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Citation de CRonnoc


Cette singularité, qu’il résumait trivialement en disant éprouver plus de difficultés à entamer une conversation qu’à s’incliner, reposait sur une conception bien particulière, presque politique, de l’intime. Pour lui, l'intime, ce n'était pas la chair, mais l’âme ; ce n'était pas le corps, mais l’être. Dès lors, le rapport à l’autre ne posait véritablement de problème que lorsque l’attention dont il était l’objet se portait non sur son enveloppe charnelle, mais sur sa personne même. Il y avait, là, un parti pris que Nicolas appréhendait tel un scientifique décide d’un postulat pour, ensuite, en tirer des conséquences de pure logique. Dans son cas, cependant, aucun élément ne venait tempérer les excès de cette entreprise de déduction. Il occultait, ainsi, certaines évidences, dont celles qui veulent que l'on n'est pas obligé de tout révéler quand l'on discute avec le client d'un bar et que, lorsque l'on couche avec quelqu'un, il y a forcément quelque chose de l’ordre de l’intime qui se trouve affecté. Outre le caractère bien trop absolutiste de ses conclusions, Nicolas dissociait trop brutalement le corps et l’être, oubliant que l'un et l'autre, bien que distincts, s’entremêlent à l'infini, qu'il y toujours quelque chose de cérébral dans le bestial, de physique dans le psychologique et que l’intime n’est pas l’apanage de l’un ou de l’autre, mais se situe aux plus secrets de leurs embranchements.

(...)

Comment aurait-il pu en être autrement ? En scindant sa personne entre un corps à qui tout était permis et un être condamné au silence, il ne proposait rien d’autre qu’une enveloppe charnelle dépouillée de toute saveur, sans la moindre force vitale permettant de lui donner une âme. Ce corps chosifié, sans vie, comme le sont les branches d'un arbre arrachées à leur tronc, qui n’avait même pas le piquant du libertinage, personne n'en voulait. Personne ne s'attache jamais à ce qui est mort. Tout au plus, pouvait-il espérer être utilisé comme un objet dont on s’accommode quelques minutes pour satisfaire, quand l'on n'a pas trouvé mieux, des besoins trop pressants, de sorte que ses relations s’apparentaient à un troc entre une poupée gonflable et un sex toy, autrement dit à des relations commerciales non tarifées, quand ce n'était pas de la mendicité.

Quant au lieu censé accueillir la rencontre rêvée, s’il faisait sens au regard de sa démarche, il était des plus improbables. Il y était rarement question de sentiments ou tout simplement de bavardage. Et, même quand les circonstances l’en rapprochaient, il y manquait, de toute façon, un ingrédient essentiel : le temps. Comme il avait pu le constater, les participants à ces soirées ne prenaient guère la peine de se connaitre. Même le prénom du partenaire d'un soir restait, la plupart du temps, inconnu. Il n'y avait que deux choses pour lesquelles ceux-ci acceptaient de perdre quelques secondes : la qualité de la marchandise et la compatibilité érotique. Dès lors, comment une relation dont la première exigence est celle de la patience pouvait-elle naitre dans un lieu caractérisé par le règne de l’urgence ? Comment ce théâtre de l’ostensible pouvait-il faire éclore des rencontres dont la raison d’être repose au contraire sur ce qui ne se voit pas ? Il ne surprendra, alors, personne d’apprendre qu’il n’était jamais rien arrivé d’essentiel à Nicolas lors de ces soirées. Certes, il avait quelques fois entamé un brin de conversation, mais cela n'avait jamais débouché sur quoi que ce soit, comme si le lieu, de lui-même, annihilait toute idée de lendemain.
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