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Citation de PATissot


24 août

J'ai tenté d'atteindre le soupirail, en vain. Les pierres du mur s'effritent et n'offrent pas de prise. J'ai crié ; personne n'a répondu. Le jour se lève. Mon dernier jour ?
Tournée vers le faible rayon de jour, je prie les dieux de mon enfance. Me retrouveront-ils dans cette geôle ? Étendront-ils sur moi une main protectrice ?
J'ai peur.

Vers la deuxième heure

Une servante est entrée, apportant une cruche d'eau et une écuelle de bouillie froide. Je l'ai reconnue aussitôt . Felicula ! On m'a donc enfermée dans la maison de Julia Felix. . .
- Aides-moi, l'ai-je suppliée à voix basse. Je t'en prie ! Cet homme, ce Marcus. . . Il veut me tuer !
- Il est trop tard pour gémir, a-t-elle répondu. Folle que tu es ! Si je te laisse partir, je ne sauverai pas ma peau. Marcus Fronto aime faire souffrir, je l'ai déjà vu à l'œuvre. Il me jettera dans le bassin des murènes, ou pis encore.
Elle tremblait. Pourtant, la chaleur était déjà étouffante. Je me suis jetée à genoux, agrippant sa tunique ; si elle partait, je ne reverrais plus un visage humain, hors celui de mon bourreau !
- Ne m'abandonne pas ! Ta as été esclave, comme moi ! N'as-tu aucune pitié ?
Felicula m'a repoussée, le regard dur.
- Pitié ? J'ai oublié le sens de ce mot. J'ai mis au monde une fille, vois-tu, il y a quinze ans. Peu importe le nom de son père ; je ne l'avais pas choisi. Me voyant enceinte, ma maîtresse me vendit. Très cher, puisque je portais dans mes flancs un futur esclave ! Mon nouveau maître escomptait un garçon ; à la naissance du bébé, il entra dans une fureur démente et l'étouffa sous mes yeux.
Elle s'est courbée, les mains crispées sur son ventre, comme sous l'effet d'une douleur fulgurante.
- Ma petite. . . ma petite. . . Elle n'avait même pas crié encore. . .
Des larmes roulaient sur ses joues ridées.
- Quinze ans, a-t-elle répété d'une voix brisée. Quinze ans. . .
- Elle aurait mon âge, ai-je chuchoté. Si je meurs aujourd'hui, elle mourra une seconde fois, avec moi. Et tu l'auras tuée !
- Pourquoi dis-tu cela ? Pourquoi ? Tais-toi, maudite ! a-t-elle gémi.
- Parce que c'est la vérité, ai-je poursuivi, fébrile, car je la sentais prête à céder. Sauve-moi, Felicula, et l'esprit de ta fille te sourira ! Je la vois déjà te tendre les bras quand la barque de Charon te conduira sur la rive de l'éternel séjour. . .
Je parlais, je parlais, noyant sa peur sous mes mots, sous les images lumineuses d'un bonheur qu'elle n'avait jamais connu.
Avais-je le choix ?
La servante est restée silencieuse un long moment, si long que tout espoir m'a abandonnée. Puis elle s'est redressée et a marché vers la porte.
- L'un des jardiniers me doit un service : je l'ai sauvé du fouet. Il viendra tout à l'heure desceller les barreaux du soupirail et laissera un outil en évidence. Ainsi, je ne pourrai être accusée. . . Mais si tu tentes de te sauver en plein jour, tu risques d'être arrêtée, car tu dois, pour gagner la rue, traverser le jardin. À tes risques et périls. Maintenant, attends et tais-toi. Et prie tes dieux pour que Marcus soit trop occupé, ce matin, pour penser aux supplices qu'il aimerait t'infliger. . .
Felicula est partie depuis un long moment. pourtant, l'eau de ma cruche - des rides circulaires naissent en son milieu et se propagent vers la paroi de terre cuite, comme si un pas lourd ébranlait la maison tout entière.

Un peu après l'heure méridienne

J'ai entendu un coup de tonnerre, un seul ; fort, proche, menaçant. Le soleil filtre à travers la végétation qui dissimule le soupirail. . . Un orage lointain ? Les hauts murs du jardin auraient étouffé son grondement. . .
Le jardinier n'est pas encore venu. J'ai essayé de manger un peu : mon estomac s'est révulsé.

Plus tard

Un grattement, là-haut ! Je me suis précipitée vers la muraille. Une main a écarté les herbes jaunies ; des éclats de mortiers ont rebondi sur le sol.
- Jeune fille ?
J'ai vu apparaître un visage criblé de taches de rousseurs.
- Le barreau du milieu ne tient plus ; il te suffira de tirer un bon coup, a chuchoté le jardinier. Je te jette une corde, mais n'oublie pas de l'emporter avec toi ! attends de ne plus entendre de voix dans le jardin. toute la maisonnée est dehors pour regarder la montagne.
- La montagne ? ai-je répété. Pourquoi ?
Elle fume. Un grand panache qui ressemble à un de ces pins, tu sais, dont les branches s'écartent vers le haut. . . Bon, je file. Que les dieux te protègent ! Et n'oublie pas la corde !
Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé depuis que le jardinier est parti, mais le jour baisse rapidement. Serait-il plus tard que je ne le pensais ?
Je vais tenter ma chance.Si je meurs, peut-être quelqu'un trouvera-t-il mes tablettes - un homme honnête, qui préviendra Albucius Celsus du danger qui le menace.
Et si Marco Fronto lit ces lignes, alors qu'il soit maudit !
[ . . . ]
J'ai dû m'assoupir quelques instants ; la peur m'avait épuisée. À mon réveil, je n'ai pas reconnu l'endroit où je me trouvait et j'ai bondi sur mes pieds, tremblant comme une bête traquée. Puis la mémoire des dernières heures m'est revenue.
Les pierres légères comme des gâteaux secs.
La nuit en plein jour.
La cave. Marcus Fronto.
Dans la rue, une silhouette progressait le long des murs. L'homme avait noué un linge autour de son visage pour éviter de respirer la poussière.
Où allai-il ? Rentrait-il chez lui ? Cherchait-il, lui aussi, à fuir ?
Martia, Lucius. . . avaient-ils pu quitter la ville ? Ou se terraient-ils dans leurs maisons barricadées ?
Où aller ? La question revenait, obsédante, Où aller ?
Une image, soudain, a surgi : un garçon blond, un peu lourdaud, tournait vers moi ses yeux clairs.
Tarvos ! " N'oublie pas. . . à la caserne des gladiateurs ! Si tu as besoin de moi, je serai là ! "
Paroles en l'air ? Ou promesse ?
" Si tu as besoin de moi, je serai là "
Trébuchant parmi les pierres qui roulaient sous mes pieds, je me suis remise en chemin.

Beaucoup plus tard

- Que cherches-tu jeune fille ?
Tarvos ! Je ne distinguais pas ses traits, mais son épaisse chevelure blonde était reconnaissable. Lui, en revanche, ne m'avait pas reconnue. Il s'est approché d'un pas assuré et m'a souri.
- Je peux peut-être t'aider, et. . .
Son sourire s'est effacé.
- Tu es. . . la musicienne. Briséis. . . Briséis ! Je te reconnais, même si. . . Cherches-tu quelqu'un ici ?
- C'est toi que je venais voir, ai-je chuchoté en détournant les yeux.
Il a parlé, mais les mots, soudain, n'avaient plus aucune signification pour moi. Je voyais ses lèvres remuer ; je hochais la tête mécaniquement. il a tendu une main vers mon visage, et j'ai compris alors que je pleurais.
J'ai appuyé ma joue contre le mur frais, senti une odeur de salpêtre. . . Deux mains se sont posées sur mes épaules : mes jambes ont pliés sous moi, et j'ai sombré dans l'inconscience.
Quand j'ai émergé de mon évanouissement, j'étais allongée sur une couchette , un coussin soutenait ma nuque.
[ . . . ]
J'ai tout raconté à Tarvos : le complot surpris à la fin du banquet chez Quintus Poppaeus, ma fuite, Lucius, Martia, Chédi, mes inutiles démarches, enfin le piège dans lequel je suis tombée. . . Il m'a écoutée sans m'interrompre, puis a soupiré :
- Tu as fait ce que tu as pu, Briséis, pour sauver cet homme. je t'admire. . . Je ne sais pas si j'en aurais été capable. Je sais me battre, c'est tout. Tu es plus courageuse que moi...
Il s'est courbé et a déposé sur le bout de mes doigts un baiser léger, léger comme le frôlement d'une aile de libellule.
- Repose-toi un peu. Tu as soif ? Je vais te chercher de l'eau.
Tarvos, en dépit de sa stature, se déplaçait silencieusement, avec légèreté - ombre parmi les ombres. Pour la première fois depuis de longs jours, je me sentais en sécurité. . .
- Briséis. . .
Tarvos se penche vers moi. Son visage marqué par la fatigue est soucieux.
- Il faut partir. La ville n'est pas sûre. . . les gens se battent aux portes pour passer, m'a-t-on dit ; beaucoup meurent piétinés. Mais Crixus connaît un passage par les égouts : il nous conduira.
Le nommé Crixus, un Thrace bâti en force, se tient derrière lui. La sueur ruisselle sur son torse.
- Hâtez-vous, dit-il. Je n'aime pas ce qui se passe ici. Les dieux nous lancent des pierres ; peut-être vont-ils se lasser de ce jeu, et précipiter des serpents ou des scorpions sur nos têtes.
Je supplie :
- Encore un petit moment. . . Je n'en peux plus ! Je ne pourrais pas vous suivre. . .
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