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Citation de Dorian_Brumerive


Vous voyez cette ville, dit le comte de Saint-Germain, enveloppant l’horizon d’un geste circulaire, couchée au soleil devant son château comme une sultane aux pieds du maître.
Le petit auditoire, groupé comme autrefois les pieds du « Décameron », devint attentif à la parole du magicien qui passionnait alors l’Europe entière par ses prodiges.
Debout sur le bord de la plate-forme, immobile comme une statue, le bras étendu, l’œil fixe, son attitude, sa voix, son geste, tout lui donnait l’aspect d’un génie qui commande aux éléments. À cette heure, si quelque phénomène inattendu s’était produit dans l’atmosphère, il eût été observé sans surprise.
– Avant un demi-siècle, continua-t-il après une pause, comme s’il répétait les paroles qu’une voix aérienne murmurait à son oreille, avant un demi-siècle, tout ce qui est doué de vie dans cette brillante et joyeuse capitale, rois, princes et princesses, seigneurs de haut lignage et grandes dames, bourgeois et gens du populaire, tous dormiront sous la terre où ils s’agitent et qu’ils foulent avec insouciance, comme s’ils ne devaient jamais mourir. Ce château, sur lequel nous sommes rassemblés, élevé par le rois Louis XIV, et que nous pouvons encore admirer dans toute sa beauté architecturale, était l’orgueil de ce royal domaine. Où sont maintenant ceux qui l’animaient au milieu des fêtes ? À peine sa base est-elle aujourd’hui assez solide pour ne pas fléchir sous son propre poids; il va disparaître. Et l’homme, ivre d’orgueil, se flatte comme si les dieux lui avaient donné l’immortalité de la vie.
Bientôt, oui, bientôt, et ceci est l’ordre inévitable des choses, l’inexorable arrêt du destin, cette capitale sera abandonnée, et ce palais qui la domine sera vide comme un cercueil profané. Oui, je vois se dérouler l’action de la grande Tragédie royale, dans ce décor de pierre blanche et de verdoyant feuillage.
Versailles, ton nom majestueux et sonore résonne avec une vibration tombale. On n’entend plus le bruit métallique de tes longues grilles à flèches dorées, le roulement de tes lourds carrosses, le coup d’archet de tes fêtes. L’herbe pousse sur le sable, effaçant les empreintes de nos pas; les flots de velours et de satin ne glissent plus sur les dalles de marbre rose. Dans ton parc, désert et silencieux, les blanches statues s’alignent sous les voûtes ombreuses des allées, un satyre ricane derrière les charmilles, la tête élégante d’une nymphe apparait dans les roseaux, Diane s’élance avec ses lévriers. Les fleuves de bronze à la barbe limoneuse, se penchent sur leurs urnes vides, Hercule s’appuie sur sa lourde massue, Neptune allonge son trident sur la mer, Apollon lance son quadrige. Les jeux d’Amours observent les bustes sévères des empereurs romains, à l’œil calme, à la lèvre courbée; le Gladiateur mourant git à terre, et Vénus lui sourit en tordant ses cheveux d’or…
Dormez, dormez, dormez, dieux immobiles, rois de l’olympe, héros de la Grèce, dormez, habitants des forêts et des ondes, divinités charmantes, dormez, peuple de bronze et de marbre, frappé d’enchantement dans le palais du Sommeil, dormez, fantômes du passé, dormez autour de la tombe de la grande Monarchie.
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