On refait le monde RTL - Enola Game - 28 mars 2012
Avant Enola Game, elle se sentait submergée par le flux d'informations qui l'assaillait chaque jour. Internet était devenu pour elle un fleuve charriant devant ses yeux d'orpailleur des milliers de pépites qu'elle ne pouvait toutes saisir . Un sentiment de panique l'étreignait parfois quand elle prenait la mesure de toutes les connaissances qui ne seraient pas mes siennes. De tous les messages qu'elle ne lirait pas. De toutes les expériences qu'elle ne tenterait pas. De tous les départs qui seraient pris sans elle. Les psychiatres appelaient cela « syndrome de débordement cognitif ». (p.18)
Les livres rescapés la nourrissent et l'enivrent. Quand elle n'a plus envie d'écrire, elle a encore faim de lire. Alors, elle lit passionnément, elle lit goulûment, jusqu'à l'épuisement. Et sa troupe de spectres familiers ne la quitte pas même dans le sommeil.
Dans les ténèbres de ses rêves, elle tombe amoureuse d'un lutteur rencontré dans un hôtel du New Hampshire, puis d'un privé du Montana, qu'elle quitte après un dernier baiser. Passagère du vent, elle décide ensuite de rallier l'Europe. Après une douce ballade de la mer salée, elle fait une escale idéalement épicurienne dans les bras d'un crétois qui la traite de souris papivore."
« La mère s’aperçoit qu’elle a toujours considéré l’hygiène et le confort comme définitivement acquis. » (p. 33)
Elle s'aperçoit qu' Enola Game revêt maintenant deux sens dans sa sémantique intime. Elle a d'abord choisi ces mots pour pour désigner un repère chronologique, et petit à petit, Enola Game est devenue l'ère qu'elle a inaugurée. Enola Game comme une pâte de temps qui s'étire depuis le premier jour, invasive et informe, constituée de molécules dont on ne connaît pas le degré de nocivité. Intuitivement, elle a choisi le gendre féminin. Le même que celui du mot tumeur, qui peut comme chacun sait être bénigne ou faire la maligne.
Mais plus jamais non plus de lettre d'amour ou d'amitié que l'on tire fébrilement de son enveloppe pour caresser son encre, la respirer la lire et la relire.
Elle se dit aussi qu'elle n'a pas toujours su appliquer elle-même la métaphore de l'escalier. Qu'elle n'a pas toujours su chérir l'unicité des jours. Ni reconnaître que chaque marche, même ébréchée, même ratée, participe de l'ascension. (p.41)
Depuis quelques jours, des avions passent au-dessus de leurs têtes et font trembler les vitres. Des explosions retentissent. La mère évoque des feux d'artifice. La petite dit : ça dure longtemps, le Carnaval, cette année.
Elle a vu des enfants livrés au désarroi du blanc-seing, broyés par la permissivité de parents insouciants. Elle sait que l'amour passe aussi par le cadre qui censure et qui rassure. (p.60)
Et si l'on doit mourir demain, autant mourir mal élevé ou bien imbibé.
Et quand bien même l'un de tes jours t'a semblé être un jour de désespoir, un jour de reculade, un jour trébuché, redresse la tête et vise de nouveau les cimes. (p.40)