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3.76/5 (sur 73 notes)

Nationalité : Belgique
Né(e) à : Munich, Allemagne , le 20/08/1827
Mort(e) à : Ixelles, Belgique , le 07/05/1879
Biographie :

Charles De Coster est un écrivain belge francophone.

Il est né d'un père flamand et d'une mère wallonne à Munich où ses parents travaillaient pour le comte Mercy d'Argenteau, nonce apostolique en Bavière. En 1834, il perd son père.

Rentré en Belgique très jeune, il poursuit ses études secondaires au Collège Saint-Michel. En 1844, il entre comme employé la Société générale. Après avoir démissionné en 1850, il entame des études à l'Université libre de Bruxelles mais ne les mène à leurs terme.

A 20 ans, il fonde avec des amis une société littéraire : les "Joyeux" pour laquelle, il écrit des pièces de circonstance, chanson à boire, contes en vers,...
Il s'essaie également au drame historique en vers ("Crescentius", 1853).

Entre 1860 et 1864, il travaille aux Archives du Royaume. A partir de 1870, il exerce comme professeur de littérature et d'histoire à l'École de Guerre et répétiteur de belles-lettres à l'École militaire.

Il fait également un peu de journalisme, de la critique littéraire ou théâtrale. Il contribue à plusieurs périodiques belges et notamment à l'Uylenspiegel. Journal des ébats littéraires et politiques (1856-1864), une revue fondée par Félicien Rops. Sa collaboration y prend la forme de contes et de récits mais il signe également de nombreux pamphlets, articles politiques, sous le nom de "Karel" dans lesquels il apparait révolutionnaire, admirateur de Garibaldi, et démocrate engagé.

En 1867, il publie son livre phare : "La légende d'Ulenspiegel", hymne à la liberté et profession de libre pensée, écrit dans une langue artistiquement archaïsante.

Il meurt pauvre et méconnu à Ixelles en 1879.
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Bibliographie de Charles De Coster   (14)Voir plus

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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Les petits, étant hardis, s'approchaient toutefois ; alors il en prenait un par le pourpoint, et, frottant de ses mains noires son frais museau, le renvoyait ainsi, riant quand même, à la grande joie de tous les autres.

Soetkin, femme de Claes, était une bonne commère, matinale comme l'aube et diligente comme la fourmi.

Elle et Claes labouraient à deux leur champ et s'attelaient comme boeufs à la charrue. Pénible en était le traînement, mais plus pénible encore celui de la herse, lorsque le champêtre engin devait de ses dents de bois déchirer la terre dure. Ils le faisaient toutefois le coeur gai, en chantant quelque ballade.

Et la terre avait beau être dure ; en vain le soleil dardait sur eux ses plus chauds rayons : en vain aussi traînant la herse, ployant les genoux, devaient-ils faire des reins cruel effort, s'ils s'arrêtaient et que Soetkin tournât vers Claes son doux visage et que Claes baisât ce miroir d'âme tendre, ils oubliaient la grande fatigue.
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Le père Cornelis Adriaensen, frère mineur, sale, éhonté, furieux et aboyeur prédicant, se démenait ce jour-là dans la chaire de vérité.
De jeunes et belles dévotes se pressaient autour.
Le père Cornelis parlait de la Passion. Quand il en fut au passage du saint Evangile où les Juifs criaient à Pilate, en parlant de Monseigneur Jésus : « Crucifiez-le, crucifiez-le, car nous avons une loi, et, d’après cette loi, il doit mourir ! » Broer Cornelis s’exclama :
« Vous venez de l’entendre, bonnes gens, si Notre-Seigneur Jésus-Christ a pâti une mort horrifique et honteuse, c’est qu’il y a toujours eu des lois pour punir les hérétiques. Il fut justement condamné, parce qu’il avait désobéi aux lois. Et ils veulent maintenant regarder comme rien les édits et les placards. Ah ! Jésus ! quelle malédiction voulez-vous faire tomber sur ces pays ! Honorée mère de Dieu, si l’empereur Charles était encore en vie et qu’il pût voir le scandale de ces nobles confédérés qui ont osé présenter une requête à la Gouvernante contre l’Inquisition et contre les placards faits dans un but si bon, qui sont si mûrement pensés, édictés après de si longues et de si prudentes réflexions, pour détruire toutes les sectes et hérésies ! Et ils voudraient, quand ils sont plus nécessaires que le pain et le fromage, les réduire à néant ! Dans quel gouffre puant, infect abominable nous fait-on choir maintenant ? Luther, ce salé Luther, ce bœuf enragé, triomphe en Saxe, en Brunswick, en Lunebourg, en Mecklembourg ; Brentius, le breneux Brentius, qui vécut en Allemagne de glands dont les cochons ne voulaient pas, Brentius triomphe en Wurtemberg ; Servet le Lunatique, qui a un quartier de lune dans la tête, le trinitaire Servet, règne en Poméranie, en Danemark et en Suède et là il ose blasphémer la sainte, glorieuse et puissante Trinité. Oui. Mais on m’a dit qu’il a été brûlé vif par Calvin, qui ne fut bon qu’en cela, oui par le puant Calvin, qui sent l’aigre ; oui, avec son museau long d’une loutre ; face de fromage, avec des dents grandes comme des pelles de jardinier. Oui, ces loups se mangent entre eux, oui, le bœuf de Luther, le bœuf enragé, arma les princes d’Allemagne contre l’anabaptiste Munzer, qui fut bonhomme dit-on, et vivait selon l’Evangile. Et on a entendu par toute l’Allemagne les beuglements de ce bœuf, oui !
« Oui, et que voit-on en Flandre, Gueldre, Frise, Hollande Zélande ? Des Adamites courant tout nus dans les rues ; oui, bonnes gens, tout nus dans les rues, montrant sans vergogne leur viande maigre aux passants. Il n’y en eut qu’un, dites-vous ; — oui, -passe, — un vaut cent, cent valent un. Et il fut brûlé dites-vous, et il fut brûlé vif, à la prière des calvinistes et luthériens. Ces loups se mangent, vous dis-je !
« Oui, que voit-on en Flandre, Gueldre, Frise, Hollande, Zélande ? Des Libertins enseignant que toute servitude est contraire à la parole de Dieu. Ils mentent, les puants hérétiques ; il faut se soumettre à la Sainte Mère Église romaine. Et là, dans cette maudite ville d’Anvers, le rendez-vous de toute la chiennaille hérétique du monde, ils ont osé prêcher que nous faisons cuire l’hostie avec de la graisse de chien. Un autre dit, c’est ce gueux assis sur ce pot de nuit, à ce coin de rue : « Il n’y a pas de Dieu ni de vie éternelle ni de résurrection de la chair ni d’éternelle damnation. » « On peut, dit un autre, là-bas, d’une voix pleurarde, on peut baptiser sans sel, ni saindoux, ni salive, sans exorcisme et sans chandelle. » « Il n’y a point de purgatoire, dit un autre. » Il n’y a point de purgatoire, bonnes gens ! Ah ! il vaudrait mieux pour vous avoir commis le péché avec vos mères, vos sœurs et vos filles, que de douter seulement du purgatoire.
« Oui, et ils lèvent le nez devant l’Inquisiteur, le saint homme, oui. Ils sont venus à Belem, près d’ici, à quatre mille calvinistes, avec des hommes armés, des bannières et des tambours. Oui, Et vous sentez d’ici la fumée de leur cuisine. Ils ont pris l’église de Sainte-Catholyne pour la déshonorer, profaner, déconsacrer par leur damnée prédicastrerie.
« Qu’est-ce que cette tolérance impie et scandaleuse ? Par les mille diables d’enfer, catholiques mollasses, pourquoi ne mettez-vous pas aussi les armes à la main ? Vous avez, comme ces damnés calvinistes, cuirasses, lances, hallebardes, épées, bragmarts, arbalètes, couteaux, bâtons, épieux, les fauconneaux et coulevrines de la ville.
« Ils sont pacifiques dites-vous ; ils veulent entendre en toute liberté et tranquillité la parole de Dieu. Ce m’est tout un. Sortez de Bruges ! chassez-moi, tuez-moi, faites-moi sauter tous ces calvinistes hors de l’église. Vous n’êtes point encore partis ! Fi ! vous êtes des poules qui tremblez de peur sur votre fumier ! Je vois le moment où ces damnés calvinistes tambourineront sur le ventre de vos femmes et de vos filles, et vous les laisserez faire, hommes de filasse et de pâte molle. N’allez point là-bas, n’allez point… vous mouillerez vos chausses en la bataille. Fi, Brugeois ! fi, catholiques ! Voilà qui est bien catholicisé, ô couards poltrons ! Honte sur vous, canes et canards, oies et dindes que vous êtes !
« Ne voilà-t-il pas de beaux prédicants, pour que vous alliez en foule écouter les mensonges qu’ils vomissent, pour que les fillettes aillent la nuit à leurs sermons, oui, et pour que dans neuf mois la ville soit pleine de petits Gueux et de petites Gueuses ? Ils étaient quatre là, quatre scandaleux vauriens, qui ont prêché dans le cimetière de l’église. Le premier de ces vauriens, maigre et blême, le laid foirard, était coiffé d’un sale chapeau. Grâce à la coiffe, on ne voyait pas ses oreilles. Qui de vous a vu les oreilles d’un prédicant ? Il était sans chemise, car ses bras nus passaient sans linge hors de son pourpoint. Je l’ai bien vu, quoiqu’il voulût se couvrir d’un sale petit manteau, et j’ai bien vu aussi dans ses grègues de toile noire, à jour comme la flèche de Notre-Dame d’Anvers, le trimballement de ses cloches et battant de nature. L’autre vaurien prêchait en pourpoint sans souliers. Personne n’a vu ses oreilles. Et il dut s’arrêter tout court dans sa prédicastrerie, et les garçonnets et les fillettes de le huer, disant : « You ! you ! il ne sait pas sa leçon. » Le troisième de ces scandaleux vauriens était coiffé d’un sale, vilain petit chapeau, avec une petite plume dessus. On ne lui voyait pas non plus les oreilles. Le quatrième vaurien, Hermanus, mieux accoutré que les autres, doit avoir été marqué deux fois à l’épaule par le bourreau, oui.
« Ils portent tous sous leur couvre-chef des coiffes de soie graisseuses qui leur cachent les oreilles. Vîtes-vous jamais les oreilles d’un prédicant ? Lequel de ces vauriens osa montrer ses oreilles ? Des oreilles ! ah ! oui, montrer ses oreilles : on les leur a coupées. Oui, le bourreau leur a coupé à tous les oreilles.
« Et pourtant c’est autour de ces scandaleux vauriens, de ces coupe-gibecières, de ces savetiers échappés de leurs sellettes, de ces guenillards prédicants, que tous ceux du populaire criaient : « Vive le Gueux ! » comme s’ils eussent été tous furieux, ivres ou fous.
« Ah ! il ne nous reste plus, à nous autres pauvres catholiques romains, qu’à quitter le Pays-Bas, puisqu’on y laisse brailler ce cri : « Vive le Gueux ! Vive le Gueux ! » Quelle meule de malédiction est donc tombée sur ce peuple ensorcelé et stupide, ah ! Jésus ! Partout riches et pauvres, nobles et ignobles, jeunes et vieux, hommes et femmes, tous de crier : « Vive le Gueux !
« Et qu’est-ce que tous ces seigneurs, tous ces culs-de-cuir pelés qui nous sont venus d’Allemagne ? Tout leur avoir s’en est allé aux filles, en brelans, lècheries, coucheries, trimballements de débauches, affourchements de vilenies, abominations de dés et triomphe d’accoutrements. Ils n’ont pas même un clou rouillé pour se gratter où il leur démange. Il leur faut maintenant les biens des églises et des couvents.
« Et là, dans leur banquet chez ce vaurien de Culembourg, avec cet autre vaurien de Brederode, ils ont bu dans des écuelles de bois, par mépris pour messire de Berlaymont et madame la Gouvernante. Oui ; et ils ont crié : « Vive le Gueux ! » Ah ! si j’avais été le bon Dieu, sauf tout respect, j’aurais fait que leur boisson, fût-elle bière ou vin, se fût changée en une sale, infâme eau de lavure de vaisselle, oui, en une sale, abominable puante lessive, dans laquelle ils auraient lavé leurs chemises et leurs draps embrenés.
« Oui, braillez, ânes que vous êtes, braillez : « Vive le Gueux ! » Oui ! et je suis prophète. Et toutes les malédictions, misères, fièvres, pestes, incendies, ruines, désolations, chancres, suettes anglaises et pestes noires tomberont sur le Pays-Bas. Oui, et ainsi Dieu sera vengé de votre sale braire de : « Vive le Gueux ! » Et il ne restera plus pierre sur pierre de vos maisons et pas un morceau d’os de vos jambes damnées qui coururent à cette maudite calvanisterie et prédicastrerie. Ainsi, soit, soit, soit, soit, soit, soit-il. Amen. »
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On portait Ulenspiegel à baptême ; soudain chut une averse qui le mouilla bien. Ainsi fut-il baptisé pour la première fois. Quand il entra dans l’église, il fut dit aux parrain et marraine, père et mère, par le bedeau schoolmeester, maître d’école, qu’ils eussent à se placer autour de la piscine baptismale, ce qu’ils firent.
Mais il y avait à la voûte, au-dessus de la piscine, un trou fait par un maçon pour y suspendre une lampe à une étoile en bois doré. Le maçon, considér ant, d’en haut, les parrain et marraine debout roidement autour de la piscine coiffée de son couvercle, versa par le trou de la voûte un traître seau d’eau qui, tombant entre eux sur le couvercle de la piscine, fit grand éclaboussement. Mais Ulenspiegel eut la plus grosse part. Et ainsi il fut baptisé pour la deuxième fois.
Le doyen vint : ils se plaignirent à lui ; mais il leur dit de se hâter, et que c’était un accident. Ulenspiegel se démenait à cause de l’eau tombée sur lui. Le doyen lui donna le sel et l’eau, et le nomma Thylbert, qui veut dire « riche en mouvements ». Il fut ainsi baptisé pour la troisième fois.
Sortant de Notre-Dame, ils entrèrent vis-à-vis de l’église dans la rue Longue, au Rosaire des Bouteilles, dont une cruche formait le credo. Ils y burent dix-sept pintes de dobbel-kuyt et davantage. Car c’est la vraie façon en Flandre, pour sécher les gens mouillés, d’allumer un feu de bière en la bedaine. Ulenspiegel fut ainsi baptisé pour la quatrième fois.
S’en retournant au logis et zigzaguant par le chemin, la tête plus que le corps pesante, ils vinrent à un ponteau jeté sur une petite mare, Katheline qui était marraine portait l’enfant, elle fit un faux pas et tomba dans la boue avec Ulenspiegel, qui fut ainsi baptisé pour la cinquième fois.
Mais on le retira de la mare pour le laver d’eau chaude en la maison de Claes, et ce fut son sixième baptême.
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Claes vint au canal de Bruges, non loin de la mer. Là, mettant l’appât à sa ligne, il la lança à l’eau et il y laissa descendre son filet. Un petit garçonnet bien vêtu était sur l’autre bord, dormant comme souche, sur un bouquet de moules.
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En ce temps-là, les inquisiteurs et théologiens représentèrent pour la deuxième fois à l’empereur Charles :
— Que l’Église se perdait ; que son autorité était méprisée ; que s’il avait remporté tant d’illustres victoires, il le devait aux prières de la catholicité, qui maintenait haute sur son trône l’impériale puissance.
Un archevêque d’Espagne lui demanda que l’on coupât six mille têtes ou que l’on brûlât autant de corps, afin d’extirper aux Pays-Bas la maligne hérésie luthérienne. Sa Sainte Majesté jugea que ce n’était point assez.
Aussi, partout où passait terrifié le pauvre Ulenspiegel, il ne voyait que des têtes sur des poteaux, des jeunes filles mises dans des sacs et jetées toutes vives à la rivière ; des hommes couchés nus sur la roue et frappés à grands coups de barres de fer, des femmes mises dans une fosse, de la terre sur elles, et le bourreau dansant sur leur poitrine pour la leur briser. Mais les confesseurs de ceux et celles qui s’étaient repentis auparavant gagnaient chaque fois douze sols.
Il vit à Louvain, les bourreaux brûler trente luthériens à la fois et allumer le bûcher avec de la poudre à canon. A Limbourg, il vit une famille, hommes et femmes, filles et gendres, marcher au supplice en chantant des psaumes. L’homme, qui était vieux, cria pendant qu’il brûlait.
Et Ulenspiegel, ayant peur et douleur, cheminait sur la pauvre terre.
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Josse, qui fut simple et doux de cœur en son bel âge, ayant souffert de diverses injustices, devint quinteux ; son sang tourna en bile noire, il prit les hommes en haine et vécut solitaire.
Son plaisir fut alors de faire s’entre-battre deux soi-disant fidèles amis ; et il baillait trois patards à celui des deux qui daubait l’autre le plus amèrement.
Il aimait aussi de rassembler, en une salle bien chauffée, des commères en grand nombre et des plus vieilles et hargneuses, et leur donnait à manger du pain rôti et à boire de l’hypocras.
Il baillait à celles qui avaient plus de soixante ans de la laine à tricoter en quelque coin, leur recommandant, au demeurant, de bien toujours laisser croître leurs ongles. Et c’était merveille à entendre que les gargouillements, clapotements de langue, méchants babils, toux et crachements aigres de ces vieilles houhous, qui, leurs affiquets sous l’aisselle, grignotaient en commun l’honneur du prochain.
Quand il les voyait bien animées, Josse jetait dans le feu une brosse, du rôtissement de laquelle l’air était tout soudain empuanti.
Les commères alors, parlant toutes à la fois, s’entre-accusaient d’être la cause de l’odeur ; toutes niant le fait, elles se prenaient bientôt aux cheveux, et Josse jetait encore des brosses dans le feu et par terre du crin coupé. Quand il n’y pouvait plus voir, tant la mêlée était furieuse, la fumée épaisse et la poussière haut soulevée, il allait quérir deux siens valets déguisés en sergents de la commune, lesquels chassaient les vieilles de la salle à grands coups de gaule, comme un troupeau d’oies furieuses.
Et Josse, considérant le champ de bataille, y trouvait des lambeaux de cottes, de chausses, de chemises et vieilles dents.
Et bien mélancolique il se disait :
— Ma journée est perdue, aucune d’elles n’a laissé sa langue dans la mêlée.
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Revenant [du marché] de Bruxelles, [Ulenspiegel et Lamme] virent, dans une maison de pierres, quai aux briques, dans une salle basse, une belle dame vêtue de satin, qui disait à sa cuisinière :
—Fourbissez-moi cette poêle, je n'aime pas la sauce à la rouille.
Ulenspiegel passa le nez à la fenêtre.
—Moi, dit-il, je les aime toutes, car ventre affamé n'est pas très grand électeur de fricassées.
*La dame se retournant :
—Quel est, dit-elle, ce bonhommet qui se mêle de mon potage ?
—Hélas, belle dame, répondit Ulenspiegel, si vous vouliez seulement en faire un en ma compagnie, je vous enseignerais des ragoûts de voyageurs inconnus aux belles dames sédentaires.
Il est joli homme, dit la cuisinière à la dame, faisons-le entrer et qu'il nous conte ses aventures.
—Mais ils sont deux, dit la dame.
—J'en soignerai un dit la cuisinière.
—Madame, répartit Ulenspiegel, nous sommes deux, il est vrai, moi et mon pauvre Lamme qui ne peut porter cent livres sur le dos, mais en porte cinq cents sur l'estomac en viandes et boissons, volontiers.
—Mon fils, dit Lamme, ne te gausse point de moi, infortuné à qui sa bedaine coûte si cher à remplir !
—Il ne te coûtera pas un liard aujourd'hui, dit la dame. Entrez céans tous deux.
—Mais, dit Lamme, il y a aussi deux baudets sur lesquels nous sommes.
—Les picotins, répondit la dame, ne manquent point en l'écurie de M. Le comte de Meghem.
La cuisinière quitta sa poêle et tira dans la cour Ulenspiegel et Lamme sur leurs ânes, lesquels se mirent à braire incontinent.
Les deux pélerins mangèrent à grand planté et burent à tire-larigot. Et la dame comtesse de Meghem donna encore cette nuit à souper à Ulenspiegel et à Lamme, et ainsi le lendemain et les jours suivants. Les ânes avaient double picotin et Lamme double ration. Pendant une semaine il ne quitta point la cuisine, jouant avec les pats et vidant force chopes.
Dans l'entretemps, Ulenspiegel et la dame vivaient amicalement. Elle lui dit un jour :
—Thyl, tu as la tête folle ; qui es-tu ?
—Je suis, répondit-il, un fils qu'Heureux Hasard eut un jour avec Bonne Aventure.
—Tu ne médis point de toi, dit-elle.
—C'est de peur que les autres ne me louent, répondit Ulenspiegel.
—Prendrais-tu la défense de tes frères qu'on persécute ?
—Les cendres de Claes battent sur ma poitrine, répondit Ulenspiegel.
—Comme te voilà beau ! dit-elle. Qui est ce Claes ?
Ulenspiegel répondit :
—Mon père, brûlé pour la foi.
—Le comte de Meghem ne te ressemble point, dit-elle ; il veut faire saigner la patrie que j'aime, car je suis née à Anvers, la gracieuse ville. Sache donc qu'il s'est entendu avec le conseiller de Brabant, Scheyf, pour faire entrer dans Anvers ses dix enseignes d'infanterie.
—Je le dénoncerai aux bourgeois, dit Ulenspiegel, et j'y vais de ce pas, leste comme un fantôme.
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— De quoi t’inquiètes-tu ? dit-il. N’avons-nous dans la huche le gâteau qu’hier nous offrit Katheline ? Ne vois-je là un gros morceau de bœuf qui fera au moins pendant trois jours du bon lait pour l’enfant ? Ce sac de fèves si bien tapi en ce coin est-il prophète de famine ? Est-elle fantôme cette tinette de beurre ? Sont-ce des spectres que ces enseignes et guidons de pommes rangés guerrièrement par onze en ligne dans le grenier ? N’est-ce point annonce de fraîche buverie que le gros bonhomme tonneau de cuyte de Bruges, qui garde en sa panse notre rafraîchissement ?
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À quinze ans, Ulenpiegel éleva à Damme, sur quatre pieux, une petite tente, et il cria que chacun y pourrait voir désormais représenté, dans un beau cadre de foin, son être présent et futur.
Quand survenait un homme de loi bien morguant et enflé de son importance, Ulenspiegel passait la tête hors du cadre, et contre-faisant le museau de quelque vieux singe, disait :
—Mufle savant peut pourrir, mais fleurir non ! Ne suis-je point bien votre miroir, monsieur de la trogne doctorale ?
S'il avait pour chaland un robuste soudard, Ulenspiegel se cachait et montrait, au lieu de son visage, au milieu du cadre, une grosse platelée de viande et de pain, et disait :
—La bataille fera de toi potage. Que me bailles-tu pour ma bonne aventure, ô soudard chéri des corbeaux et vautours ?
Le soudard baillait, selon son humeur, une paire de soufflets ou un liard d'obole, mais Ulenspiegel n'en avait cure, certain d'être dans le vrai.
Ainsi montrait-il leur miroir à ceux de Damme, de Bruges, de Blankenberghe, voire même d'Ostende et au milieu de leur dire en son langage flamand : "Ik ben u lieden spiegel, je suis votre miroir, " il leur disait abréviant : "Ik ben ulen spiegel, " ainsi que cela se dit présentement en Flandre.
Et de là lui vint son surnom d'Ulenspiegel.
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À Damme, en Flandre, quand mai ouvrait leurs fleurs aux aubépines, naquit Ulenſpiegel, fils de Claes.

Une commère sage-femme & nommée Katheline l’enveloppa de langes chauds, &, lui ayant regardé la tête, y montra une peau.

— Coiffé, né sous une bonne étoile ! dit-elle joyeuſement.

Mais bientôt se lamentant & déſignant un petit point noir sur l’épaule de l’enfant :

— Hélas ! pleura-t-elle, c’eſt la noire marque du doigt du diable.

— Monſieur Satan, reprit Claes, s’eſt donc levé de bien bonne heure, qu’il a déjà eu le temps de marquer mon fils ?

— Il n’était pas couché, dit Katheline, car voici seulement Chanteclair, qui éveille les poules.

Et elle sortit, mettant l’enfant aux mains de Claes.

Puis l’aube creva les nuages nocturnes, les hirondelles raſèrent en criant les prairies & le soleil montra pourpre à l’horizon sa face éblouiſſante.

Claes ouvrit la fenêtre & parlant à Ulenſpiegel :

— Fils coiffé, dit-il, voici monſeigneur du Soleil qui vient saluer la terre de Flandre. Regarde-le quand tu le pourras, &, quand plus tard tu seras empêtré en quelque doute, ne sachant ce qu’il faut faire pour agir bien, demande-lui conſeil ; il eſt clair & chaud ; sois sincère comme il eſt clair, & bon comme il eſt chaud.

— Claes, mon homme, dit Soetkin, tu prêches un sourd ; viens boire, mon fils.

Et la mère offrit au nouveau-né ses beaux flacons de nature.
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