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Citations de Christine de Mazières (57)


La chancelière semble détendue. Elle serre les mains, sourit pour des selfies. Un discours bon enfant, qui prend un tour sérieux quand elle évoque la crise des réfugiés. Elle répète : « Wir schaffen das ». Et insiste : « Dans cette situation, nous avons le devoir d’aider. » Elle dit aussi : « Celui qui vient pour de pures raisons économiques, il ne pourra pas rester. » En tant qu’Allemande de l’Est, elle rappelle l’année 1989, où les Hongrois, les premiers, ont laissé les citoyens de RDA fuir vers l’Ouest : « Il est difficile de voir que ceux qui ont, il y a vingt-six ans, ouvert pour nous les frontières, se comportent aujourd’hui très durement avec ceux qui ont fui manifestement sans autre choix. »
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Dis donc, tu n'as pas beaucoup dormi cette nuit.
C'était... fou ! D'ailleurs, tout le monde répétait ce mot de 'folie'. J'ai passé la nuit à l'Ouest, j'ai dansé sur le mur, tu te rends compte ?
Paul me fixe de son air sérieux : Cela devait arriver tôt ou tard. Le régime est en bout de course. Il n'existe que par le mythe d'un ennemi extérieur.
(p. 158)
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Bien plus tard, j'ai appris qu'on avait été rachetés, maman et moi. (...) Quand la RDA est à court d'argent, elle laisse sortir quelques candidats au départ ou expulse des prisonniers pour les vendre à l'Allemagne de l'Ouest. Un tarif est fixé par tête, comme du bétail. Bonn [capitale de la RFA] paie, au nom de la détente et de l'Ostpolitik. Une aubaine pour Honecker, Krenz et leur bande : ils se débarrassent des gêneurs, libèrent des logements, vident les prisons et gagnent des millions en bonne monnaie de l'Ouest. Une excellente affaire. Il paraît que l'argent alimenterait un compte spécial pour acheter à l'Ouest des produits de luxe pour la nomenklatura et des produits dopants pour les athlètes.
(p. 45-46)
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Au milieu de la nuit, la frontière s'est ouverte et une longue file de Trabant et de Wartburg est arrivée de Pötenitz, un défilé ininterrompu de petites voitures sortant lentement de l'ombre, sous les applaudissements de gens venus de Lübeck et des alentours.
Des mains sortent des voitures, des mains que saisissent d'autres mains au bord du chemin. J'aurais voulu voir leurs visages, à ceux qui découvrent une haie d'honneur d'inconnus qui les applaudissent. J'aurais voulu voir leurs visages, leurs yeux étonnés, mais je n'ai vu que des mains, des forêts de mains ouvertes. J'ai pleuré devant la télévision.
(p. 186)
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INCIPIT
CASSIEL
Ils arrivent par petits groupes, silencieux. Comme des badauds, les poings dans les poches, mine de rien. De toutes les rues, ils affluent vers le poste-frontière de la Bornholmer Strasse, curieux et pourtant timides. Pendant le dîner, comme tous les soirs, ils ont regardé les nouvelles sur l’unique chaîne de télévision. La conférence de presse internationale après les réunions du Comité central est retransmise comme d’habitude dans l’émission Aktuelle Kamera. Sur l’écran apparaît, assis au podium, le porte-parole du Parti, cheveux gris, costume gris avec l’insigne rouge à la boutonnière. Il émane un ennui incommensurable de toute sa personne, comme s’il n’était pas sûr lui-même d’être là, accoudé à cette table nappée de gris, devant un micro et un parterre de journalistes réprimant des bâillements. Lui-même a l’air congestionné de celui qui lutte contre la contraction des muscles de la face et du diaphragme. Il sort enfin un papier de sa poche et semble découvrir ce qu’il lit. Aussitôt, un journaliste demande, à partir de quand?
L’homme gris hésite, les yeux sur son papier qui ne lui apporte pas de réponse. Il a le front luisant. Pourquoi ne lui a-t-on rien dit? Un fonctionnaire du Parti n’aime pas improviser. Tous les regards convergent vers lui. Les respirations sont suspendues. Vite, combler le silence pour éviter la catastrophe. Il prend alors un air dégagé et, parce qu’il ne peut quand même pas inventer un délai qui ne figure pas sur son bout de papier, il répond, comme une évidence, ab sofort, «dès maintenant». Et il ajoute, faussement assuré, unverzüglich, «sans délai». À ces mots, un tumulte de questions s’élève. Un morceau d’histoire est en train d’émerger de cette petite phrase qu’il s’étonne lui-même d’avoir prononcée. Il regarde un instant autour de lui. Il pense appartenir au petit cercle qui détient la vérité, à ceux qui peuvent faire le bonheur de tous. C’est si rassurant d’être dans le vrai, dans le sens de l’histoire, du bon côté, il ne faut surtout rien changer. Il connaît sur le bout des doigts son catéchisme et ne sait pas penser au-delà, ni autrement. Il ne peut pas concevoir ce qu’il vient de faire. Le bureaucrate vient de déclencher une révolution pacifique, il vient d’ouvrir le mur de Berlin et ne le sait pas encore.
Toute cette douceur que les hommes cachent au fond de leur cœur, toute cette douceur dont ils ont peur. Je suis entré un instant par la fenêtre chez les Brandt. Holger et Karin viennent de lâcher leurs fourchettes. Dès maintenant? Ils se regardent, incrédules. Qu’a-t-il dit? Sans délai? Tu l’as entendu, toi aussi? Ils se lèvent. Dans la chambre, les enfants sont endormis, les cartables au pied de leurs lits. Leurs souffles réguliers emplissent l’ombre mauve de tendresse. Je me penche sur eux pour leur insuffler de beaux rêves. Holger murmure: On y va? Il craint que Karin ne le traite de fou. Mais elle referme doucement la porte de la chambre et le regarde.
Ils prennent leurs manteaux et sortent. Cela ne prendra qu’un instant. Quel jour sommes-nous? Jeudi 9 novembre. Oui, il ne faudra pas trop tarder, la semaine n’est pas finie. Le poste-frontière de la Bornholmer Strasse est au coin de la rue. Ils veulent en avoir le cœur net. Comme des enfants ayant peur de commettre une bêtise, ils se donnent la main. La nuit est étrangement calme. Une brise légère fait chuchoter les feuilles jaunies des peupliers comme une caresse d’espoir. La bruine crée un halo flou autour des lampadaires.
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Les jeunes filles ont téléphoné à leur mère, qui a pleuré de joie en les entendant. Pendant un long moment, elles n’ont perçu que sa respiration saccadée, puis leurs
prénoms répétés comme une incantation. Cinq mois avaient passé depuis leur départ, trois semaines sans nouvelles de ses filles. Non, toujours pas de message d’Elias. Soupirs. La somme demandée était importante, mais la mère a promis de la trouver et d’effectuer le virement vers le compte bancaire serbe indiqué.
« Que Dieu vous protège, mes filles.»
« Qu’Il vous protège, toi et nos sœurs, nous te rappellerons dès que nous arriverons en Allemagne, mère. »
Après une semaine d’attente, le virement bancaire est arrivé. Elles feraient partie du prochain convoi.
Avec cinq autres Syriens, on les a conduites en voiture à Horgos, à la frontière nord de la Serbie. Une ancienne bergerie en rase campagne, où s’entassaient une centaine de personnes dans des conditions d’extrême précarité. Il faisait très chaud. L’eau manquait.
À partir de minuit, les passeurs les ont emmenés par petits groupes successifs, avec des consignes de silence absolu. Elles ont réussi à traverser la frontière à un endroit où le mur grillagé n’avait pas encore été érigé par la Hongrie.
Les voici dans une forêt près du village hongrois de Roszke. Ce qu’elles ignorent, c’est que le responsable du réseau, un Afghan basé à Budapest, devait encore trouver un chauffeur remplaçant, si possible docile et pas trop cher.
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Le mur existera encore dans cinquante et même cent ans, si les causes de son existence ne sont pas éliminées.
• Erich Honecker, 19 janvier 1989
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Quand la vie tourne comme une salle d'attente, quand les hommes finissent par se taire par dégoût du mensonge, lire est un refuge. En toute logique, l'imagination devrait être sous haute surveillance, et les livres de fiction, interdits. Après tout, lire des romans est improductif, c'est une perte de temps, qui procure une forme d'évasion de l'esprit nocif à l'endoctrinement. Et pourtant, le Parti n'a pas proscrit toute la littérature. C'est étrange, à bien y penser, que de laisser les citoyens s'étourdir de poésie, de drames et de comédies, de contes et légendes, de romans policiers et de science-fiction, de dystopies et d'uchronies. Et on s'échange les livres interdits sous le manteau. Toutes ces heures passées à oublier l'Etat des ouvriers et des paysans en lisant, toutes ces heures à s'évader par l'imagination. Dans nul autre pays au monde, on ne lit autant. p. 147
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La vie ici est si prévisible. Du berceau au cercueil, l'Etat veille à tout. Il offre à chacun une vision du monde toute prête, qu'il suffit d'apprendre par cœur et de réciter. L'homme n'est rien, la société est tout, et le Parti, au-dessus de tout. La mégalomanie des hommes est sans limite. Mais, derrière les grandes paroles agitées, ils découvriront bientôt, dans les caves de la Stasi, les montagnes de misérables fiches et, délire suprême, les milliers de fioles contenant l'odeur de chaque suspect, conservée à partir d'un sous-vêtement dérobé et destinée à des chiens dressés pour retrouver leur trace.
(p. 146-147)
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Mon appartement est sans doute rempli de 'Wanzen', ces micros semblables à des punaises, dissimulés dans les murs, les parquets, les plafonds, sous les plinthes. Je me sais écouté. De toutes les façons, ici, c'est la règle de trois : toute conversation à plus de trois personnes risque de terminer dans un rapport. Elle nous le demande si gentiment, la Stasi. Pas une semaine sans qu'un type me fasse comprendre mon intérêt à collaborer. Je joue à l'idiot. C'est comme un jeu, parce qu'ils savent très bien que j'ai compris. Cela participe du folklore d'ici.
(p. 18)
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Nuit de novembre éclairée à la lumière jaune sale des réverbères. Murs, grillages, barbelés, miradors. Décor de scène qui attend que la pièce démarre. Soldats et foule se font face.
Rien ne se produit, sauf la foule qui grossit. Et c'est cela l'événement, ces gens qui font nombre, simplement, sans beaucoup de mots.
C'est impressionnant, une foule silencieuse qui enfle, même pour des sentinelles armées. On se serre, on est au coude-à-coude. On se soutient, on se tient chaud. On a un peu moins peur. Ça sent la fraternité.
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L'homme soupire. La vie est si prévisible. Du berceau au cercueil, l'Etat veille à tout. Il offre à chacun une vision du monde toute prête, qu'il suffit d'apprendre par cœur et de réciter. L'homme n'est rien, la société est tout, et le Parti, au dessus de tout. p. 146
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De ma bouche d'ombre, je scrute le dehors, l'ailleurs, l'au-delà de l'univers gris qui est le mien. Un gris poisseux qui colle à toute chose. Gris des murs de mon quartier, gris de l'uniforme que je portais, gris des miradors, gris de la mer du Nord, gris éteignoir, gris de cendre, gris fumée, gris d'étoupe, gris de poix, gris de glu.
Je rêve éveillé. Le seul espace de pleine liberté est le rêve. Cette ville est peuplée de somnambules.
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Un morceau d'histoire est en train d'émerger de cette petite phrase qu'il s'étonne lui-même d'avoir prononcée… Il ne peut concevoir ce qu'il vient de faire. La bureaucratie vient de déclencher une révolution pacifique, il vient d'ouvrir le mur de Berlin et ne le sait pas encore.
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Je me suis réveillé, hagard. La nuit est tombée. Ma fièvre aussi. Je me lève et vais à la fenêtre, regarde les gouttes d'eau dessiner des paysages éphémères sur la vitre. Le lampadaire en face de mon appartement éclaire à contre-jour la pluie fine. Il bruine dehors, il bruine dans mon cœur.
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Depuis la crèche, ils ont appris à obéir et à se taire. Esprits asservis, parole empoisonnée. A vivre dans deux mondes parallèles, celui d'une société officiellement sans classes et celui d'une société duale, où les privilégiés du régime font leurs courses dans des boutiques réservées et tous les autres la queue devant les magasins presque vides.
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Il cite Brecht " Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu"
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Une forêt de mains levées. Pas de poings fermés sur la colère ou le mensonge. Finis les poings levés obligatoirement pendant quarante ans de défilés forcés. Ce sont des mains qui retournent en enfance, mains ouvertes, mains offertes, mains agiles, qui font signe, applaudissent, caressent, touchent d'autres mains, entourent l'épaule du voisin. Des mains qui s'élèvent pour attraper le vent de liberté soufflant cette nuit.
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C'est impressionnant, une foule silencieuse qui enfle, même pour des sentinelles armées. On se serre, on est au coude-à-coude. On se soutient, on se tient chaud. On a un peu moins peur. Ça sent la fraternité.
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« Voici une lecture qui m’a marquée, à ton âge, Alma, et qui me semble toujours être d’actualité : Zum ewigen Frieden, Vers la paix perpétuelle.
(…)
– Et tu te souviens peut-être, poursuit Helga, songeuse, que pour Kant l’établissement de la paix universelle présuppose la reconnaissance d’un droit à l’hospitalité pour toute personne dont la vie est en danger dans son propre pays. »
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