Le jour d'hier a été une bonne journée. Rien n'a tourné dans ma tête.
Le crime des autres vous souille à bien des égards. Je ne tiens pas à m'étendre là-dessus, mais il faut savoir qu'il empoisonne votre esprit et votre cœur jusqu'à la fin de vos jours. J'ai trop pataugé dans l'obscénité des scènes de crimes pour ne pas être convaincu de ce que j'avance. Qui a déjà senti l'odeur d'un cadavre putréfié ou découvert en forêt un bébé à la peau soulevée par une houle incessante d'asticots sait de quoi je parle.
- Attention à la bestiole, avertit Dendron.
Elle se penche.
- C'est un bousier.
- Un quoi ?
- Un insecte coprophage extraordinaire.
- Je ne trouve pas qu'il soit extraordinaire.
- Ils peuvent soulever 1141 fois leur poids, fais-en autant espèce d'idiot !
Le jeune homme sursaute et rougit sous l'insulte.
(...)
- Ton bousier, il pousse quoi ?
- De la merde.
- Pardon ?
- Les bousiers adorent la merde. La mienne, la tienne, celle des chiens et des vaches. Ils la repèrent à l'odeur évidemment et la roulent devant eux. Plus tard ils pondront leurs petits dedans et y habiteront en famille. Ce sont de bons parents.
Pour ce qui est du commencement, le jeune homme découvre glissé sous sa porte l'épouvantable carte d'anniversaire du Nain jaune. Il la prend du bout des doigts, la considère avec dégoût et la jette dans le tiroir où elle rejoint les quatre des années précédentes (...).
Cinq ans aujourd'hui que Marie a été kidnappée, violée et tuée, pourquoi pas ? Mais la Terre continue de tourner, n'est-ce pas (...).
Il allume une bougie sous la photo de sa fiancée enceinte jusqu'aux ouïes. À sa flamme dansante, il lui semble qu'elle lui sourit (...). Il lui sourit en retour et se laisse choir sur sa couche aux draps durcis par la crasse, qu'il n'a plus jamais changés dans l'espoir chimérique de conserver l'odeur de sa bien-aimée dans ses plis.
- La vie est une aventure dont on ne sort pas toujours indemne.
[Bekrit]
Bientôt la mélodie arriva à ce final où le poétique agencement des notes nous dit que le jour descend dans le calme et la douceur.
On est dans un monde qui détruit ses enfants, qui s'en débarrasse dans les terrains vagues, les dépose encore vivants sur des plages pour que la marée montante les recouvre, les stocke dans des congélateurs, les anéantit à force de coups avant de les enfouir dans le limon des forêts. On est dans un monde où des gosses sont assassinés par leur père à l'arme blanche afin de rendre folle la mère qui le quitte. Un monde où cet autre géniteur, plongé dans la même infortune que le précédent, choisit de pendre par le cou sa progéniture à la rampe d'escalier comme un chapelet d'oignons. Un monde où un gosse sera étouffé par le python réticulé que ses crétins de parents lui ont offert pour son deuxième anniversaire. Un monde où ma petite sœur est morte à force de gifles administrées par un père, le mien, dont le crime restera à jamais impuni. C'est quoi ce monde ?
(...)
- As-tu une bonne hygiène de vie ?
- On m'a déjà posé cette question. Ça veut dire quoi dans ta bouche ?
- Le respect des règles.
- Quelles règles ?
- No tabac, no alcool, max d'exercices, cinq fruits et légumes daily.
- Certains jours, il m'arrive de tomber à quatre.
- Très drôle.
La nuit tombe lorsque le jeune homme un peu éméché rentre chez lui. Il croise sa voisine Hiroshi qu'il salue d'une brusque inclinaison de la tête, comme il a vu faire dans des films de samouraïs ou de geishas aux visages blancs comme de la craie.
Ce soir sa tristesse profonde n'a pas disparu, mais il se sent moins seul.
Dendron fasciné distingue en gros plan son ennemi intime le Nain jaune en personne, debout, sur un tabouret, yeux jaillis et bouche écumante, piaffant de l’arrière-train sur ses courtes cuisses de putto. Il se tient à hauteur de croupe d’une fille pliée devant lui. Chacun de ses muscles travaille en puissance et mobilité comme ceux des animaux. Ses ongles manucurés, pointus comme des griffes ont retroussé la robe de sa partenaire.