Cécile Soler

Je calcule que je dispose d’une vingtaine de secondes de répit, le temps raisonnable pour mâcher et avaler un tiers de croissant au beurre de La Religieuse habite au 33.

Le nez sur mes orteils, je repasse dans ma tête le film d’horreur auquel je viens d’assister.
Diego Talbar est dans le même motel miteux que moi et il faut que je le découvre au moment où Maeva Kahau sort de sa chambre.
C’est bien ma chance.

C’est facile pour elle comme pour toi et ta copine Maeva, les petites filles riches du circuit. Vos parents vous paient les meilleurs entraîneurs et les plus beaux hôtels.

Tu crois que je n’ai pas vu votre petit manège sur messagerie depuis des semaines ! Et ton mot de passe est tellement évident. Un gosse de sept ans ferait mieux.

Si son programme de mentorat me permet de parler à Yann comme ça me chante, je veux bien aller distribuer des flyers sur le tennis féminin dans le Bronx pendant l'US Open si ça lui fait plaisir.

– Tu es certaine que c’est le bon arrêt de bus ?
Face aux sourcils froncés et à l’expression sceptique de mon père, je me retiens de lever les yeux au ciel. Qu’il passe par moi pour communiquer avec le monde extérieur est une chose, mais s’il évitait de remettre en cause la plupart des informations que j’obtiens, ça m’aiderait. Je rêve du jour où il décidera de pratiquer son anglais pourri autrement que pour insulter tout le monde quand il est hors de lui.

Le drame, c'est que je vais devoir l'écouter pendant deux vols long-courriers. Paris-Hong Kong et ensuite Hong Kong-Adélaïde. Mon seul espoir est qu’il dorme. Beaucoup.

Bon OK, Arcadia, ce n’est pas un club de vacances. L’entraînement est dur et il y a Éric, mon entraîneur, qui crie beaucoup et cultive l’art de la réflexion cinglante. À la moindre erreur, bing ! c’est une raillerie assurée. Ce n’est pas toujours drôle, mais grâce à lui, j’ai carrément progressé.

Réalisant qu’elle est repérée, madame Wang se dirige à toute vitesse vers la sortie, tenant d’une main sa perruque rousse, qui menace de s’effondrer. Mais notre entraîneur est plus rapide qu’elle et lui barre la route :
- Qu’est-ce que vous faites là ?, interroge-t-il, accusateur.

- Mais pour qui est-ce que tu te prends ? Tu es à peine arrivée et tu critiques déjà mes athlètes ! Je vais régler ça avec Guillaume et ça m’étonnerait que tu aies l’occasion de défaire tes valises.
- Guillaume ? Quelle bonne idée ! Je t’accompagne. Je pourrai ainsi lui parler de ta façon de faire des scènes devant les élèves.
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Kelly ne s'autorise pas à souffler une seconde. Elle glisse à toute vitesse d'une extrémité à l'autre de la piste et je n'ai pas encore terminé mon échauffement qu'elle a déjà testé un paquet de sauts. Le double axel, apparemment, est une formalité pour elle.

- Qu'est-ce que c'est que ce truc ?
- Ça s'appelle le jeu de l'amour courtois.
- Oui j'ai vu, mais de quoi s'agit-il exactement ?
- Apparemment, c'est une sorte d'animation autour de couples historiques, poursuit Jade, en terminant sa lecture. Il s'agit de distribuer aux visiteurs des broches portant le nom d'un roi, d'une reine, d'un amoureux ou d’une amoureuse célèbre. Et chacun doit chercher sa “moitié” pendant le festival. C’est sympa, non ?

[…] depuis trois semaines, on ne parle que d’une seule chose dans les vestiaires du club de glace aquitain : le stage. C’est à Megève qu’il aura lieu, pendant les vacances de Noël. Il y aura des entraînements tous les jours, des patineurs de toute la France et même un club anglais et un autre autrichien. Il y aura également une chorégraphe russe et un gala international pour terminer.
Toutes les filles du groupe compétition sont inscrites. Sauf moi. Parce que mes parents n’ont pas voulu.

– Alors va vite les faire ma chérie, me lance-t-elle en ignorant ma mère. Et reviens dès que tu auras fini.
Je veux tout savoir, comment vont les entraînements, quel saut tu réussis et quand tu vas enfin te décider à devenir championne de France.
Si elle savait…

Derrière moi, Pamela Lebrun essaie de jouer du coude. Le regard fixé sur la liste, je résiste à la pression et je termine de lire les huit noms.
Si elle savait, elle serait moins pressée d'arriver devant ce tableau. L'heure de ma revanche sur cette ignoble peste a enfin sonné.
Je suis reçue.
Mais pas elle.

Mais comment est-ce que j'ai réussi à me mettre dans cette galère ? J'aurais mieux fait de m'abstenir de la pause chocolat et d'aller directement attendre les résultats. Ou même carrément de rester chez moi. Et que va-t-il se passer si je suis découverte ?
Aïe !!!

Les devoirs, l'école. C'est une obsession chez eux. Pourtant, j'ai toujours de bonnes notes. Mais cela ne leur suffit jamais. Si encore il n'y avait que ça. Mais en plus ils considèrent le patinage comme une perte de temps.

Vanessa va donc nous quitter et rentrer dès janvier dans la plus prestigieuse académie sportive privée de France. J'espère que cet exemple vous montrera qu'avec beaucoup de travail et de persévérance, on peut aller très loin.

Elle est folle! Ma meilleure copine est totalement folle. Je lui fais signe de visser mon index sur ma tempe et elle répond en haussant les épaules.
Imiter la signature de mes parents, comme si j'étais capable de faire un truc pareil.

Ravalant un sanglot, je repense à mon programme. Je n'ai jamais aussi bien patiné de toute ma vie. Si seulement mes parents avaient pu me voir, ils auraient peut-être compris pourquoi le patinage est ma passion…