La steppe qui s'écoule sur le fil des saisons,
Sa lumière dorée farde le ciel changeant
Qui berce mon enfance à son diapason,
En un lac miroitant comme du vif-argent.
Elle choisit les fleurs et les rhizomes qu'elle a recueillis pour en faire une texture méticuleusement proportionnée.
Pas besoin de balance pour peser les plantes. Son œil d'expert lui suffit.
Elle écrase dans son mortier la racine séchée de garance avec celle de la rhubarbe, le carthame et le santal, un peu de cet arbrisseau, le nauclea gambir, et un soupçon de feuille d'indigo, sans oublier le polygonum des teinturiers.
Elle a appris de sa grand-mère que les couleurs des pigments végétaux varient aussi selon l'acidité du milieu et que le mordançage est une étape incontournable ...
- Je dirais qu'un artiste à tendance à se positionner au-devant de son œuvre, alors qu'un artisan s'efface derrière. D'ailleurs, il ne la signera pas. Il appliquera des techniques mais ne pourra pas être créatif, tandis qu'on attend d'un artiste qu'il fasse du nouveau.
Elle n'appartient plus à aucune patrie, ni celle qu'elle fuit, ni celle qu'elle espère, ni celles qu' elle va sillonner. Elle n'est plus qu'une migrante clandestine, un parasite. Son prénom, qui évoque les eaux cristallines du torrent qui dévale les montagnes, qui riait telle une promesse dans le ciel indigo de la steppe, n'aura plus aucun son pour des oreilles étrangères.
Stefano rit.
_ C'était un critère de beauté à la Renaissance. La coiffure savante, les bijous qui mettent en valeur ses épaules, larondeur de se seins et la ligne fluide de son cou. C'est un portrait posthume, mais combien idéalisé, sublimé !
_ Qu'est ce qui vous fait dire qu'il est posthume ?
_ Le serpet enroulé autour du collier. Il est à la fois le Mal, la tentation, la séduction, mais il était aussi la vie éternelle dans le christianisme primitif.
Bolormaa sait ce que cela signifie. Ils vont procéder à l'ultime récolte printanière, puis ils vendront les chèvres à un producteur chinois et ça sera fini des grands espaces et de la liberté. Il faudra se sédentariser à la ville, vivre en cage dans une maison de béton, travailler confinée dans un atelier de confection sans voir le ciel durant des heures et des heures et, chaque jour, recommencer. Bolormaa est désespérée. Renoncer à ce temps infini, à ces étendues illimitées, à cette symbiose intime avec la nature puissante est pour elle un crève-coeur. (p. 15)
Au commencement du monde, le silence. Puis vient l'harmonie, source de la musique.
Dans les jours d'abondance, souviens-toi toujours de tes jours de pauvreté.
"Bientôt cette gêne ne tarda pas à se mélanger à de l'effroi, de la pitié , de la compassion, et très vite elle fut happée par son histoire, incapable de refermer le recueil de souvenirs dont elle tournait les pages avec l'impression de partager le même envoûtement pour la musique et le violoncelle .
Fascinée, elle était entrée de plain-pied dans sa vie , dans un autre siècle , un autre lieu ......
Elles étaient unies par une passion commune."....
Elle verse la mixture colorée qui danse en volutes dans l'eau chaude avant de fusionner; une quantité suffisante de vinaigre blanc fixera la couleur.
Elle y plonge le fil de cachemire en retenant son souffle.
Sa précieuse préparation est portée à ébullition. Elle la laisse frémir en remuant de temps en temps, ce qui lui offre le loisir de s'emplir les yeux du paysage.
Une dernière fois ...
Elle en scrute les courbes et les reliefs aux tons mordorés dans la lumière du crépuscule. Le soleil couchant se heurte aux parois des rochers.
Les ombres tournent au vert foncé et le ciel bleu marine est griffé ici et là de nuages roses, comme déposés par un pinceau de peintre.
Les ruisseaux scintillants chantent la liberté.