VLEEL 261 Rencontre littéraire avec Mona Messine, Céline Righi, Kinga Wyrzykowska Terres de Paroles
PREMIER BLOC
Il ne sait pas depuis combien de temps il est là, sous la chose.Il se demande s'il est vivant ou mort mais,s'il se pose la question ,c'est peut-être qu'il est encore un peu vivant. Il sent qu'il a mal, la sensation est confuse comme lorsque l'hiver vous pince le bout des doigts et que vous ne savez pas dire si c'est gelé ou brûlant. ( Page 7).
La mine nourrissait les hommes mais elle les mangeait aussi. Et, quand elle avait faim, elle ne faisait pas la difficile. Tout était bon.
IL SE SENT MILLE. Il est sa mère, son père le Mario,Martha,l'oncle,la tante,le village tout entier.Il est toute l'humanité. Il est le courage et la lâcheté, la méchanceté et la gentillesse,la haine et l'amour.Il n'est plus sous terre il est là terre.Il n'est plus sous la pierre,il est la Pierre.Il est là nuit et le silence.Il dit oui à tout même à la tragédie, aux ombres à la mine ,aux ténèbres.
Devant lui,l'oiseau noir vibre d'une drôle de manière. Il se dédouble. De son bec ne sort plus le moindre son.Ses plumes expulsent des boules sombres,qui à leur tour deviennent des oiseaux: des corneilles, des corbeaux,des choucas qui se multiplient à l'infini,une nuée d'oiseaux charbon qui l'aspire, l'entraîne au fond de ce que fut sa vie.Flou.Fondu au noir.( Page 118)..........
Un coin de la nappe de brouillard qui étouffe la rue est passé sous leur porte, s'est invité à table. L'humeur y est souvent grise.
Couic. À l’intérieur de la mère, l’effondrement. On enterre son petit. Le bien-aimé. Elle maigrit, se ratatine. D’une maigreur épouvantable, mondieumondieumondieu, qu’on est même demandé combien de temps elle allait pouvoir durer comme ça. C’est la tante qui raconte. Un matin, la mère s’est levée avec le haut du crâne tout blanc. Le chagrin lui avait enfariné les cheveux en une nuit. Et après ? Après, il arrive. Un an plus tard, comme un pet sur une toile cirée. Mais ça ne console pas la mère, tant s’en faut. Elle avait déjà misé tout son amour sur le premier, placé son affection comme on place une épargne, mais manque de bol, patatras, banqueroute. Le petit mort continue de vivre en elle, l’amour qu’elle a pour lui aussi,et ça lui mange toute sa chair. Lui ne montera jamais sur la première marche du podium, il sera comme l’autre, à vélo, qu’il avait vu une fois dans le poste de télévision, chez l’oncle et la tante : l’éternel second. L’ombre du mort, l’ombre d’une ombre. On ne lui dit rien, on ne lui explique pas qu’il y a eu un fils avant lui. Il sent seulement que sa vie sonne faux, que la mère a de drôles d’idées. Il a trois ou quatre ans. Elle l’emmène au cimetière presque tous les jours. Faut aller arroser, qu’elle répète.
Sa respiration est calme,il ne fait plus le chien.Il ouvre les yeux,les ferme ,les rouvre,mais quoiqu'il fasse,il rencontre la nuit.Dans ce silence de mort,il est pris dans la solitude Tel un insecte dans l'ambre.Pourtant ,il ne se sent pas seul.La chose lui tient compagnie.Qui l'emprisonne autant qu'elle le protège, comme un sarcophage.S'il respire encore ,c'est grâce à elle.Sans cela, il serait mort comme les autres ,écrabouillé sous le minérai.Le sang frappe à ses tempes .La pointe de sa langue sonde l'intérieur de sa bouche ,tapote le palais ,lèche les dents.Sensation d'avoir la cavité buccale fourrée de feutrine.Quelque chose--du caillou? Obstrue sa gorge,et un goût de ferraille lui emplit le bouche.Relent d'enfance : l'odeur de l'évier en inox ,quand la mère le récurait au grattoir; plus elle frottait ,plus l'air se chargeait de métal .Ce souvenir lui soulève le coeur. En le recrachant, il reconnaît le goût du sang.( Page 58/59).
La brise du printemps dispersait les odeurs de la rue et les bruits du quotidien, propulsait la plainte lourde de la sirène qui râlait toujours de la même façon : d’abord se gondolait, traçait une spirale sonore, voulait attraper sa note, puis se déroulait dans les graves et se tendait brusquement comme un serpent avant de mordre; le cri raidi se dressait dans le ciel et déchirait les nuages, finissait par se planter dans les oreilles des femmes, des enfants, ils la connaissaient bien, la vilaine mélodie qui chantait, Il est arrivé quelque chose. Tout le village se figeait. On priait le bon Dieu, sainte Barbe et tout ce qu’on pouvait pour que ce ne soit pas chez nous.
D’elle, il ne sait pas grand-chose. Et quand parfois il ose la questionner sur avant, elle le coupe net, Le passé, c’est le passé, on le laisse où il est. Ce sont les seuls mots qu’elle consent à lui lâcher, avec une grimace qui peine à masquer le temps des mauvaises lunes. Il aimerait savoir ce qu’elle cache, reste à l’affût de son mystère. Mais la mère s’est fermée à double tour et a jeté la clef. Il a cinq ans, six peut-être. Et il se promet que, quand il sera grand, il fera la guerre au silence.
Qu’on soit cloîtré sous terre comme lui, ou n’importe où ailleurs. Brasser la saleté qu’on a dans la tête, c’est le meilleur moyen de se foutre dans un cachot pire encore qu’une prison avec des barbelés et des murs épais, parce que le cachot-là, messieurs dames, on le voit pas, et on s’est mis dedans pourtant, dans un mitard pas possible, avec, en prime, l’illusion de la liberté, si c’est pas vicieux. Regardez la mère, ça, elle a bien réussi, à se confectionner son enfer, une maille à l’endroit, une maille à l’envers, à force de ruminer le passé tel un bovin son fourrage.
Tu vois Nando, les choses qu’on se met dans la tête, c’est comme les pommes que tu te mets dans le ventre. Y en a des bonnes, y en a des pourries. Suffit de choisir celles que tu veux garder dans ta caboche.