Cécile Bramafa

Loin des romans policiers qui avaient bercé mon adolescence, les affaires traitées se résumaient à de pathétiques histoires d’infidélités, fantasmées ou réelles, et à des surveillances grossières, quand il ne s’agissait pas de tendre des pièges à d’innocents maris qui avaient commis l’horrible crime d’avoir posé les yeux sur une autre femme. J’avais souvent trouvé ces démarches si futiles, si ridicules…

À ses yeux, c’était ainsi et elle n’avait pas davantage envie d’en découvrir la clef que de savoir comment fonctionne une machine à laver.Il était de son devoir de satisfaire son homme, alors elle se soumettait sans joie ni peine à ses désirs répétitifs.
Elle n’avait jamais connu le plaisir du corps et s’était convaincue qu’elle n’était pas une vraie femme. La vie s’étirant morne et plate, dans toutes ses composantes, il était fort logique que ce curieux aspect de la vie que les autres semblaient vénérer, échappe à son appréhension. « Ma petite frigide », comme la surnommait son compagnon. Face à ces attentes implicites, elle avait parfois honte de son incapacité et redoublait donc d’ardeur à satisfaire son homme, mais toujours sans réel désir personnel. Elle le faisait pour lui. Elle faisait seulement ce qu’elle devait faire. Efforts inutiles, il avait fini par la quitter pour une autre, une vraie femme.

Un homme peut parler de « queue » sans que cela ne paraisse grossier, en particulier s’il le fait sur le ton de l’humour. Pour une femme, c’est tout de même différent… Je tente de transposer des sensations pour lesquelles les substantifs me manquent. Je ne peux les emprunter à d’autres situations, car en aucune autre situation, on ne ressent quelque chose de comparable à un orgasme. Rien ne fait « ça » à son corps. Je fais de mon mieux, même si je ne suis jamais satisfaite de mes écrits. Je suis une lectrice, pas une auteur. Je découvre la difficulté d’être celle qui livre ses pensées, qui offre une fluidité dissimulant tant de travail et d’efforts, qui impudiquement prend le risque de se découvrir.

Lorsque j’ouvre les yeux, c’est une chambre sinistre et sombre qui m’apparaît soudain. Disparus mon amant et mon parc des délices, la dure réalité vient reprendre ses droits.

La tendresse était devenue un moyen économique de manifester à l’autre des sentiments toujours présents. Économique et moins sollicitant, moins engageant. Facile.

Ce sont les femmes qui ont intériorisé ces critères et qui se les imposent. Ce sont elles qui se pensent inférieures aux hommes, pas le contraire. Elles se soumettent, dociles, à leur propre modèle et sont cruelles avec celles qui osent ne pas s’y plier, qui osent laisser croire qu’une femme pourrait être autre chose qu’une potiche pondeuse d’enfants !

Elle blêmit. Je la vois se crisper, se figer comme un animal guetté par son prédateur. Elle se tait, mais je sais que dans sa tête, un tourbillon installe les vieux démons de son « enfance » qu’elle sait tout à fait capables de ce genre de perversité. Un démon en particulier : son « père », qu’elle fuit depuis ses seize ans.

La seule chose qu’une femme d’un certain âge ne puisse plus faire, c’est enfanter… Serait-ce là la clef du mystère ? Tout ça pour donner l’illusion que l’on est encore capable d’avoir un enfant ! Parce qu’une vraie femme serait avant tout une mère ? Libre à certaines de le penser mais ce n’est pas mon choix !

L’alcool multiplie les sensations, les déplace et les transforme. Tout n’est que caresses, baisers, corps pressés et plaisirs. Une sorte de flou vaporeux efface les identités, installe une confusion sensuelle, libérée, anarchique, jusqu’à ce que chacun sombre dans une inconscience lourde.

Il faut plaire, et pour être séduisante, il faut correspondre à une définition normée. Je ne veux pas de leur modèle. Je veux découvrir ma beauté, apprendre à en être fière et l’assumer.