Dans le cadre de la Collection Maisons d'écrivains, présentation de la maison de Christine de Rivoyre à Onesse-Laharie.
Avec la participation de :
Caroline Casseville, Maître de conférence à l'Université de Bordeaux-Montaigne,
Frédéric Maget, Président des Amis de Christine de Rivoyre,
Sylvaine Nicolaï, ayant-droit de Christine de Rivoyre.
Retrouvez les livres Christine de Rivoyre :
https://www.mollat.com/Recherche/Auteur/0-1308498/rivoyre-christine-de
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Un homme marche vers moi, c'est la tombée du jour, il avance parmi les hautes herbes de la lande en patois on dit des aouges), il traverse une coupe de pins, enjambe des tronçons de bois écorcés, corail ou chair, j'entends le bruit de ventouse que font ses bottes en caoutchouc. Moi, je suis assise sur un de ces morceaux de bois, je baisse la tête, mes cheveux pendent, dénoués (ce sont des cheveux très longs, châtains, frisés, presque crépus, quand je viens de les laver ils ressemblent à de longs éclairs mous), ils tombent en pluie sur ma nuque et devant, par-dessus ma bouche. L'homme se rapproche, je ne vois pas son visage, je veux crier, je ne peux pas, l'homme se rapproche encore et moi je glisse par terre, je suis semblable aux morceaux de pin qui jonchent la lande, je suis bois, je hurle, je crois hurler, je m'éveille, je me lève, je suis en sueur, mes cheveux sont collés sur mon cou, mon front. Qu'elle heure est-il? Quatre heures du matin. Jean, qu'est-ce que tu fais si loin de moi?
Je me suis levée. Je n'avais plus ni jambes ni tête. Entre les deux un corps comme un flocon, comme une balle mousse, j'ai couru vers la terrasse, je ne suis pas tombée, une chance. Sur le Bassin d'un bleu aveuglant, les pavois des bâteaux dansaient et le Bassin lui aussi dansait, mais sans vagues, c'était drôle. Je me suis couchée sur le petit mur, j'ai encore fermé les yeux. Quand je les ai ouverts, il y avait oncle Boy au-dessus de moi, il souriait :
- Ca va comme tu veux, Crevette ?
- Ca va très bien.
- C'était bon ?
- Délicieux.
- Tu es la femme de ma vie.
- Je sais.
- Tu veux qu'on s'échappe ?
Je me suis levée brusquement. Ma tête existait de nouveau, mes jambes aussi.
- Tout de suite ?
- Si tu veux.
Le Bassin ne dansait plus et les bâteaux glissaient, leurs pavois flottaient, c'est tout. Tout près de nous le Bâteau Blanc.
Christmas, c'est pour ce soir, mais à Nara, depuis l'occupation, ça ne compte pas. Le couvre-feu supprime la messe de minuit, les huîtres d'Arcachon dorment dans leurs parcs, pas de chocolat, pas de ces brioches appelées pastis, donc pas de réveillon, pas de veillée.
La crèche de notre enfance est restée dans un cocon de copeaux, là-haut, dans le grenier, avec son âne cul-de-jatte, ses mages dédorés, ses bergers portant leurs agneaux sur la nuque comme des havresacs et l'ange qui hochait la tête d'un air futé quand on mettait un sou dans la fente ménagée entre ses mains jointes.
- Non, je travaille pour les journaux
- C'est bien ?
- Pas mal, ça permet de voir les défauts des gens, de très près, de les grossir, tenez je vais vous dire ce que j'aime c'est les verrues, j'adore photographier les verrues en faire des montagnes.
- Oh, dit la blonde, suffoquée, vous alors, moi qui voulais vous demander de prendre ma photo.
- Je la prendrai, dit Solange, je prendrai vos cils en gros plan, ils sont formidables.
- Vous trouvez ?
- Vous êtes sûre de ne pas avoir une verrue quelque part ?
- Nnnnnon
- Un grain de beauté alors ?
- Si, dit la blonde, confuse et baissant la voix, mais là, et elle touche son déshabillé.
- Épatant, dit Solange. Un gros grain de beauté sur le sein, ça fera une photo du tonnerre, comme un crabe en train de bouffer une méduse.
- Vous alors.
- au temps de la colline de
Chaillot et de l, abbaye de
Longchamp, la rue était une
plantations.
- ah bon.et de quoi?
- d, arbres, espèce d. idiot.
des charmes, des tilleuls,
même des bouleaux.
- mais maintenant, nous
n, avons droit qu'à une
plantation de flics.
-Vous pourriez parler français, dit Mademoiselle Dolly.
Non mais. Alors ça. Des conseils maintenant. On s'est soûlée, on s'est pris un bain de vase, on pue, on a l'air d'un poisson pourri et on ose donner des conseils ?
Vous pourriez parler français. Et l'accent de Bordeaux tout pointu par dessus le marché. Tu vas voir comment je vais te parler, Marie Cascante, tu vas voir le français que je te garde en réserve, ah je me sens patacayre.
- Je parle comme je veux, je dis, et cette robe-là (je montre le tas sur le lit) Mademoiselle pourra se la laver toute seule. Moi je nai pas été engagée pour récurer les étables.
-Mes félicitations,Miss Suzon.Une nurse doit savoir nager.Vous allez pouvoir remplacer Nannie O.
Je ne réponds pas.Elle m'a visée,elle m'a touchée,la grande carcasse.Je ne pense plus que j'ai fait douze brasses,que Monsieur Boy est bon et raisonnable et que Pierre Harramburu sera fier de moi.Je me dis que si je sais nager c'est parce que la pauvre Miss a perdu presque tout son sang.Il me fait deuil tout à coup,mon plaisir.Oui,ça,il me fait deuil.
-J'ai été bien dressée,c'est tout.
Bien dressée,voilà.Comme le chien de chasse à qui on apprend à rapporter le lièvre ou la bécasse.Maria Sentucq a été bien dressée.Et pas seulement à faire de la table de Madame,la première table de Bordeaux.A souffrir.A souffrir sans se plaindre.
-Qu'est-ce qu'il y a? Tu n'as pas l'air dans ton assiette.
-Quelle assiette?
Je n'ai sûrement pas une expression très gentille en disant ça.Mais aussi.Ah les phrases des grandes personnes quelquefois.Même à lui il arrive de pondre des phrases de ce genre.Tu n'as pas l'air dans ton assiette.Comment est-il l'air quand on est dans son assiette?Et d'abord où est-elle mon assiette?Près de mon âme?Loin de mon âme?C'est mon âme?Alors cassez la,mon Dieu,vite que j'en sois débarrassée.
-Tu sais,je n'aime que les crevettes heureuses, a dit Oncle Boy.
Il paraît un peu inquiet en disant ça.Un peu inquiet mais très gentil.Je lui souris.
Il y a des gens comme ça qui ne reconnaissent pas la haine, pourquoi la reconnaîtraient-ils ? ils ne l'ont pas connue, ils sont nés tranquilles et distraits, ils aiment la nature pour la contempler, pas pour la vaincre.