Citations de Cesare Pavese (617)
La poésie commence lorsqu'un idiot dit de la mer : "On dirait de l'huile." Ce n'est nullement là une description plus exacte du calme plat, mais le plaisir d'avoir découvert une ressemblance, l'excitation d'un mystérieux rapport, le besoin de crier aux quatre points cardinaux qu'on a vu ce rapport.
13 février 1949
Étrange moment (à treize ou douze ans) où tu te détachais de ton pays natal, où tu entrevoyais le monde, où tu partais dans des rêveries (aventures, villes, noms, rythmes emphatiques, inconnu) et où tu ne savais pas que commençait un long voyage qui, à travers villes, aventures, noms, ravissements, mondes inconnus, te ramènerait à découvrir combien ce moment du détachement justement était riche de tout cet avenir - le moment où tu étais plus pays que monde - quand tu regarderais en arrière. C'est parce que maintenant, l'avenir, le monde, tu l'as en toi comme passé, comme expérience, comme technique, et l'éternel et riche mystère se retrouve être ce toi enfantin que tu n'as pas eu le temps de posséder.
...
“Pauvre âme fatiguée et fardée
nous qui flânons dans la cohue des rues
usés par une vie que nous ne vivons pas”
Tu es la vie et la mort.
Tu es venue en mars
sur la terre nue -
et ton frisson dure.
Sang de printemps
- anémone ou nuage -
ton pas léger
a violé la terre.
La douleur recommence.
Ton pas léger
a rouvert la douleur.
La terre était froide
sous un pauvre ciel
immobile et fermée
comme dans la torpeur d’un rêve,
comme après la souffrance.
Et la glace était douce
dans le cœur profond.
Entre vie et mort
l’espoir se taisait.
Maintenant ce qui vit
a une voix et un sang.
Maintenant terre et ciel
sont un frisson puissant,
l’espérance les tord,
le matin les bouleverse,
ton pas et ton haleine
d’aurore les submergent.
Sang de printemps,
toute la terre tremble
d’un ancien tremblement.
Tu as rouvert la douleur.
Tu es la vie et la mort.
Sur la terre nue,
tu es passée légère,
hirondelle ou nuage,
et le torrent du cœur
s’est réveillé, déferle,
se reflète dans le ciel
et reflète les choses -
et les choses, dans le ciel, dans le cœur,
souffrent et se tordent
dans l’attente de toi.
C’est le matin, l’aurore,
sang de printemps,
tu as violé la terre.
L’espérance se tord,
et t’attend et t’appelle.
Tu es la vie et la mort.
Ton pas est léger.
« ici sur la hauteur, la colline n'est plus cultivée.
il y a les fougères, les roches dénudées et la stérilité.
le travail ne sert à rien ici. »
Il est bon d'écrire car cela réunit les deux joies: parler seul et parler à une foule.
(" Le métier de vivre")
Celui qui ne se sauve pas tout seul, personne ne peut le sauver.
Si baiser n'était pas la chose la plus importante de la vie, la Genèse ne commencerait pas par là.
26 novembre 1945
(…)
Tu peux arriver au néant, non pas au ressentiment. Non pas à la haine. Rappelle-toi toujours que rien ne t’est dû. En fait, que mérites-tu ? La vie t’était-elle due, peut-être, quand tu es né ?
..
“Les deux hommes fument sur la rive. La femme qui nage
sans briser la surface, n’aperçoit que le vert
de son bref horizon. Cernée d’arbres et de ciel
s’étend l’eau où la femme glisse
sans corps. Dans le ciel les nuages se posent
et paraissent immobiles. La fumée se fige dans l’air.”
Au fond, l’unique raison pour laquelle on pense toujours à son moi, c’est que nous devons rester plus continuellement avec notre moi qu’avec n’importe qui d’autre.
On ne se rappelle pas les jours, on se rappelle les instants.
La vie n'est pas recherche d'expériences mais de soi-même. Une fois découvert son propre statut fondamental, on s'aperçoit qu'il coïncide avec son destin et on trouve la paix
Attendre est encore une occupation. C’est ne rien attendre qui est terrible.
Des bouffées presque liquides, presque palpitantes, de cette puanteur arrivaient jusqu’aux nez du Professeur, et il sentait sa tête tourner, ses yeux et son nez le piquaient, au loin la musique résonnait et il était pris d’une envie de se déchausser, de se déshabiller, de se jeter lui aussi, la barbiche au vent, au milieu des éclaboussures, de sauter et de crier. Mais il ne cilla pas...
Maintenant ce qui vit
a une voix et un sang.
Maintenant terre et ciel
sont un frisson puissant,
l'espérance les tord,
le matin les bouleverse,
ton pas et ton haleine
d'aurore les submergent...
LA NUIT
Mais la nuit houleuse, la nuit transparente,
que le souvenir ne faisait qu'effleurer, est bien loin,
c'est un souvenir. Un calme persiste stupéfait,
fait aussi de feuilles et de néant. Seule reste,
de ce temps au-delà des souvenirs, une quête
incertaine du souvenir.
Parfois revient au jour
dans la lumière immobile du jour d'été cette stupeur lointaine.
Par la fenêtre vide
l'enfant regardait la nuit sur les collines
fraîches et noires, stupéfait de les voir amassées :
immobilité vague et limpide. Au milieu du feuillage
qui bruissait dans le noir, se montraient les collines
où les choses du jour, versants, arbres et vignes,
étaient nettes et mortes, et la vie était autre
faite de vent, de ciel, de feuilles et de néant.
Parfois
dans le calme immobile du jour revient le souvenir
de cette vie pensive, dans la lumière stupéfaite.
(extrait de " Travailler fatigue " - p. 49)
.
Un de nos ancêtres a dû être bien seul
- un grand homme entouré d’idiots ou un pauvre fou –
Pour enseigner aux siens tant de silence.
Il y a un seul plaisir, celui d’être vivant, tout le reste est misère.
Tu t’étonnes que les autres passent à côté de toi et ne sachent pas, quand toi, tu passes à côté de tant de gens sans savoir, cela ne t’intéresse pas, quelle est leur peine, leur cancer secret.
(in Philippe Besson : "un garçon d'Italie")