal y pense… C’était de la médecine démente, fourvoyée dans les labyrinthes de l’horreur ; cependant, ces grands esprits avaient eu soin de consigner soigneusement les résultats de leurs études, si bien que, même si l’humanité n’en demandait pas tant, elle avait appris quelque chose de leurs travaux, qui s’ajoutaient ainsi au patrimoine scientifique mondial. La méthode la plus efficace pour réchauffer un corps humain en choc hypothermique était un bain chaud et non la chaleur animale.
En quelques années, j’en avais certainement appris plus sur l’humanité qu’en quatorze ans passés à reluquer des microorganismes capricieux et à faire des calculs, moi qui ne suis pas particulièrement doué en maths. Par exemple, les hommes me semblaient plus prévisibles que les femmes ; en général, ils bougeaient davantage et se rendaient à des adresses connues, alors que les femmes se restreignaient à des circuits plus circonscrits, mais plus fantaisistes, elles regardaient davantage, pouvaient à tout moment s’arrêter n’importe où. Indépendamment de l’intérêt des cas, fort inégal, j’aimais filer autant les uns que les unes.
J’ai pleuré souvent. Tout de suite après, je me suis tapé un gros bouquin sur l’Holocauste, le roman m’avait tellement bouleversée que j’ai voulu me renseigner, j’ai lu des livres d’Élie Wiesel. Enfin, j’ai passé l’hiver et le printemps à lire devant le feu et dans mon lit. J’écris, aussi. Je voulais écrire en venant m’installer ici, je l’ai fait. C’est un mélange de niaiseries et de choses sérieuses, certainement pas du Tolstoï, encore moins du Beauvoir, j’ai de la misère, je fouille dans les dictionnaires. Je voulais faire le point. Aujourd’hui, je pense que j’aurais du mal à arrêter d’écrire.
Certaines gens qui ont des difficultés comme celles dont je m’occupe hésitent à entrer, encore davantage à laisser un message ; tout de même, je ne pouvais me claquemurer au bureau à me taper des neuf à cinq de tournage de pouces. Je me répétais qu’une activité physique un tantinet plus exigeante que la lecture ou l’éreintant autant qu’immobile pied de grue m’aidait à garder la forme. D’autres fois, retenu par une filature ennuyeuse qui s’éternisait, je devais, maudissant le hasard, refuser une enquête qui me paraissait mille fois plus excitante.
Lorsque des hydrocarbures sont déversés dans la mer ou dans un cours d’eau, presque toujours près de la destination d’un pétrolier, c’est-à-dire près des côtes ou des ports intérieurs où se trouvent autant les terminaux que des populations humaines et fauniques, les autorités ont rarement le temps de consulter des voyantes : le plus pressé occupe tous les esprits et toujours il s’agit d’empêcher une catastrophe majeure. Les chercheurs de l’Institut naviguaient au sextant de la confiance, assurés de gagner la course.
Dans mon métier, le courage est un handicap. Quand même, j’arrive ici et tu me soignes, tu me nourris, tu me laves, tu fais mes pansements, tu t’occupes de moi, je me demande pourquoi.
On ne confie pas ses difficultés et ses appréhensions les plus secrètes à un parfait inconnu comme on se trouve un nouveau cordonnier, les enjeux sont un tantinet plus intimes.
Il ne faut jamais fuir, dit-on : la fuite confirme le pouvoir des persécuteurs. Les défenseurs de ce beau principe ne se sont sûrement jamais fait tirer dessus.
Les bandits ne se promènent pas avec un permis de port d’arme, les évadés de prison non plus. Et on n’est pas à Bogota ici.
Le corrompre était une chose, l’éliminer en était une autre.