Le bien ne périt point
S'il reste un homme qui s'en souvienne
Les paroles ne s'envolent point
S'il reste une voix pour les redire
Le Code à jamais resplendit
S'il reste un cœur pour nourrir sa flamme.
Continue de jacasser, espèce de lézard obèse, songeait Bowen à cet instant. Encore quelques pas, et je te ferai rentrer tes sarcasmes dans la gorge.
Gilbert fit un bond en arrière, chuta et releva la tête juste à temps pour voir la patte griffue se crisper, osciller dans l'espace puis retomber dans sa direction. Une griffe frôla le visage horrifié de Gilbert, trancha le cordon de sa ceinture et s'écrasa au sol entre ses jambes écartées, à quelques centimètres à peine de cette partie de lui-même qu'il désignait par euphémisme sous le nom de « bâton de vie ». Bien sûr, en tant que moine il n'avait pas l'occasion de l'utiliser en tant que tel, aussi n'occupait-elle pas une place prépondérante dans son anatomie. Toutefois, elle pourvoyait à certaines fonctions naturelles qui auraient pu pâtir de sa mise hors d'usage ; aussi se réjouit-il de ce que la griffe du dragon l'ai en définitive épargnée.
C'était en cherchant la fille qu'il avait découvert Bowen... et le dragon. Les trois acteurs de son passage de l'état de prince mourant à celui de roi vivant, réunis en un même lieu. Une coïncidence pour le moins troublante.
Le moine avait constitué un agréable dérivatif à sa solitude. Un peu trop bavard, certes... Et comme poète, un vrai désastre. Mais il était sincère, bienveillant, et il avait un cœur d'or.
- Tu mens, dragon ! s'écria Bowen, refusant d'écouter.
- Arrête de m'appeler dragon ! riposta l'autre en criant de plus belle. J'ai un nom !
- Quel nom ? vociféra Bowen.
Un silence gêné succéda aux éclats de voix, puis le dragon bredouilla, l'air embarrassé :
- Eh bien... il est imprononçable dans ta langue.
La vérité est mauvaise conseillère.. Il est rare qu'elle mène à la victoire. En
revanche, elle est fort capable d'allonger le cou d'une rebelle...
Il y a longtemps, quand l'humanité était encore jeune, le plus sage d'entre nous prit pitié de l'homme et partagea avec lui nos secrets.
Il est facile de venger son honneur. Mais cet affront-là, le vol d'une jeunesse, rien ne peut le réparer.
La mélancolie consuma l'âme de Bowen comme les flammes avaient consumé le corps du dragon.