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Bibliographie de Chantal Jègues-Wolkiewiez   (2)Voir plus

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Tout au long de la nuit, puis à l'aube finissante, quand sur l'horizon est, les spectateurs du firmament regardaient émerger tous les corps célestes de ce que les anciens nommaient « la grande caverne ». Ils les admiraient avançant à la même allure, tel un troupeau, s'élevant tous de la gauche vers le sud à droite ; puis ils les observaient redescendre tous à l'unisson vers l'ouest avant de disparaître. Puisque le Soleil, la Lune, les planètes et toutes les constellations surgissaient de cette « grande caverne », il était logique que les poètes et les artistes aient visualisé des animaux pénétrant ou sortant des grottes ou des cavités qui leur servaient de refuge quand régnait l'obscurité glaciale. Il était normal alors, que le soir, tournés vers le couchant ils les aient imaginés allant s'abriter dans les excavations comme ils le faisaient eux-mêmes.
Il s'avère que les mythologies lettone et lituanienne reflètent toutes deux, un état d'âme encore plus simple, donc plus intelligible que la phraséologie des hymnes les plus anciens.
Mais l'art pariétal nous fait remonter beaucoup plus loin que les légendes grecques ou les chants védiques dont les textes d'après Max Müller nous montrent parfois : « Le flux de la pensée mythologique jaillissant de la source vive du cœur humain. »
p. 150
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Cependant, des questions se posaient quant au pourquoi de l'ornementation de certaines cavernes, de certains habitats, tandis que d'autres, longtemps occupés, n'étaient pas sanctuarisés.
« On s'interroge encore sur la raison pour laquelle certains lieux de séjour présentent une ornementation pariétale, parfois très élaborée, alors que d'autres en sont dépourvus. » Sacchi Dominique.
L'étude que j'ai faite sur l'orientation des grottes et des abris ornés souligne d'abord pour tous les sites ornés la constance d'une sélection d'issues vers les repères tropiques. De plus, on observe que les sites ornés qui n'ont pas été habités sont quand même orientés dans ces directions spécifiques, et que les sites occupés dans ce passé lointain, mais qui ne sont pas décorés ne sont pas en face de ces positions solaires privilégiées. Ces ouvertures vers les phénomènes solsticiaux et équinoxiaux n'ont par conséquent pas été choisies pour un confort journalier de chaleur et d'éclairement, mais pour des raisons de mises en lumière périodique de ces sites.
Il s'avère donc en premier lieu que l'espace de l'Homo-sapiens du Paléolithique supérieur n'est pas homogène étant donné qu'il y a des zones dont la qualité est différente des autres avec des barrières, des porches, des tabous, des ruptures. Mais par ailleurs, ces directions célestes préférentielles indiquent que les chasseurs-cueilleurs valorisaient les périodes solsticiales et équinoxiales qui découpaient non seulement la « ronde solaire », mais aussi le temps quotidien puisqu'il s'agissait des levers et couchers solaires.
C'est pourquoi ces sites ornés étaient sacralisés et séparés des lieux profanes. Chacun d'eux était un centre du monde, un axe autour duquel s'étalait un territoire neutre, sans possibilité d'orientation, sans repère spatial temporel fixe.
De cette façon s'explique et se confirme la sacralité des grottes ornées, ainsi que le rôle des œuvres pariétales qui signalent et mettent en scène l'espace et le temps sacrés des Cro-Magnons les plus anciens.
Ces œuvres d'art millénaires, que l'on continue à découvrir au fur et à mesure des fouilles, sont les uniques éléments tangibles qui nous restent ...
p. 143
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Tout en descendant vers le fond du Diverticule axial, bien qu'en principe je sois mal à l'aise dans le désordre, je me sentais de mieux en mieux au milieu de ce qui au premier abord m'a semblé un fouillis indescriptible qui « respire la joie de vivre », comme lorsqu'on est entouré d'enfants insouciants et en pleine santé qui s'amusent dans une cour de récréation. Et au fur et à mesure de mon chemin vers le fond rouge ardent du méandre, malgré la lueur parcimonieuse offerte pour la visite, j'eus une sensation que sur l'instant je ressentis comme « somptueuse » : celle de m'avancer vers ce qui s'appelle la « gloire du Soleil », ce phénomène lumineux qui se produit dans la direction opposée à l'astre du jour qui se couche. Il est provoqué par des particules atmosphériques (poussières, gouttes d'eau) de la lumière solaire autour du point antisolaire. Une couronne rouge se forme autour de son ombre projetée dans la brume, les nuages ou les gouttes de rosée posées sur l'herbe.
En regardant les vaches tournoyantes de la voûte, en voyant le taureau magnifiquement furieux avec ses sept têtes sur la paroi de gauche dite “nord” par les archéologues, dans mon esprit se bousculaient les chants du Rig-Véda, (Il, 24, 3) :
« Brihaspati a fait sortir les vaches : par une parole il a pourfendu la caverne, il a fait disparaître les ténèbres et rendu visible le Soleil. »
« Cette haute intuition-poétique à sept têtes, 191notre père (Brihaspati) l'a découverte, née de la Vérité. » (RV. X.671)
Quant au grand cheval qui précède le grand taureau, je me dis : « Tiens, on dirait Trita, le Soleil qui va constamment se coucher et qui est venu aider Brihaspati pour lutter contre Vala ce génie hivernal qui retient prisonniers les éléments de la Création : le Soleil, les aurores, le feu, les eaux primordiales, la vie... »*
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* Je fais allusion au mythe d'origine indo-européenne, qui évoque la mort que connaît le monde durant l'hiver. Vala est le symbole de l'hibernation et de l'affaiblissement de la nature. Lorsque Vala est fracturé par le chant de Brihaspati (le Taureau), les Vaches de l'aurore sont délivrées. Trita, sous la forme d'un cheval représente le Soleil déjà couché, qui aide Brihaspati Taureau à sept têtes) Le retour du printemps est annoncé par les « Angiras » qui sont les messagers de la nouvelle saison.
p. 196
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Au-delà des Védas, mais en deçà des Paléolithiques dispersés à travers l'Europe de l'Est par la fonte des glaciers, les Lettons et les Lituaniens par exemple, ont laissé transparaître dans leur folklore un état d'âme encore plus simple et plus primitif que ces hymnes. Leurs chants nous livrent des images qui sont tellement comparables à celles que l'on admire sur les parois de Lascaux que l'on peut aisément avoir en tête que les artistes solutréens étaient proches de :
« ... ces êtres dont les oreilles étaient emplies par la musique des étoiles et que leurs pensées jaillissaient de la source vive du cœur humain. »
Pour ces peuples slaves “premier”, la vache noire est un nom de la nuit, la mère des vaches est l'aurore, le bœuf gris ou blanc est le jour, le taureau gris est le crépuscule, les chevaux sont ceux du Soleil ou de la Lune, on dit qu'à l'aube l'étoile du matin allume ses feux et que l'étoile du soir fait son lit à la brune. Ou alors on nous raconte que le Soleil coupa la Lune en morceaux pour avoir enlevé la fiancée de l'étoile du matin...etc.
« On parle dans sa propre langue, on écrit en langue étrangère » Jean-Paul Sartre.
Ici, au cœur du sanctuaire, les représentations animales, leurs rythmes, leurs couleurs, leurs positions étant porteuses de leurs mots, de leurs idées, sont comparables aux expressions et aux mots surtout qui sont analogues aux nôtres lorsque nous écrivons.
p. 189
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Nous le savons tous, il y a dans l'espace du cosmos des corps célestes qui se déplacent et jouent un rôle déterminant sur les évènements lumineux cycliques qui sont des phénomènes constants vus de la terre. L’humain pour vivre est non seulement complètement dépendant de sa faculté d'adaptation à ces phénomènes cycliques mais aussi à leur impact sur la végétation et les animaux dont il se nourrit. Il est donc obligé de déterminer, de prévoir, de mémoriser d'utiliser ces phénomènes en maîtrisant toutes leurs connections formées par la structure des rayons lumineux de ces corps célestes qui sont toujours en mouvement par rapport à la terre. Pour faire simple, il doit toujours savoir où sont situés ces corps célestes lumineux par rapport aux repères terrestres fixes de son lieu de vie.
De plus, la lumière est à la base de la connaissance sur terre des repères que sont les points cardinaux. Et il faut bien reconnaître que si la disposition des cavités naturelles est toujours changeante par rapport au nord, chacune d'elle est parfaitement immobile dans l'espace et peut servir de jalon pour déterminer dans le ciel la position d'un luminaire dont la lumière pénètre une caverne lorsqu'il atteint une place remarquable sur l'horizon.
Une autre observation d'André Leroi-Gourhan, nous oblige à réfléchir à la position des rayons lumineux qui soulignent à un moment donné un sujet peint ou un autre en se demandant si une raison, un évènement venant de l'ordre du cosmos et que les artistes du passé auraient pu voir, peut apporter une réponse. Cette remarque concernerait en quelque sorte une image codée permettant d'exprimer un évènement grâce à l’ordonnancement de certaines figures précises sur les parois des grottes ornées.
« Or, l'art pariétal est précisément caractérisé par la répartition symétrique des figures sur certaines parois dans certaines grottes, et par leur symétrie inverse sur d'autres parois ou d'autres grottes. » (André Leroi-Gourhan)*.
Les trois derniers mots de cette phrase « … ou d'autres grottes » sont extraordinaires et obligent à la réflexion. En effet, si la scène remarquée sur la paroi d'une grotte se retrouve inversée sur une paroi d'une autre grotte, ces deux ensembles de figures impliquent que sur ces deux parois est racontée la même scène avec les mêmes acteurs mais vus à partir d'une orientation différente, ou si l'on préfère d'un autre côté... À cette époque, où pouvait bien se dérouler sinon dans les cieux, un évènement qui pouvait être vu en même temps de différents endroits ?
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*(A. Leroi-Gourhan, L'art pariétal. Langage de la préhistoire.) Page 99.
p. 69
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Après avoir contemplé ce croquis ou recréation de cette scène, visualisez cet ensemble des deux bouquetins les yeux fermés. Vous découvrez ainsi la perfection et la continuité du symbolisme des formes animales à travers les millénaires. Continuité qui n'aurait sans doute pas existé si les Paléolithiques avaient utilisé un texte écrit. Les langues changent, meurent et disparaissent mais les animaux ne changent pas. Sauf en cas de disparition de l'espèce. Et l'on commence tous à toucher du doigt l'avantage de représenter un animal ou un groupe d'animaux pour exprimer les phénomènes de l'environnement.
p. 198
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«  Lascaux et le ciel de la préhistoire  » - “arguments cosmographiques pour un art pariétal structuré” ; Chantal Jègues-Wolkiewiez ; éditions AUTOEDITION © 2020
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« Leroi-Gourhan pensait que l'art était l'expression de concepts sur l'organisation naturelle et surnaturelle [...] du monde vivant ». (David Lewis Williams).
Les artistes du Paléolithique, qui étaient des Cro-Magnons comme nous, vivaient les mêmes variations saisonnières que nous et les allers et retours soli-lunaires sur leur horizon se faisaient aux mêmes endroits pour une même saison. Ils ont vécu 250 siècles dans les régions de Bourgogne, de l'Aquitaine du Quercy et des Pyrénées en conservant les grandes lignes et les formes de leur art, de leurs pensées. On ne peut pas imaginer autre chose que des règles, des coutumes, des habitudes acquises au cours des millénaires de leurs pratiques culturelles en circulant à l'intérieur de ces territoires délimités naturellement à l'origine par la présence de leur gibier de prédilection qui lui aussi obéissait comme aujourd'hui aux mêmes lois de la nature. C'est pourquoi, je penche pour un système global, dans le temps et l'espace de ces 25 000 ans. L'organisation de leur société a obligatoirement suivi les mêmes règles que leur art (pariétal et mobilier) qui a laissé toutes ces traces vraisemblablement pour des raisons rituelles et religieuses dans toute l'aire géographique où il s'est épanoui et a brillé. Les cultures qui au Mésolithique puis au Néolithique ont succédé à ces artistes n'ont certainement pas effacé, éliminé toutes les habitudes, les coutumes, les rites de ceux qui sont restés, car cette structure, cette organisation de l'espace des grottes en fonction de la lumière est l'expression de la vérité et de l'ordre du cosmos.
Quant aux populations de chasseurs-cueilleurs qui sont parties pour suivre les rennes, même si l'art pariétal a disparu de leurs paradigmes puisque les parois devenaient plus rares, leur organisation sociale et leurs habitudes religieuses ont vraisemblablement diffusé dans les régions de l'Europe du Nord-Est vers où ont progressé peu à peu les Magdaléniens.
p. 88
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« En fait, rien ne prouve que la grotte était un espace sacré, sanctuaire réservé à des initiés, sorciers, chamanes ou comme l'on voudra » (Sophie A. de Beaune)*
Je crois bien que Sophie A. de Beaune est la seule préhistorienne qui ait pu penser et oser publier l'idée ci-dessus. La plupart des chercheurs admettent que les abris ou les grottes ornées constituaient des « sanctuaires » où se manifestait la vie spirituelle des Paléolithiques. Il faut noter au passage une contradiction : cette appellation est également utilisée par ceux qui se sont gaussés de Jean Clottes et de David Williams Lewis lorsqu'ils ont parlé de chamanisme dans les grottes.
De toute façon, c'est bien beau de l'accepter et de le dire ...Encore faut-il le démontrer !
Il faut donc clarifier cette notion de sanctuaire.
C'est vrai, l’œuvre de Lascaux est merveilleuse à couper le souffle. Quand on la voit pour la première fois, elle semble surgir du néant. 
Pour tous les professionnels de l'archéologie et de la préhistoire, cette grotte est un sanctuaire. Dès le porche passé, le sacré se manifeste comme une réalité. La lourde porte refermée (malgré les marches d'escalier de la fin du siècle dernier, la traversée des cloisonnements successifs, et la présence de la salle des machines) sur le seuil de la Rotonde, on baisse instinctivement la voix. L'effet est le même dans le Puits, malgré la descente par une échelle et en dépit de l'exiguïté du lieu. Instantanément, notre conscience moderne cède la place à un sentiment émotionnel presque paralysant. La perception “d'entourement” par quelque chose d'extrêmement puissant et grandiose est immédiate. Elle est celle que nous ressentons, debout dans la nuit étoilée, au sommet d'une montagne que nous venons de gravir. Le silence résonne en notre cœur. Le temps et l'espace de la vie quotidienne sont « interrompus ».
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*(A. de Beaune). Pages 203-219.
p. 94
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RÉFLEXION ETHNOASTRONOMIQUE : ORGANISATION DU MONDE
Nous envisageons sérieusement maintenant que les artistes paléolithiques ont choisi les cavernes à orner en fonction de leur ensoleillement lors des journées exceptionnelles qui marquent les seuils, de ces « Portes du ciel » que jamais l'astre du jour ne dépasse sur leur horizon. C'est l'ordonnancement du monde, le principe caché des religions animistes qui pensent que ces « Portes du ciel » permettent le passage des âmes d'un monde à l'autre.
Cette connaissance de l'espace cosmographique de la course solaire est la preuve de la conscience par Cro-Magnon d'un temps qui passe, se mesure, se termine et qui se renouvelle encore et encore.
Il n'est pourtant jamais venu à l'idée des préhistoriens que l'art pariétal fut structuré concrètement, par l'impact des directions et des mouvements de la lumière solaire. Pourtant, les orientations des ouvertures permettant le passage de la lumière des solstices et équinoxes sont révélés par l'astronomie archaïque d'observation et de position qui fut pratiquée par les premiers Cro-Magnons, mais aussi ensuite par tous les constructeurs mégalithiques et de l'Antiquité, par les Compagnons constructeurs des cathédrales, puis par ceux de la Renaissance.
p. 92/93
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Une dernière remarque cruciale faite par ce scientifique* hors du commun : le cadrage de l’œuvre sur la surface la plus importante possible ainsi qu'une résonance exceptionnelle entre le support et l’œuvre. Dès le début de sa recherche sur l'art pariétal, il a exprimé le sentiment « d'unité de chacun des ensembles de l’œuvre ». Il s'était pourtant attendu à trouver des mages éparses et disparates. Il s'attacha finalement uniquement aux œuvres pariétales plutôt qu'à l'art mobilier, s'intéressant de préférence à la structure spatiale, « car ces œuvres restaient là où les Paléolithiques les avaient placées. »
Voilà une affirmation pleine de bon sens qui convient absolument à la démarche ethnoastronomique qui intègre la création à l'environnement et à la position choisie par les artistes par rapport à la provenance de la lumière et à remplacement des points cardinaux et des orientations solaires majeures. C'est la lumière solaire qui détermine l’œuvre, et l'ombre autour d'elle qui fait le cadre. Si l’œuvre est déplacée, et si elle n'a pas une marque qui indique précisément une direction remarquable, donc un rapport angulaire avec le nord, elle ne peut plus être interprétée.
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* André Leroi-Gourhan
p. 87
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