Christine Desrousseaux - Mer agitée
Un malade en fin de vie ou une personne très âgée a sans doute en ligne de mire sa propre disparition comme un événement qui va se réaliser dans un laps de temps très court. Le mourant se prépare au passage, se tourne parfois vers la spiritualité. Et pourtant, je crois que jusqu’à la dernière seconde, on est pleinement en vie, l’esprit humain ne peut pas se projeter dans la mort, cette absence sidérale.
Le chagrin est une terre immense. Elle n'a pas de contours, un désert à perte de vue où nous marchons assoiffés sous un soleil aveuglant. Parfois de minuscules oasis permettent un repos illusoire mais très vite, il faut se relever, allonger le pas , encore et encore malgré l'épuisement, l'air qui s'étiole dans notre poitrine, le corps qui souffre .
Mes pieds s’enfonçaient dans la neige fraîche, c’était agréable d’être la première à la fouler. Ça m’a toujours donné l’impression que c’est un privilège, cette blancheur, la douceur du tapis qui s’écrase sous les pas en crissant légèrement.
C'est là. Là que le diable a de son doigt impulsé la petite secousse au volant, là que le destin dérape, là que le malheur fait irruption dans notre vie.
Le mot "amour" me hérissa aussitôt, je le jetai à la corbeille avec tout le message pour m'en débarrasser au plus vite, comme un virus qui risquait d'infecter mon ordinateur si je n'y prenais pas garde. Le petit pfutt de l'icône avalant le mail me soulagea.
J'ai besoin de mettre de l'ordre dans ce désordre insensé qu'a été la fin de sa vie. L'ordre d'une sépulture. C'est à ça qu'elle aspirait, à ça qu'elle s'est consacrée pour en finir : être un déchet. elle y a mis toute sa volonté, tout son courage. Je ne veux pas la laisser. Je ne veux pas laisser gagner ceux qui lui font du mal. Lui donner une tombe, c'est au moins la ramener dans la communauté des humains.
page 162-163
J'allais trouver un territoire vierge qui ne serait pas entaché par cette faute, un espace suffisant pour exister, avoir un futur possible.
_ Vous n'avez pas connu Adèle ? Elle se baignait toute l'année. A plus de soixante-dix ans. De janvier à décembre. Elle disait qu'elle n'irait pas le jour où il neigerait. Et ici, la neige c'est une rareté.
Marie a froncé les sourcils.
_ Et ça lui a réussi ?
_ Ca dépend de ce que vous entendez par réussir, a rétorqué l'homme. Elle est morte, comme tout le monde.
On dirait que tu as bien compris ce à quoi servent les livres : ressentir des émotions, sans vivre l'histoire pour de vrai...
P.110
Pour éloigner les pensées parasites, le jardinage est une activité parfaite. Le corps devient une petite machine disciplinée qui exécute les ordres, le cerveau est uniquement occupé à lui dicter ce qu'il doit faire : bêche ici, enlève les mauvaises herbes là, ratisse à cet endroit.