Il est très difficile d'être jeune et ambitieux. C'est du moins ce que j'ai éprouvé pendant longtemps. Je ne pouvais pas partager ces tourments avec Renato, il en aurait tiré parti lors de nos fréquentes disputes. Quand je rencontrai le Maître, j'eus l'impression d'avoir attrapé un gros poisson. J'avais connu plusieurs artistes, mais lui semblait fait pour mon esprit tordu. Il me donna, je ne sais comment dire, il me donna la chance d'être normale, comme une gamine, parfois même il m'incitait à être stupide, c'est-à-dire « bonne ». Il ne me leurra pas à coups de douces paroles. Que je vous explique mieux : dans mes rêves de gloire, cachés, je me voyais grand écrivain. J'avais essayé aussi le dessin, mais l'écriture m'attirait davantage. Aussi loin que je me souvienne, la seule chose que je fais avec plaisir est de lire. Lorsque je lui apportai quelques-unes de mes créations, le Maître me poussa à lui tailler une pipe, après quoi il reconnut avec franchise qu'il n'avait pas aimé un seul mot tout ce que j'avais écrit là.