J’étais convaincu que les actes de la vie quotidienne ne sont rien, et la littérature tout, j’étais de ceux qui, pour l’unique raison qu’ils s’emploient jour et nuit à coucher sur le papier leurs faiblesses, s’imaginent être les plus forts ! Sinistre ! Prendre au sérieux les apparences reviendrait à penser que l’orthographe du monde passe avant sa grammaire…
Il y a, c’est indéniable, tout ce que l’on pressent, qu’on s’abstient de formuler, sachant qu’une seconde plus tard l’autre l’exprimera, comme si, au sein d’un couple, quel qu’il soit, les pensées les plus intimes finissaient par se chevaucher, une sorte de double emploi si banal qu’il en passe d’ordinaire inaperçu.
J’avais foi en notre couple, foi en son avenir. Qu’importait ce que je te cachais, ce que je me cachais à moi-même. J’avais besoin, réellement besoin, de cet équilibre de chaque instant que tu m’offrais. Je n’étais pas inquiet.
L’esprit s’attache à ces poisons.
Le récit des pires catastrophes, dans les journaux ou à la télévision, m’inspirait souvent, c’est vrai, de sourdes ruminations. Les victimes — celles, du moins, que l’on qualifiait deportées disparues —, je m’imaginais à leur place : n’avaient-elles pas plutôt, je me posais la question, profité de l’occasion pour s’éclipser, tout recommencer à zéro, quelque part, sous une nouvelle identité ?
Le destin m’indiffère s’il n’est que démission, compromis acceptés jusqu’à la haine de soi, jusqu’au dégoût.