Né en 1772 à Besançon – la même ville où devaient naître quelques années plus tard, Victor Hugo et Proudhon – il avait donc déjà 17 ans quand il assista à la Révolution française. Il n’y prit aucune part et ne paraît même pas y avoir prêté grande attention. Sans doute n’a-t-il pas pensée que ce fut là un événement à comparer come importance avec les visions qui hantaient son cerveau ; dans ses livres il ne fait que rarement allusion à la Révolution. Il gagna sa vie comme employé de commerce, voilà tout ; non point employé dans de grands magasins, qui n’existaient pas encore, mais simple « sergent de boutique », disait-il de lui-même. L’aune à la main, il a, jusqu’à sa retraite, mesuré et taillé les « coupons » d’étoffes pour les clients. Il a passé à Lyon une grande partie de sa vie, puis à Rouen. Il n’avait pas, comme il le dit lui-même, beaucoup de temps pour lire, aussi son instruction fut-elle tout à fait sommaire. Il gagnait entre 1000 et 1500 francs par an, et quoique l’argent, il est vrai, eût alors une autre valeur qu’aujourd’hui, cependant on comprend qu’il ait vécu dans la condition la plus humble. Il eut toutefois la change de faire un petit héritage qui lui permit d’aller prendre sa retraite à Paris, où il finit par trouver quelques disciples. Il n’a jamais affecté les allures excentriques qui pourraient donner à penser les étonnantes citations que je viens de vous lire ; il ne s’est jamais fait une tête d’auteur romantique. C’était un petit employé parfaitement correct par sa tenue, toujours très bien brossé, portant la cravate blanche, et d’aspect le moins démoniaque que l’on puisse imaginer, parfaitement réglé dans ses habitudes, notant chaque jour le nombre de pages écrites, écrivant par exemple : « aujourd’hui jour de la Chandeleur, j’ai écrit les 20/36 pages de mon livre ». Célibataire obstiné, menant une vie extrêmement régulière, il avait les goûts non pas précisément d’un vieux garçon, mais disons plutôt d’une vieille fille, passant ses moments de loisirs à s’occupe des fleurs, aimant beaucoup à regarder les militaires et à suivre les retraites avec musique, comme les bonnes d’enfants, d’ailleurs ayant horreur de la guerre. Il s’intéressait beaucoup aux enfants, quoi que n’en ayant jamais eu, et leur a donné une très grande place dans ses écrits, mais il ne les aimait qu’à la condition qu’ils ne fissent pas de bruit et qu’on les envoyât se coucher de bonne heure. Et ce contraste entre une vie aussi bourgeoise, aussi respectable et une imagination aussi dévergondée, serait suffisant pour éveiller la curiosité et à donner le désir d’étudier de plus près de bizarre génie.
La seule doctrine socialiste qui existât de son temps c’était le communisme qu’avait déjà enseigné à son époque Robert Owen, le socialiste anglais et, dans une certaine mesure, L’École de Saint-Simon.
Un bœuf, une vache, un mouton même, exigent pour leur nourriture plus d’espace que l’homme. Il faut donc choisir entre l’homme et le bœuf. Du jour où il faudra toute la terre pour l’homme il n’en restera pas pour le bétail. Il en sera de l’histoire du bétail ce qu’il en a été du gibier. Ce que nous appelons aujourd’hui le gibier, c’est-à-dire les animaux sauvages mais comestibles, a été la nourriture populaire de hommes de tous pays : au moyen âge c’était encore une nourriture courante : il n’y a qu’à lire les chroniques de l’époque. […] un jour viendra où le bétail sera aussi rare que l’est aujourd’hui le gibier, où le gigot de mouton sera un objet de luxe comme aujourd’hui le cuissot de chevreuil, une tête de veau comme aujourd’hui une hure de sanglier. Seuls les petits animaux, ceux qui n’exigent pas un grand espace pour vire ou même qui vivent des miettes de notes table, cochons, volailles, lapins, continueront à figurer dans les menus quotidiens.
Il y a trois catégories parmi les végétariens. Les modérés, ceux de droite, si je puis dire, qui admettent comme nourriture non seulement tous les végétaux mais aussi les produits animaux qui n’impliquent pas la mort de l’animal dont ils proviennent, tels que les œufs, le lait, le fromage, le miel des abeilles. Puis les végétariens de plus stricte observance qui excluent tout produit animal, même non souillé de sang, pour s’en tenir aux produits de la terre. Enfin, ceux de l’extrême gauche, les « exaltés » - c’est le nom de leur secte, elle n’est pas nombreuse – qui rejettent les grains et légumes, pour s’en tenir uniquement aux fruits, frais ou secs, pris dans un sens assez large, y compris marrons, noix, olives, et qui pensent que ce menu suffit parfaitement à l’alimentation des l’homme et même dispense de recourir à d’autres liquides pour la boisson – tout comme Adam et Eve dans leur jardin d’Eden.
Ce n’est donc pas par la contrainte qu’il emploiera pour briser cette exploitation du consommateur, c’est la libre exploitation des intéressés eux-mêmes de tout ce qui est nécessaire à leurs besoins et pour consommer tout ce qu’ils produisent : les consommateurs formant ainsi dans le monde économique (ce monde que Fourier appelle avec mépris « la civilisation ») des îlots – de grands ménages, chaque ménage devant compter environ 400 familles et constituer ce qu’il appelle le phalanstère. Ce mot est le plus connu , mais le véritable nom qu’il lui avait donné est association domestique agricole, tout à la fois société coopérative de consommation et société coopérative de production, emboîtées l’une dans l’autre, solidaires l’une de l’autre, de façon à former par leur réunion l’association coopérative intégrale.
Cette esquisse du phalanstère suffit pour éviter l’erreur si répandue de croire que Fourier était un communiste ! Si vous voulez vous faire une idée , sinon exacte du moins la plus rapprochée, de ce qu’aurait été le phalanstère, s’il avait été réalisé suivant les vues de Fourier, il suffit d’aller passer quelques jours dans un de ces Palaces Hôtels, tels qu’on en trouve dans toutes les grandes stations de touristes, immenses établissements avec des centaines de chambres et même des appartements à divers prix, avec petites tables dans de vastes salles à manger, mais avec la faculté de se faire servir dans son appartement – et nul autre communisme que l’installation de certains services communs, tels que salles de lectures, de concert, de théâtre, de jeux, et, au dehors, tennis ou golf.
« Absorber la cupidité individuelle dans les intérêts collectifs de chaque série. En harmonie, où les intérêts sont combinés et où chacun est associé, ne fût-ce que pour la proportion de bénéfice assigné au travail, chacun désire la prospérité de tous, chacun souffre du dommage qui atteint la moindre portion de territoire. » Fourier se représente sa société future commune espèce de montre où chaque roue, n’ayant pour moteur que son intérêt individuel, voudrait tourner à son gré, mais comme chaque roue est engrenée avec une autre et ne peut se mouvoir isolément, il se trouve que toutes les roues sont obligées de tourner ensemble et de donner cette harmonie qui s’appelle l’heure juste.
dans la seconde moitié de ce même siècle, [cette période du socialisme français] se trouvait complètement discréditée [...] à partir de 1867, l’avènement d’un système socialiste qui fut lié dans une certaine mesure à la victoire de l’Allemagne en 1870 [...] .. étant donné la prétention du socialisme nouveau à n’employer que la méthode scientifique, à se fonder uniquement sur l’histoire, l’évolution, la critique, il ne pouvait qu’afficher le plus profond mépris pour le socialisme français dit utopique, parce que celui-ci consistait en constructions à priori, idéologiques, parce qu’il se montrait fraternisant, épris de justice, la larme à l’œil, le cœur sur la main.
« Tout tentative socialiste sera contrecarrée par un sérieux obstacle : la nature des gens qui y sont naturellement attirés. À côté d’esprit nobles et élevés, dont les intentions sont purement philanthropiques et qui sont disposés à supporter le travail et la peine pour le soutien d’une cause dont ils espèrent le bien du genre humain, se trouvent vingt fois plus de visionnaires, d’exaltés, d’égoïstes, de batailleurs, d’incompris, de gaspilleurs, de polissons, en un mot de propres à rien, qui ne se trouvent bien nulle part… »
Horace Greeley, cofondateur en 1848 du phalanstère « La Phalange de l’Amérique du Nord », détruite par le feu en 1854.
La formule fameuse de Karl Marx : « L’émancipation des travailleurs ne peut venir que des travailleurs eux-mêmes », est tout à fait étrangère au programme du socialisme de cette époque et particulièrement celui de Fourier. Non seulement il n’excluait pas la classe possédante comme facteur de la transformation sociale, mais même il ne l’excluait pas des bienfaits à en attendre ; il voulait que cette association coopérative intégrale réalisât le bonheur non seulement pour les ouvriers, mais pour tous ; sa thèse était que, dan notre civilisation, les riches étaient aussi malheureux que les pauvres et avaient autant besoin d’être sauvés !