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Citation de lolitajamesdawson


Le comportement de mon père confirme simplement à mes yeux la règle de vie que m'enseignent la rue et l'école : battre ou être battu.

En réalité je suis plutôt frêle, mais la rage décuple mes forces.

Ainsi, à la cité Gropius, on apprend pour ainsi dire automatiquement que tout ce qui est permis est affreusement ennuyeux, et que ce qui est interdit est amusant.

J'ai douze ans. J'ai déjà un peu de poitrine et je commence à m'intéresser fortement aux garçons et aux hommes. À mes yeux, ce sont des êtres très bizarres. Brutaux, tous. Aussi bien les grands garçons qui traînent dans la rue que mon père et même Klaus, à sa manière. Ils me font peur. Mais ils me fascinent aussi. Ils sont forts, il détiennent le pouvoir. Je les envie. En tous cas, leur force et leur puissance m'attirent.

J'ai l'impression qu'on ne veut pas de moi à la maison. Mais d'un autre côté je trouve chouette d'avoir autant de liberté. Je crois même que je savoure les disputes avec Klaus. Ça me donne un sentiment de puissance, de m'engueuler avec un adulte.

Le seul sentiment que j'éprouve encore pour ma mère, c'est la pitié. Je la plains quand je la vois rentrer du boulot stressée, énervée, épuisée et se jeter sur les travaux ménagers. Mais je me dis que c'est de leur faute, aux vieux, s'ils mènent cette vie de cons.

Les jours suivants, je m'efforce de tuer en moi tout sentiment pour les autres. Je ne prends plus de comprimés, plus de LSD. Je fume un joint après l'autre et bois toute la journée du thé mélangé de haschisch. Au bout de quelques jours, je suis cool à nouveau. J'ai réussi à ne plus aimer rien ni personne excepté moi-même. Je pense avoir désormais la maîtrise de mes sentiments.

J'ai perdu tout sens des réalités, pour moi la réalité est irréelle. Ni hier ni demain ne m'intéressent. Je n'ai pas de projets, seulement des rêves.

Je veux être avec lui, n'importe où. Et, peu à peu, je m'habitue au décor. Je ne sens plus l'odeur de pisse et de désinfectants. Les clients, les putes, les métèques, les flics, les clochards, les ivrognes font partie de mon environnement quotidien. C'est ici, ma place, puisque Detlev y est.

Je pense à la manière dont j'ai traité des junkies en manque. Je ne comprenais pas ce qui leur arrivait. J'avais seulement remarqué qu'ils étaient vachement sensibles, totalement désarmés, et très vulnérables. Un toxico en manque, c'est tellement annihilé que ça n'ose même pas vous contredire. Il m'est arrivé d'assouvir sur eux mes appétits de puissance. Quand on sait s'y prendre on peut les démolir complètement. Il suffit de taper au bon endroit, de retourner patiemment le fer dans la plaie, et ils s'écroulent. Quand on est en manque, on est assez lucide pour se rendre compte qu'on est une loque. La façade cool s'est écroulée, on ne se juge plus au-dessus de tout et de tous.

Une fois ressortie de la voiture, je me sens très calme et je fais une espèce de bilan : "Voilà. Tu as quatorze ans. Il y a un mois, tu étais encore vierge. Et maintenant tu fais le tapin."

Je tombe dans une espèce de demi-sommeil. Je dors mais je sais que je dors, et j'ai pleinement conscience de ces foutues douleurs. Je rêve et je réfléchis. Tout ça à la fois. J'ai l'impression que tout un chacun, et surtout ma mère, peut lire en moi comme dans un livre, lire mes saloperies de pensées. Voir que je ne suis qu'un tas de merde dégueulasse. Mon corps me fait horreur. Si seulement il pouvait crever et se détacher de moi.

J'ai vraiment envie de mourir. Au fond, je n'attends rien d'autre. Je ne sais pas pourquoi je suis au monde. Avant non plus je ne le savais pas bien. Mais un fixer, pourquoi ça vit ? Pour se démolir et démolir les autres ? Je me dis, cet après-midi-là, qu'il vaudrait mieux que je meure, rien que par amour pour ma mère. De toute manière, je ne sais plus si j'existe ou non.

"Elle n'avait que quatorze ans." J'ai compris. Sans même lire la suite. Babsi. J'en avais le pressentiment. Je suis incapable d'éprouver quoi que ce soit. Morte. J'ai l'impression d'avoir lu l'annonce de ma propre mort.

Voilà donc une toxico de plus au bout du chemin. La déprime noire. Les idées de suicide. Mais je suis toujours trop lâche pour m'injecter le hot shot. Je cherche toujours une issue.

C'est la première fois que j'ai tant de cadeaux de Noël. Un moment, cependant, je me surprends à calculer combien tout ça a coûté, et combien de doses d'héro ça représente.

Moi aussi, dans tous mes rêves, je me vois avec un appart et une voiture, c'est évident. Se crever comme ma mère pour un logement ou un salon neuf, c'est débile. C'était bon pour nos parents, avec leurs théories dépassés. Pour moi, et je crois pour beaucoup de ceux de ma génération, ces quelques trucs matériels, ce petit peu de confort, c'est le "minimum vital". Il nous faut quelque chose en plus. Ce qui donne un sens à la vie. Et ça on ne le voit nulle part. Mais certain nombre de jeunes dont je suis sont toujours à la recherche de ce qui pourrait donner un sens à leur vie.

À certain point de vue, j'aurais bien aimé vivre à la période nazie. Au moins les jeunes savaient où ils en étaient, ils avaient des idéaux. Mieux vaut je crois, pour un jeune, se tromper d'idéal que de ne pas en avoir du tout.

J'avais beau me figurer la prostitution comme un effet secondaire, inévitable, de la toxicomanie, n'ayant rien à faire avec mon véritable moi, ça a tout de même affecté ma relation avec les garçons. J'ai souvent l'impression, à voir le comportement des mecs, qu'ils veulent m'exploiter encore une fois.

Je me dis qu'il doit bien y avoir un moyen terme entre fuir cette société pourrie et s'y adapter totalement.
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