Ce n’est pas insupportable de vous regarder, rien n’empêche de vomir la bouche fermée, c’est terrifiant. Terrifiant de voir comme rien ne se fissure, tout reste en place. Terrifiant de penser à toutes ces nuits qui ont déjà existé, où j’ai dormi sans ne rien savoir, où tu as été seul sans personne pour voir. Alors cette nuit je regarde, à m’en faner l’iris, je regarde. Mes deux yeux, seulement deux, c’est si peu…
Il n’est rien que le regard humain ne puisse soutenir, rien que sa lumière ait à envier aux prières.
La laideur est de notre seule infirmité, le dommage collatéral de nos yeux baissés.
Oh ! Il faudra que je te dise un jour. Te dise que la beauté est au premier qui passe, qu'on s'en fou, que le reste s'apprivoise. Que c'est à tes failles que je m'attache, que je m'encorde. Que les jolis vernis se décolorent bien vite. Que c'est aux déformation de ses veines que l'on reconnait l'essence de l'arbre...
Oh ! Il faudra que je te dise un jour. Te dise que la beauté est au premier qui passe, qu'on s'en fou, que le reste s'apprivoise. Que c'est à tes failles que je m'attache, que je m'encorde. Que les jolis vernis se décolorent bien vite. Que c'est aux déformation de ses veines que l'on reconnait l'essence de l'arbre...
— Les arbres ne sont pas nos amis.
— Que veux-tu dire ?
— Et bien, regarde !
Il n’y a qu’à lever un peu la tête. La nuit est d’un jaune étrange et sale. Un peu comme le blanc de la neige lorsque sur la chaussée, en fondant, il se mêle à l’eau et la boue. Le ciel de cette nuit est piétiné des pas que tu ne fais plus. Et juste devant, à quelques mètres, un arbre. Enfin, la silhouette sombre d’un arbre. Massive. Muette. Immobile. Intimidante pour tout dire. Jetant sur ce ciel de paille, des vertiges à nous couper les pattes.
— Je le vois oui… et…?
Nez en l’air, tu le regardes en plissant des yeux.
— Et il est beau, nous pas, et ça l’indiffère.
Tu sembles terriblement triste soudain.
— Et toi ? Toi, ça t’indiffère ?
— Non… Non, moi j’aurais voulu qu’il m’en veuille je crois.
Ce matin, en me réveillant, j’ai trouvé sur la table juste à côté de mon lit une liasse de papiers réunis, agrafés, petit pavé blanc immaculés. Je l’ai pris. Il m’a fallu le tourner et le retourner plusieurs fois dans ma main, l’ouvrir, lire des mots au hasard, le refermer, le poser, le reprendre… pour le reconnaître enfin. Derrière son air définitif, il y avait Toi, moi, les mots que depuis des semaines je t’écris ici, l’amour qui ne s’en va jamais. Ils étaient soudain là, tous, dans ma main. C’était bien un livre, un vrai. Un que tu aurais pu toucher.. […] Et c’est comme si soudain t’était rendu tout ce qui t’avais été pris. Un poids, une place. Enfin.
Tous les mots que tu n’avais pas su dire, pas su élever. Ceux que tu avais crachés comme les pépins d’un fruit dont tu ne voulais plus laisser venir la pourriture. Ils étaient là, devant moi, abîmés comme les miens, ne sachant pas très bien où aller, ne se résignant pas à te rejoindre tout à fait.
On s’est regardé un long moment eux et moi. Leurs discours étaient embrouillés, chacun voulait parler le premier, et à tous les entendre je n’en écoutais aucun, mais je reconnaissais ta voix.
J’ai toujours été sensible aux voix, à ce membre de plus qui nous pousse lorsque l’Autre se fait soudain trop éloigné. Et bien plus que les écouter, j’aime les regarder. Regarder la façon dont elles découpent le silence, la manière qu’elles ont de souligner le corps, trait fin ou appuyé. Il y a tant d’eaux où plonger en dessous de ces passerelles jetées...
Même si tout cela existe, je continue pourtant de creuser cette terre, de vivre de miracles… et sans lâcher la tienne garder mes demains libres. La mort n’a pas fait de moi ta veuve. Je ne le serai jamais. Je suis notre descendance.
Au creux de ton bras, à l’endroit où ta peau si sensible s’électrise aux moindres frôlements, je pose ma langue. Aux rides amères de la seringue glisse mes lèvres et lentement te baise à l’endroit de l’interdit.