Merci bien. Je n'ai pas de frère !
Pourquoi dis-je ça ? Qu'est-ce qui me rebute dans ces retrouvailles ? Sa corpulence ? Son bagout ? Non, c'est autre chose qui me hérisse : ce passé qui ne m'est plus rien ! Je suis né par hasard dans un village de Lombardie. J'ai grandi avec les autres rejetons de mes parents.... Et alors ? L'un a décampé, l'autre est devenu ce gros bondieusard et la troisième une pondeuse ! Merci bien ! Je n'ai pas de famille ! Ni ascendance, ni descendance ! Moi, je n'existerai que par mes tableaux ! D'ailleurs, je veux quitter ce nom de Merisi. Je veux un autre nom.
Une riche famille me commande un tableau : Judih et Holopherne. Pour Judith, je prends comme modèle une de mes amies prostituées, pour Holopherne, le forgeron du voisinage.
- Mario, je ne veux pas faire comme les autres peintres : représenter la scène une fois l'acte accompli. Moi, je veux saisir l'instant précis ou Judih décapite Holopherne... Elle le tient par les cheveux et lui enfonce le poignard dans le cou. Il a les yeux révulsés, la bouche tordue dans un cri d'épouvante et le sang jaillit de sa gorge tranchée. Extraordinaire !
Del resto voglio abbandonare une volta per tutte questo nome, Merisi. Voglio un altro nome.
-"Mario, come hanno fatto gli altri pittori ? "
"-Tintoretto?" - "Era il figlio di un tintore. " -"Beato Angelico ? " -Un frate che dipingeva angeli dappertutto. " -"Giorgione?" -Era grossissimo. " -"Sodoma ? " -"Basta, Mario!' -"Leonardo da Vinci?'
-Era nato a Vinci. " -"Il Perugino? - "A Perugia". -"Il Correggio ? " -"A Correggio. "- "Perché non ... Caravaggio?" Caravaggio!
Enfin, presque par hasard, j'ai lu la biographie romancée que Dominique Fernandez a consacrée à Caravage. Je ne me suis pas soucié de savoir si tout ce que Fernandez racontait était vrai ou simplement vraisemblable. J'avais enfin trouvé matière première de mon spectacle. Voici que sous mes yeux se dessinait le profil de l'artiste et de l'homme avec toute la force, la séduction et la provocation qu'on retrouve dans ses toiles magnifiques.
Il s'appelait pourtant Fermo, ce père qui s'est montré si peu ferme ! « Un père n'abandonne pas son fils sans raison ». S'il est parti, c'est de ma faute ! Je n'avais pas assez de caractère, de tempérament... Le caractère, j'en aurai au centuple ; le tempérament, j'en déborderai ! C'est à six ans que ce sentiment d'être nié, refusé, commence à me ronger. Et tout l'amour de ma mère ne peut pas l'apaiser.
Grégorio me suit. A Naple, complètement isolé, je commence « David brandissant la tête de Goliath ». Mon David... Au fil du temps, je ferai plusieurs versions de ce tableau. David prendra des visages différents. Goliath gardera toujours le même : le mien. « Vous voulez ma tête ; je vous la livre ! ».