Christian Laborde - À chacun son tour | Présentation #5
Sur son visage, aucune crispation, courir de la sorte, éviter les obstacles sans perdre sa vitesse lui est naturel, n'exige d'elle aucun effort. Une chose est sûre : jamais les arbres qui filent vers le ciel, jamais les insectes posés sur les tiges que le vent courbe, n'ont vu passer tant de beauté. Ils lui sourient. Ils ignorent qu'elle est recherchée.
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Un prof, c'est lâche. Ça s'arrête pas de lécher. Ça lèche les élèves, ça lèche le dirlo, ça lèche l'inspecteur. Ça a la trouille, au lieu d'avoir le trac. Un prof digne de ce nom devrait avoir tué au moins une fois dans sa vie. Un inspecteur par exemple, le jour de l'inspection. Quand on voit arriver ce malade mental, ce cocu du réel, ce petit flic, cet assassin propre, couvert par la Loi, on devrait sortir son colt Python 357 Magnum. Au lieu de ça, on le reçoit en grande pompe. On a sorti la cravate, la jupette bleu marine, on est passé au nettoyage à sec, on a demandé à Ossi une salle propre, bien éclairée, on a demandé à Bernard Bernardini d'empêcher les élèves d'y fumer pendant la récréation...
On le reçoit l'inspecteur, on lui désigne la jolie table qu'on lui a réservée, avec la jolie chaise, on l'a entouré des meilleurs élèves, on lui porte soi-même le cahier de textes de la classe... On est lamentable, larvesque. Au lieu de lui loger une bastos dans les entrailles, on le reçoit, tapis rouge, trouille au cul, et on se chie dessus pendant une heure, devant les élèves! La honte! Un prof, c'est lâche, ça ne tirera jamais sur un inspecteur. L'inspecteur le sait. C'est pour ça qu'il vient...
Viktor s'élance, tournant sur lui-même, entraînant sa cavalière dans une valse, rue Cazalet, sous le regard émerveillé des passants et de la lumière. Et sa bouche se met à siffler. Il siffle merveilleusement bien, Viktor. C'est vivant quand il siffle, frais, chaud comme une grappe d'eau. Viktor siffle Indifférence de Tony Murena. Pge 91
Voici le lien de la musique : https://www.youtube.com/watch?v=1K698YWuVu0
très joli air d'accordéon.
Nougaro était le seul à avoir le swing, le seul avec qui des musiciens peuvent improviser. Il partage ça avec les jazzmen ».
Les gouttes de pluie. Quand elles touchaient les tuiles au moment où je m'endormais, elles faisaient résonner le monde autour de moi, monde qu'en apparence je quittais, mais auquel je donnais rendez-vous de l'autre côté des terres souples du sommeil. Car dormir c'est courir le monde, c'est être à lui au cœur même de soi.
Je vais ou ?
Chez Gustin : il est au courant. Tu te caches chez lui, et vous attendez la nuit. Dès que la nuit est tombée, il te conduit à la gare de Tarjac. Y'aura qu'un seul train : un train de marchandises. Tu montes dans le train, et tu ne reviens pas. Tu ne reviens jamais.
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La nuit pourrait écrire des poèmes sur Léontine Massat, sur la beauté qu’elle qu’elle sauve chaque fois qu’elle se meut. Mais la nuit sent bien que c’est Léontine Massat qui doit être sauvée. Et la nuit fait tout ce qui est en son pouvoir pour qu’elle le soit.
[...] je ne suis pas ce qu'il est convenu d'appeler un patriote. Cela dit, j'aime l'odeur de la France, j'aime sa langue, sa pensée, je l'aime quand elle s'ouvre, je la fuis quand elle se ferme...
Bon, les "A" par défaut, qu'est-ce que c'est, qu'est-ce qui se passe ? Il se passe que le "A" proprement dit, entendez l'élève ayant un profil littéraire, est sommé de disparaître. L'avenir n'étant pas pour lui, le ministre est contre lui. Qu'il se terre ! Qu'il rase les murs ! Dehors l'amant du Beau, dehors le Monde, dehors le concret ! Overdose de maths, les maths pour tous, hors les maths point de salut ! Conséquence : la première "A" n'est plus celle des fans d'Audiberti et de Tristan Tzara. Elle est un mouroir pédagogique, une espèce de terrain vague, un quai triste et un désert où rôdent - il fallait bien les parquer quelque part - des élèves tout ahuris d'avoir raté le train des maths. Ce sont les "A" par défaut...
Pour rien au monde, Joy n'aurait manqué le jour de frites. Le pion aussi aimait le jour des frites : ça ne chahutait pas ce jour-là, il faisait les cent pas dans l'allée centrale du réfectoire sans avoir à gueuler, personne ne se battait, tout le monde se régalait.
- Tu vois mon Tommy, dans la savane, y a la trêve de l'eau, au bahut y avait la trêve des frites ! Et le mec qui en profitait le plus, c'était le prof d'histoire. On l'avait juste après. Il était chiant, je te dis pas. Mais on n'avait pas la force de l'emmerder : on digérait. Tu vois, mon Tommy, ils ne devraient pas interdire les frites. Ils sont trop cons.
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