Eriko a quatorze ans, des copines aussi frivoles qu'elle, des parents lourds, un petit frère de treize ans pré-pubère et immature (vivement qu'il ait des poils et qu'il arrête de pleurnicher !) ; en trois mots, une vie ordinaire de collégienne au Japon. Un soir, Daigo le petit frère ne rentre pas de l'école. Eriko ne s'inquiète pas outre-mesure, mais elle part tout de même à sa recherche pour éviter que leur mère ne se ronge trop les sangs. Elle avait bien raison : il n'y avait pas de quoi s'en faire ! Après avoir traversé la route nationale qui passe près de chez eux _la fameuse Route 225_, elle le trouve en train de rêvasser sur une balançoire du parc pour enfants. Tout va bien ! Mais au moment de rentrer à la maison, ils ne parviennent plus à retrouver leur chemin dans ce quartier qu'ils connaissent pourtant par coeur : tout a changé : les rues, les commerces, les personnes...
Quelle est cette ville inconnue ? Comment sont-ils arrivés là ?
Quelques heures plus tard, ils regagnent enfin le cocon familial... et constatent que les parents l'ont déserté.
Daigo "le trouillard" prend peur et évoque assez rapidement la possibilité d'être passé dans un monde parallèle en sortant du parc. Eriko cherche une explication rationnelle à cette drôle de situation, car il y en a forcément une ! En vain... Entre angoisse et humour, les enfants cherchent à tâtons les frontières entre leur "nouvel" univers familier, si l'on peut dire, et ce qu'ils appellent déjà "leur vie d'avant". Oh, les différences se jouent à des détails tellement insignifiants qu'ils n'y prêteraient sans doute même pas attention si l'absence de leur parents ne venait pas leur rappeler l'incongruité de la situation : le joueur de baseball préféré de Daigo a pris de l’embonpoint, une prof sort du magasin discount du coin alors qu'elle va habituellement faire ses courses ailleurs... D'autres situations sont plus troublantes : Daigo rencontre une camarade de classe morte quelques mois plus tôt ; après un cours, Eriko est chaleureusement invitée à sortir par une copine avec qui elle était brouillée depuis longtemps. Plus tard, elle trouve dans sa chambre une lettre de réconciliation écrite par cette fille, lettre qu'elle est sûre de n'avoir jamais lue. Si bien que même Eriko la fière, la dure, l'espiègle grande soeur qui aime tant torturer son petit frère a quelques difficultés à faire belle figure.
Nous n'en saurons pas plus...
Mise à part l'incompréhensible absence des parents, les enfants souffrent surtout de ne pas pouvoir partager leur angoisse : ils savent d'instinct qu'ils seront pris pour des fous et ne tiennent pas à dévoiler leurs émotions _eh, on est quand même au Japon ! Du coup, ils vont même jusqu'à mentir à la voisine et aux proches pour masquer la désertion des adultes, et se replient sur eux-même ; ça aura au moins le mérite de les rapprocher.
Par trois fois, Eriko et Daigo auront l'opportunité d'être en contact téléphonique avec leur mère, joignable seulement lorsqu'ils utilisent la carte téléphonique de Daigo (!), et encore... Par trois fois, pressés par le peu d'unités restantes, et par manque d'écoute réciproque, ils gâcheront leurs possibilités de dialoguer clairement et d'avoir des réponses aux questions qui les taraudent. On se croirait presque dans une histoire de Kafka... J'ai essayé dans un premier temps de quitter les yeux d'Eriko, narratrice de Route 225, pour lire avec les miens : est-ce un roman qui file la métaphore du détachement des parents que les enfants expérimentent à l'adolescence ? Parle-t-on du deuil de quelque chose ? d'une culpabilité ? mais laquelle ? Mais finalement, ces pistes ne m'ont amené à rien de convaincant _ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a rien à voir, d'ailleurs. Je crois que Chiya Fujino a surtout voulu écrire un texte étrange, fantastique et drôle sur la relation frère/soeur éventuellement, dans lequel on se résigne à accepter l'inexplicable pour composer avec.
Visiblement peu connu, classé littérature jeunesse mais destiné aux plus de 15 ans, sans doute parce que le côté fantastique de l'histoire pourrait dérouter les plus jeunes, Route 225 est captivant jusqu'aux dernières pages ; on en espérerait presque une suite...
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