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Citations de Charlotte Delbo (232)


Charlotte Delbo
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Une femme de cette trempe ne peut être oubliée.
Je suis touché à nouveau aujourd’hui par les mots de ce poème qui ont gardé une force incroyable.

PRIÈRE AUX VIVANTS POUR LEUR PARDONNER D'ÊTRE VIVANTS

Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
un vêtement qui vous va bien
qui vous va mal
qui vous va à peu près
vous qui passez
animés d’une vie tumultueuse aux artères
et bien collée au squelette
d’un pas alerte sportif lourdaud
rieurs renfrognés, vous êtes beaux
si quelconques
si quelconquement tout le monde
tellement beaux d’être quelconques
diversement
avec cette vie qui vous empêche
de sentir votre buste qui suit la jambe
votre main au chapeau
votre main sur le coeur
la rotule qui roule doucement au genou
comment vous pardonner d’être vivants…
Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
comment vous pardonner
ils sont morts tous
Vous passez et vous buvez aux terrasses
vous êtes heureux elle vous aime
mauvaise humeur souci d’argent
comment comment
vous pardonner d’être vivants
comment comment
vous ferez-vous pardonner
par ceux-là qui sont morts
pour que vous passiez
bien habillés de tous vos muscles
que vous buviez aux terrasses
que vous soyez plus jeunes chaque printemps
Je vous en supplie
faites quelque chose
apprenez un pas
une danse
quelque chose qui vous justifie
qui vous donne le droit
d’être habillés de votre peau de votre poil
apprenez à marcher et à rire
parce que ce serait trop bête
à la fin
que tant soient morts
et que vous viviez
sans rien faire de votre vie.

Charlotte Delbo (1913-1985) – Une connaissance inutile (Éditions de Minuit, 1970)

***
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Il y a une mère qui calotte son enfant cinq ans peut-être parce qu'il ne veut pas lui donner la main et qu'elle veut qu'il reste tranquille à côté d'elle. On risque de se perdre on ne doit pas se séparer dans un endroit inconnu et avec tout ce monde. Elle calotte son enfant et nous qui savons ne lui pardonnons pas. D'ailleurs ce serait la même chose si elle le couvrait de baisers.
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Qu’il nous ait fallu une volonté surhumaine pour tenir et revenir, cela tout le monde le comprend. Mais la volonté qu’il nous a fallu au retour pour revivre, personne n’en a idée. Tout le temps que nous étions là-bas, nous étions tendues vers le but, un seul but : rentrer. Rentrer, nous ne voyions pas au-delà. Rentrer, après tout serait facile. Qu’étaient les difficultés de la vie auprès de ce que nous avions enduré et surmonté ? Et c’est bien là que nous nous trompions. Et c’est là que nous avons été prises au dépourvu. Tous les problèmes de la vie se posaient : travailler, se loger, faire sa place. Rentrer n’avait pas tout résolu. Il fallait s’y attaquer avec des forces diminuées, une santé altérée, une volonté entamée. Le courage qu’il nous a fallu à ce moment-là, personne ne s’en rend compte. Et puis, je crois qu’il y a, au fond de chacun, ce dépôt des idées reçues dans l'enfance, une espèce de croyance dans la justice immanente. Il y a plus ou moins au fond de chacun un livre à deux colonnes : le doit et l’avoir, qui doivent s’équilibrer. Le doit, c’est la somme des malheurs auxquels nul n’échappe, la somme pour une vie. L’avoir, la part de bonheur à laquelle chacun a droit, qui fait le contrepoids. Celui qui est rentré s’est dit qu’il avait eu toute sa part de malheur d’un coup. Et c’est là qu’il a été pris au dépourvu.
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J'étais trop absente pour être désespérée.
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Que nous soyons là pour le dire est un démenti à ce que nous disons.
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Ceux du commando du ciel ont des privilèges. Ils sont bien vêtus, mangent à leur faim. Pour trois mois. Le temps écoulé, d'autres les remplacent qui les expédient, eux. Au ciel. Au four. Ainsi de trois mois en trois mois. Ce sont eux qui entretiennent les chambres à gaz et les cheminées.
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Ce point sur la carte
Cette tache noire au centre de l'Europe
cette tache rouge
cette tache de feu cette tache de suie
cette tache de sang cette tache de cendres
pour des millions
un lieu sans nom.
De tous les pays d'Europe
de tous les points de l'horizon
les trains convergeaient
vers l'in-nommé
chargés de millions d'êtres
qui étaient versés là sans savoir où c'était
versés avec leur vie
avec leurs souvenirs
avec leurs petits maux
et leur grand étonnement
avec leur regard qui interrogeait
et qui n'y a vu que du feu,
qui ont brûlé là sans savoir où ils étaient.
Aujourd'hui on sait
Depuis quelques années ont sait
On sait que ce point sur la carte
c'est Auschwitz
On sait cela
Et pour le reste on croit savoir.
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Elle faisait signe à la nouvelle arrivante qui courait, agitait les mains vers nous, sautait dans le train et apparaissait sur le seuil du compartiment où on l’accueillait en riant.
« Toujours la même. Toujours peur d’être en retard. Pourquoi as-tu peur de rater les trains ? Il y en a un que tu aurais dû manquer et celui-là tu ne l’as pas raté.
- Eh bien, cela m’a donné le plaisir de faire ta connaissance. Comment vas-tu ? »
Elle tendait sa joue.
« Elle n’a pas changé. Toujours tête en l’air. Vous vous rappelez le jour où elle a perdu ses chaussures ?
- Je n’avais pas perdu mes chaussures. On me les avait volées.
- C’est pareil. Tiens, assieds-toi. Ne reste pas plantée. Ici on peut s’assoir. N’empêche que si Carmen n’en avait pas volé tout de suite une autre paire chez les Gitanes...
- Vous avez volé des chaussures ? disait Jeanne avec reproche.
- Parce que, toi, tu n’as jamais volé ?
- Aux SS, quand c’était possible, oui – aux prisonnières, non.
- Toi, avec ta vertu, on se demande comment tu as fait pour revenir. Heureusement que nous étions là. Et qu’est-ce que tu voulais faire ? Aller à l’appel pieds nus, par moins vingt ? Nous voulions la ramener, nous, cette bécasse.
- Oui, pour me faire enrager.
- Les Gitanes nous volaient tout. Des godasses, elles en avaient plus d’une paire en trop. On voit que tu n’es pas passée par Birkenau, Jeanne.
- Si tu n’étais pas aussi étourdie, tu aurais veillé sur tes godasses. Moi, tout le temps que nous étions au block 26, je les ai mises sous ma tête, le soir, en guise d’oreiller.
- Ecoute, tu le sais que je perds tout. Tu ne vas pas me reprocher de m’être fait voler mes godasses chaque fois que nous nous revoyons ?
- Toi aussi, tu as de la chance que nous t’ayons ramenée. A force de tout perdre, tu te serais perdue aussi.
- Chacune de celles qui sont revenues a eu de la chance, disait Jeanne. La chance d’avoir les autres.
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Etre heureux, est-ce une question que nous nous posons, nous ? Je me répète pour m'en assurer qu'il y a vingt-cinq ans que nous sommes rentrés, sinon je ne le croirais pas. Je le sais comme on sait que la terre tourne, parce qu'on l'a appris. Il faut y penser pour le savoir.
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Aucune larme ne m'est venue. Il y a longtemps, longtemps que je n'ai plus de larmes.
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Ils attendent le pire - ils n'attendent pas l'inconcevable.
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Dans la vie, qui a besoin de voir au travers des êtres, de savoir d’un regard s’ils partageraient leur pain ou aideraient d’autres à marcher? Cette perspicacité que nous avons acquise, il faudra nous en défaire, parce que ce sera atroce de tout voir dans sa vérité. Ici, tout est vrai. Durement. Sans ombré. Les bourreaux sont les bourreaux. Ils en ont le costume, les insignes, les traits. Ils ne cherchent pas à dissimuler, à passer pour des hommes. Ils sont les bourreaux sans hypocrisie. Jamais ils ne cherchent à amadouer, jamais ils ne singent un sourire. Ils ne nous voient pas. Nous les voyons dans leur différence toute nette. Les victimes sont les victimes, brutalisées, défaites, humiliées, dégoûtantes, pouilleuses. Et celles qui, de victimes, s’arrangent pour passer du côté des bourreaux, elles prennent immédiatement les signes qui les distinguent: brassard, bâton ou fouet, gueule assortie. Nous aurons vu côte à côte, la pire cruauté et la plus grande beauté. Quand je dis cela, je pense à celles qui m’ont presque portée à leur bras pendant les semaines où je ne pouvais pas marcher, à celles qui m’ont donné leur tisane quand je suffoquais de soif, quand ma langue était comme un morceau de bois rugueux dans ma bouche, à celles qui m’ont touché la main en réussissant à former un sourire sur leurs lèvres gercées quand j’étais désespérée, à celles qui m’ont relevée quand je tombais dans la boue, alors qu’elles étaient déjà si faibles elles-mêmes, à celles qui m’ont pris les pieds dans leurs mains, le soir, au moment de se coucher et qui ont soufflé sur mes pieds quand je sentais qu’ils avaient commencé à geler pendant l’appel. Et je suis là. Toutes mortes pour moi. Personne ne meurt pour personne, dans la vie.
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Yvonne Picard est morte
qui avait de si jolis seins .
Yvonne Blech est morte
qui avait les yeux en amande
et des mains qui disaient si bien .
Mounette est morte
qui avait un si joli teint
une bouche toujours gourmande
et un rire si argentin .
Aurore est morte
qui avait des yeux couleur de mauve .

Tant de beauté tant de jeunesse
tant d'ardeur tant de promesses...
Toutes un courage des temps romains .

Et Yvette aussi est morte
qui n'était ni jolie ni rien
et courageuse comme aucune autre .

Et toi Viva
et moi Charlotte
dans pas longtemps nous serons mortes
nous qui n'avons plus rien de bien .

Auschwitz et après
tome II: Une connaissance inutile page 49
Les Editions de minuit 1970
réimpression le 25 janvier 2016
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Mon découragement en face des livres a duré très longtemps. Des années. Je ne pouvais pas lire parce qu’il me semblait savoir d’avance ce qui était écrit dans le livre, et le savoir autrement, d’une connaissance plus sûre et plus profonde, évidente, irréfutable.
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Nous marchions. Nous interrogions le paysage. Un lac gelé couleur d'acier. Un paysage qui ne répond pas.
La route s'écarte du lac. Le mur de vent et de neige se déplace de côté. C'est là qu'apparait la maison. Nous marchons moins durement. Nous allons vers une maison.
Elle est au bord de la route. En briques rouges. La cheminée fume. Qui peut habiter cette maison perdue ? Elle se rapproche. On voit des rideaux blancs. Des rideaux de mousseline. Nous disons "mousseline" avec du doux dans la bouche. Et, devant les rideaux, dans l'entredeux des doubles fenêtres, il y a une tulipe.
Les yeux brillent comme à une apparition. "Vous avez vu ? Vous avez vu ? Une tulipe."
Tous les regards se portent sur la fleur. Ici, dans le désert de glace et de neige, une tulipe. Rose entre deux feuilles pâles. Nous la regardons. Nous oublions la grêle qui cingle. La colonne ralentit. "Weiter", crie le SS. Nos têtes sont encore tournées vers la maison que nous l'avons depuis longtemps dépassée.
Tout le jour nous rêvons de la tulipe. La neige fondue tombait, collait au dos notre veste trempée et raidie. La journée était longue, aussi longue que toutes les journées. Au fond du fossé que nous creusions, la tulipe fleurissait dans sa corolle délicate.
Au retour, bien avant d'arriver à la maison du lac, nos yeux la guettaient. Elle était là, sur le fond des rideaux blancs. Coupe rose entre les feuilles pâles. Et pendant l'appel, à des camarades qui n'étaient pas avec nous, nous disions : "Nous avons vu une tulipe."
Nous ne sommes plus retournées à ce fossé. D'autres on dû l'achever. Le matin, au croisement d'où partait la route du lac, nous avions un moment d'espoir.
Quand nous avons appris que c'était la maison du SS qui commandait la pêcherie, nous avons haï notre souvenir et cette tendresse qu'ils n'avaient pas encore séchée en nous.

Pp. 96-97
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Il y a une petite fille qui tient sa poupée sur son cœur, on asphyxie aussi les poupées.
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Vous ne pouvez pas comprendre
Vous qui n’avez pas écouté
Battre le cœur
De celui qui va mourir.
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J'ai pleuré encore
parce que tous deux nous avions cru
que l'amour nous serait talisman
C'était plus que perdre une croyance
c'était comme si je me reprochais
de ne pas l'avoir aimé d'un amour plus grand.
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Qu'il est nu
celui qui part
nu dans ses yeux
nu dans sa chair
celui qui part à la guerre
Qu'il est nu
celui qui part
nu dans son coeur
nu dans son corps
celui qui part à la mort.
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Charlotte Delbo
"Ecrire est un acte qui engage tout l'être", affirme-t-elle dans le journal "Le Monde" du 11 septembre 1981, s'insurgeant contre le fait qu'il y ait désormais " tant de livres et si peu d'oeuvres" :

"C'est un acte grave, dangereux. Il y faut du courage. On y risque parfois sa vie et sa liberté (qu'on songe aux écrivains dans les régimes totalitaires), toujours sa réputation, son nom, sa conviction, sa tranquillité, quelquefois sa situation, souvent ses amitiés. On met en jeu sa sensibilité, ce qu'il y a de plus profond en soi. On s'arrache la peau. On se met à vif..."

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