Début de l'entretien de Charlotte Cayeux avec Françoise Mariotti au Gazette Café de Montpellier le 1er octobre 2021 au sujet de son livre "L'Autre Ahmed ou l'Attente"
Tous les proches de détenus purgent leur peine à l’extérieur, c’est ce que certains ont appelé « l’autre peine ».
J’observe autour de moi et je me sens décalée. Munie d’un bac+5, originaire d’une famille lettrée typiquement classes moyennes, mon statut social ne cadre pas. Je le savais de façon théorique mais je le réalise vraiment maintenant : l’incarcération concerne essentiellement les milieux populaires, et en très grande partie des familles issues de l’immigration.
Je pense au temps où on avait le temps, et que le bonheur on ne le ressent pleinement que lorsqu’il est passé. Et je crains confusément que lorsqu’il sera revenu, on ne sache plus alors le ressaisir.
Il revient et nous nous levons, abandonnant sur la table nos cocktails à peine entamés. Ce détail me frappe, comme une métonymie de la situation : devant cette réalité qui vient de s’abattre sur moi, tout s’arrête. Les jours qui suivront, la vie va se poursuivre autour de moi comme dans un deuil, comme si elle ne me concernait pas, les événements glisser sur moi.
C’est le sentiment de l’injustice qui m’étreint en premier, le sentiment qu’on me punit moi autant que lui, et cela sans aucune raison, la sensation d’un énorme gâchis.