AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

4.45/5 (sur 20 notes)

Nationalité : France
Biographie :

Mêlant poésie et fiction, Charlotte Monégier s'évertue à tracer des voies de passage et des zones de silence quand la vie devient trop brutale. Tels des voyages en forme de mots, ses histoires racontent mille bouts du monde, d'ici ou d'ailleurs.

Publiée par différentes revues littéraires et poétiques, Charlotte Monégier est également l'autrice d'un roman, Petite Fille (2014), d'un recueil de nouvelles, Le Petit peuple des nuages (2020), et d'un recueil de poésie, Voyage(s) (2021), aux éditions Lunatique.

En 2022, un second recueil de poésie, Elle et Lui, paraît chez ce même éditeur, ainsi qu'un roman, Nulle part ailleurs sur la Terre, aux éditions Livres Sans Frontières.

En mars 2023, Ma plaie d'Asie sort aux éditions Lunatique, et conte, en vers libres, ce que peut être l'avortement aux confins de l'Orient.
+ Voir plus
Ajouter des informations
Bibliographie de Charlotte Monégier   (9)Voir plus

étiquettes
Videos et interviews (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de

Nuit blanche à Soweto, extrait tiré du recueil de nouvelles Le Petit peuple des nuages, de Charlotte Monégier (Editions Lunatique, sept. 2020)


Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Nous laisserons au port
Nos peaux trempées d’eau de mer
Nos peaux gonflées de larmes
Et nos peaux de méduses.
Nous laisserons
Flotter sous les bateaux
Les coques molles et les épaves
Tout ce qui use
Tout ce qui rage
Les vagues hautes, les amarres
Ce que nos corps ont éprouvé.

Sur l’île,

Nous oublierons les subterfuges
Les tentations, les abandons
Tous les apparats des marées descendantes
Pour enfin trouver refuge
Sur la roche nue.

Contours aqueux, épais, drus.

Frotter nos cœurs aux parois difficiles
Jusqu’à les rendre purs.

Devenir la terre
Devenir le feu.

S’habiller d’absence, d’incandescence.

Et puis le soir nous compterons
Les étoiles dans nos yeux.
Commenter  J’apprécie          80
Cette chanson sera celle de ton enfance et puis celle de ta chute.

Déjà, elle te rappelle les vacances en Normandie, les vacances dans le Périgord, avec le grenier à photos ; tout est bien sûr très nébuleux, ça fuit d’un bout à l’autre de la France, toujours dans cette Volkswagen grise achetée avec le gros salaire du Père. L’ancienne voiture du peuple tient désormais dans les mains velues de cet homme qui aurait tant voulu être aristocrate. Pour ça, il se tient haut et droit comme une tour de Babel, faite de chair, de muscles et de sang. Au volant, il fonce droit devant, sans s’arrêter, direction Deauville, puis Cabourg. Le bolide parcourt ensuite les routes du Sud, passe par Châteauroux ; chaque fois tu y vomis dans les mêmes toilettes du même restaurant, celui qui se trouve juste en face de la gare et qui s’appelle À la Gare — il faut dire que la route zigzague beaucoup, c’est encore la pudeur des coins esseulés là-bas, les coins esseulés qui tiennent à le rester.

Tu y vomis tout de tes vacances, dans ces toilettes humides où ça sent l’animal mort.

Le Père reprend ensuite le voyage. Le vent dans les cheveux, les yeux clos sur les paroles amères de ce chanteur à la voix suraiguë, tu rêves déjà d’être partout sauf ici, te répétant inlassablement, ce que le monde est vaste, qu’est-ce que je fais là, ce que le monde est vaste ! Le Limousin déploie ses paysages ras et plats, puis vient Montignac avec sa Vézère mystérieuse, ses collines rocailleuses, bien trop élevées pour que tu puisses en voir les sommets et dont les cailloux se fracassent avec violence dans les champs de maïs du bas.
Commenter  J’apprécie          40
Le Père et Arthur sont loin devant. Lorsqu’ils atteignent le marchand de glaces, ils te demandent ce que tu veux. Tu réponds en criant : « Je n’ai pas faim ! ». Mais tu ne sais pas si c’est toi qui as parlé. Le Père loue trois petits bateaux qu’il s’applique à faire voguer sur les eaux calmes du bassin, juste à côté de la Place de la Concorde.

La concorde, voilà une jolie notion en laquelle tu pourrais croire à nouveau ; d’ailleurs tout le monde pourrait y croire, un père et ses deux enfants, des glaces et des bateaux, dans un charmant jardin parisien, avec des rayons crus et clairs qui caressent les blondes chevelures. Un instant, un instant seulement, tu penses encore comme une enfant : Alors ce serait possible de tout oublier et de faire comme avant ? S’enfermer éternellement dans ce moment, comme si Le Père n’aimait pas le whiskey, comme s’il rentrait chaque soir à l’heure convenue, comme si Maman ne faisait pas semblant, comme si plein d’autres choses ? Tu cours vers lui, Le Père, et attrapes le bateau qu’il te tend.

Vous échangez un sourire.
Ce sera le tout dernier de votre vie.
Commenter  J’apprécie          40
Yann aimait les aubes et les crépuscules, ce franchissement délicat des lumières aux heures bleues de la vie. Il disposait des bougies partout dans sa case, il n’avait pas l’électricité. Il se douchait au seau d’eau, caché derrière le vieux banyan, celui qui clôturait son jardin pour ouvrir sur le mien. Yann marchait pieds nus, ses mains étaient énormes. Elles agrippaient des noix de coco, des papayes et des mangues tombées mûres dans les rues de La Saline. Il me les offrait. Je m’en nourrissais. Yann avait prise sur tout.
Commenter  J’apprécie          40
Dans ce café, à midi,
Face au port ou dans Paris
Où était-ce déjà ?
Je ne me souviens que de tes veines
Qui couraient, comme ça,
Le long de ta tisane verveine

Nous n’étions pas seuls et pourtant :
Nous n’étions que toi et moi

La foule bougeait au rythme
Des mots que nous partagions
Et
D’un coup d’un seul
Tu as voulu ma bouche sur tes seins

D’un coup d’un seul
Je suis parti sans rien

Mes bras pourraient être ton refuge
Tu sais
Un peu de bois pour nos secrets
Nous y mettrions des arbres, la forêt
Tout ce qui gêne à l’avancée des chemins
La verdure gelée aux orées de l’aurore
Et la buée des vitres, à la moindre goutte

De nous deux ensemble
Ne resterait qu’un rêve
Celui d’être ton toit
Protégé par tes lèvres
Et chaque jour le paysage
Deviendrait un autre paysage
Commenter  J’apprécie          30
Au milieu de la foule, une jeune fille mince aux cheveux rouges, coincée dans un short, pleure en silence. C’est moi, Chloé. Personne ne le sait, mais je viens de tout perdre. D’une main tremblante, j’essuie les gouttes de sueur qui perlent à mon front. Et les larmes aussi, qui déferlent sur mes joues comme des vagues scélérates. L’été austral est à son comble, l’humidité de l’air se mêle à celle de l’océan, et tout cela donne au paysage la couleur du feu. Les oiseaux, les filaos, la mousse et les nuages ; les montagnes et la route qui serpente à l’ombre des cryptomerias ; les baignades dans la nuit, la torpeur des tropiques ; les banyans et les étreintes magiques – tout s’embrase. Bientôt, je ne distingue plus rien de ma jeunesse. Elle vient de périr sous mes yeux.
Commenter  J’apprécie          30
Charlotte Monégier
Vers Saint-Leu, le paysage est couvert d’épineux. La végétation rampe au sol, elle prend tout du soleil et il ne reste rien pour les autres. L’océan, pâle ; le ciel, gris ; le vent, furieux ; et les hommes et les femmes, qui traînent des corps épuisés sur le bord de la route, ont des airs de miséreux.

Je pense au jardin que nous avions, avec mes parents. Il était très différent, avec des plantes et des arbres de toutes sortes. Nous habitions une grande case toute blanche, construite au milieu, sur une terre salie de graviers. A la porte d’entrée, un panneau indiquait « 1864 », mais ma mère n’y croyait pas. Regarde ces fissures ! disait-elle. Et cette odeur de moisi ! Non, non, cette maison est bien plus vieille. Une varangue carrelée, bâtie près d’un mûrier malade, accueillait parfois nos moments de repos. A l’intérieur, les pièces se succédaient, sombres, petites, jaunies par le temps. Les volets étaient des pans de bois rustiques qu’il fallait pousser fort pour apercevoir le ciel. Le parquet semblait gorgé d’eau, c’était comme le pont d’un bateau. Il tanguait sous mes pieds et je devais me tenir aux murs pour ne pas tomber.

L’architecture du lieu n’était pas la seule à s’imposer avec dureté, il y avait aussi les souvenirs et les traces laissés par les autres, les précédents locataires. Leurs cris résonnaient encore contre les parois – les cris d’amour et les cris de haine, toutes ces choses qui vibrent pendant des siècles, à moins de faire venir un sorcier.

- Cette maison est hantée, assurait ma mère, en serrant des chiffons mouillés contre son ventre.
- Tu exagères ! répondais-je.
- Ecoute un peu le chant des fentes. Le grognement des placards. L’escalier qui geint quand on monte à l’étage...
- C’est normal, tout ça. C’est une vieille case. Elle n’est pas hantée, elle a juste besoin de respirer.
- Non, non, je t’assure : cet endroit a quelque chose de mauvais. Et ça finira par nous prendre.
Commenter  J’apprécie          20
Le Havre paraît toujours plus pâle au soleil
Toujours plus triste, toujours plus loin

Un jour, pour toi
Je marcherai le long de la Seine
J’irai par les paquebots
Et les grues cendrées de l’été
Je prendrai leurs ailes longues et grises
Volerai par-delà ta maison
Ton absence, ma hantise
Et m’arrêterai peut-être au coin de ta rue
Pour m’offrir en mirage

Je dévierai ma route jusqu’aux prochains sables
Ceux qui bougent
Qui font peur
Et placerai mon buste de femme
À la surface de l’horizon
Sur le trait fin que tu vois depuis ton balcon

Il y aura des sirènes et il y aura ce voyage
Que nous ne ferons jamais tous les deux
Commenter  J’apprécie          30
À l’aéroport, à côté des porte-clés en forme de zèbre, trône un Nelson Mandela piqueté de perles brillantes et colorées. Il est grand comme moi. Il lance un sourire aux passants et lève la main bien haut en signe de paix. Je souris. Lorsque Gabriela m’a retrouvé le soir même à la ferme, elle m’a expliqué en quoi consistait son travail. Elle faisait le tour des townships de Johannesburg pour vacciner les habitants, traiter les plaies infectées, bander les entorses. Parfois elle accouchait des femmes seules et partageait le dîner d’un vieillard. Elle travaillait de préférence en soirée, souhaitant conserver une certaine liberté dans ses journées. Gabriela montait à cheval, c’était son souffle, son évasion, et souvent mon père l’accompagnait.

« Un jour, il a voulu monter un zèbre.
— Est-ce qu’il a réussi ?
— Non, bien sûr que non. Ton père s’est retrouvé à l’envers, accroché à la queue de l’animal, la tête posée sur son cul ! Le zèbre ne veut pas d’attache. Il est sauvage.
— Comme mon père.
— C'est vrai. Mais il t’aimait. Il m’aimait. Et il aimait aussi ta mère. Tout ça ce sont des attaches. Est-on vraiment libre quand on aime ? »

Nuit blanche à Soweto, extrait tiré du recueil de nouvelles Le Petit peuple des nuages, de Charlotte Monégier.
Commenter  J’apprécie          20
La couche de neige, dure et lourde, recouvre tout. Les trottoirs, les gouttières, les cheminées n’existent plus. Les passants habituels, les klaxons et les voitures, les animaux tenus en laisse et les ardoises des toitures n’existent plus. Toute la vie s’est blottie sous les flocons de glace et des blancs par milliers en sont nés. Le blanc de la mer, le blanc des yeux mouillés. Le blanc des adieux, sur une aire d’autoroute, un samedi au soleil. Le blanc du cœur de mon père, quand il ne m’aimait pas assez ; le blanc des larmes de ma mère, qui ne savait plus comment me garder.

Quand je regarde le ciel, j’imagine un plafond de nacre. Des cristaux d’aragonite et des reflets irisés miroitent ensemble, sous les gouttes de pluie. Cabourg a pris la forme d’une huître et ça me plaît. Plus que tout je désire m’y faufiler, m’y cacher. Plus que tout je veux dormir dans son iode, poser mon visage sur le mollusque maternel et boire le lait fécondant jusqu’à l’ivresse. Il paraît qu’une huître-mère donne naissance à plus d’un million d’œufs par an. Moi je veux faire éclore plus d’un million de sentiments dans mon cœur, maintenant. Je veux retrouver ce que j’ai perdu, le souvenir de ses baisers doux et les caresses du bout de ses mains. Ses longs cheveux blonds dans mon cou de petit garçon. Ses yeux profonds. Sa façon si triste de dire « Pardon ».

Ma mère disait tout le temps « Pardon ».

L'Huître, extrait tiré du recueil de nouvelles Le Petit peuple des nuages, de Charlotte Monégier.
Commenter  J’apprécie          20

Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Charlotte Monégier (22)Voir plus

Quiz Voir plus

Complétez les titres suivants :

Confession

D'un homme
D'un sabre
D'un masque
D'une tombe

10 questions
104 lecteurs ont répondu
Thème : Yukio MishimaCréer un quiz sur cet auteur
¤¤

{* *} .._..