Avec Gracia Bejjani, Gwen Denieul, Charles Pennequin, Milène Tournier, Gilles Bonnet, Erika Fülöp & Gaëlle Théval
Après les sites et blogs des années 2000 puis les réseaux sociaux au début des années 2010, les poètes et écrivains investissent désormais l'espace YouTube par une production littéraire audio-visuelle. À la fois archive et laboratoire, YouTube favorise l'invention de nouvelles écritures à l'écran. de multiples traditions se croisent, du vidéopoème au journal et à la performance, exploitant les spécificités du support numérique. En compagnie d'auteurs et de poètes praticiens de la littéraTube et des auteurs du premier essai sur le sujet, cette soirée invite à découvrir ce champ de création littéraire en plein essor à travers un ensemble de projections, de performances et de discussions.
En savoir plus : consultez le répertoire des chaînes YouTube & Littérature sur le site de Littératube.
À lire Gilles Bonnet, Erika Fülöp, Gaëlle Théval, Qu'est-ce que la littéraTube ?, Ateliers de Sens public, à paraître le 22 mai 2023.
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Charles Péguy c'est comme un arbre. Quand on regarde un arbre on ne demande pas si c'est logique. Si la logique de cet arbre est de pousser. Comme à Péguy, on ne demande pas si c'est logique que ça parle. Car ça parle. C'est comme un fleuve. Ou plutôt comme la sève d'un arbre. ça ne fait que monter (p.9)
Que faut-il croire alors ? il faut croire en la tête à Péguy, la bobine à Péguy qui court tête nue à travers ses lignes d'écrits. Ses lignes où ça éclate de partout, où ça se trompe de toute part et où ça se réécrit, redit, approfondit, jusqu'à faire des trous. Il faut croire en sa bonté et en sa colère. Il faut croire en sa guerre, comme véritable rédemption pour notre monde moderne et postmoderne.[ "Charles Péguy dans nos lignes"p.65]
Un poète qui attaque la pensée. Un poète qui fonce tête nue dans la vie. Un poète qui va au but, comme le décrit Nietzsche. Et il n'y a pas à rougir de ce rapprochement. En bien des endroits la puissance de Péguy rejoint celle de Nietzsche. Car ça pense littéralement et dans tous les sens. Dans la joie du rythme. Dans la marche saine des phrases. Ca roule et ça envoie promener. Par la générosité du parler. Par l'attaque franche et désintéressée de sa pensée. (p.28)
La poésie est une épingle à nourrice sur la bedaine de l’humanité.
dis-moi papa …
dis-moi papa combien de temps il va encore ici
rester le temps sans qu'on soit plus que rien que
nous et à rester sans temps et sans le rien qui
pousse et à penser qu'on naît alors qu'on se
souvient même pas qu'on se souvenait de rien.
ou sinon laisser pourrir entre nous ces fluides et
les lumières en plan comme choses inertes matières
d'y respirer en plus désincarné et acter ça la trouille
en son bocal sa vérité qu'il ne sait pas la réalité que
dans son fond asseoir sa peine et biner ça ballons
crevés ou dégonflés articuler tout l'tas des loques
comme suspendues mais en plus fil comme nulle
passoire ne plus savoir la peur s'oublier à tout
s'épelle dessus se fait piler bien mieux qu'au
naturel où n'être qu'outre.
Mais relisez le donc ! (Péguy) ou plutôt : lisez-le ! car vous ne l'avez même pas lu. Vous l'avez condamné illico du fond de votre esprit. Du fin fond de votre pensée libérée vous l'avez déjà condamné, sans même l'avoir jamais lu ! Lisez donc la Deuxième Elégie XXX, ou lisez donc Notre Jeunesse, pour vous persuader de votre erreur. Vous êtes déjà des persuadés, mais avec Péguy vous apprendrez que votre persuasion a fait de votre esprit tout serré, a fait de votre pensée un cachot à idées reçues. Lisez-donc le Porche de la vertu et vous mourrez sur place ! (p.27)
Il
vit dans un cadavre mais en conscience.
et c'est l'autre qui lui a donné ça,
qui lui a allumé sa conscience,
comme une loupiote,
une ampoule lumineuse dans sa nuit d'être.
car l'amour est monstreux.
l'amour c'est remplir des seaux et les vider et
les re-remplir et les re-vider. mais de soi à soi.
c'est prendre tout à l'autre et lui donner.
l'amour c'est un excès de solitude.
c'est ça aussi l'amour.
c'est se retrouver dans la peau
du cadavre mais qui veut vivre,
et l'amour seul nous tire de là,
mais nous y remet.
il nous remet dans le tombeau.
il nous remet avec tous les parements de l'autre,
tout ce qui fait qu'on va rejoindre la tribu
avec sa langue arrachée.
l'amour c'est mettre une langue sur l'autre
et puis mordre dedans.
l'amour c'est la morsure qu'on panse.
morsure pensée de l'autre qu'on porte à soi.
mais soi est un barrage à l'autre.
c'est pour ça qu'on a inventé la chose
amoureuse au même
moment que la parole.
c'est parce qu'il faut des alter égo,
c'est parce qu'il faut des altérés à qui on dit go,
colle-toi à tous ses mots,
colle-toi l’égo à l'altercation,
vis bien l'altération, vis bien ton moment tout altéré,
où tu te désalternes, ou alors tu t’alternes,
mais en chacun ton tour, comme à la Ducasse,
pour y perdre toute ta place.
Car il en ferait une de sacrée tête Péguy, s'il nous voyait ainsi tout le temps capituler, avant même un semblant d'engagement. Un semblant de parole engageante. Un semblant de conflit. Un semblant de vie. Il nous ferait une de ces têtes Péguy, face à nos têtes de capitulaires et de concédants, nos têtes patibulaires dans le capital qui ment. (p.63)
Péguy, c'est aussi une symphonie. Péguy est une vraie symphonie quand il écrit. La symphonie du souffle, car Péguy a le souffle symphonique. Si on le lit. Si on arrive à suivre le souffle de l'écrit. Si on n'est pas époumoné avant la fin. (...) Et ce n'est pas la symphonie pastorale Péguy, il n'a rien d'un pasteur. Il n'a rien d'un écrivain qui veut soigner ses ouailles par sa symphonie pastorale Péguy. (...)
Il est juste un poète, mais quel poète ! (p.43)
Les grandes phrases de Péguy, il faudra aller les chercher sous des plis de parlottes (...) C'est avec cette recherche, à faire parler même de Dieu sous la parlotte, c'est-à-dire comme s'il se trouvait au coin d'une table, comme s'il était au coin d'une table dans une cuisine. Comme si Dieu était cette bonne femme ou ce bonhomme à ce coin de table et à éplucher ses légumes pour la soupe. (p.48)