Cela aussi sera réinventé, c’est le drôle de titre d’un roman à paraître pour la rentrée prochaine chez Au Diable Vauvert.
Son auteur, Christophe Carpentier, n’en est pas à son coup d’essai — loin de là même — puisqu’il a déjà publié pas moins de sept ouvrages (!!) dont le remarqué diptyque du Mur de Planck aux éditions P.O.L.
Roman court mais dense, Cela aussi sera réinventé nous ressort la carte du post-apocalyptique mais imagine un angle d’attaque radical : celui de la philosophie reconstructrice… faites chauffer les neurones !
Sur les décombres de l’humanité
Cela aussi sera réinventé se découpe en trois parties.
Dans la première, le lecteur découvre un monde en ruines balayé par des catastrophes en tous genres, de la tempête de sable géante à la fuite nucléaire en passant par le tremblement de terre et le raz-de-marée, tout y passe ou presque. Pendant ce temps, l’humanité en déroute cherche une porte de sortie alors qu’elle semble succomber pour de bon à l’Accablement Climatique, une brutale prise de conscience de la responsabilité humaine dans la banqueroute écologique mondiale. Le maréchal de l’OTAN, Kleist von Greimstedt, croise la route d’une caravane de Nomades Decontextualisés, sorte de philosophie new-age à mi chemin entre anarchisme, écologie et communisme prônant un rejet de la sédentarité et de l’attachement au matériel (sous toutes ses formes) pour réinventer un monde plus libre et responsable mais qui semble terriblement froid. Parmi ces nomades, Dacia est à la fois une fervente tenante de cette pensée politico-socio-religieuse et le témoin privilégié d’un changement de paradigme complet pour les êtres humains survivants. Sa rencontre avec le maréchal permet une sorte de passation de pouvoir entre le vieux monde et le nouveau.
Et si l’on pense un temps que Christophe Carpentier va se borner à nous montrer une apocalypse par le prisme d’un catalogue de catastrophes écologiques, le français change totalement d’approche dès la seconde partie avec un long flash-back sur la naissance du mouvement de la Décontextualisation Nomade. En retraçant la pensée de sa fondatrice, Claire Kraft, et de ses premiers disciples, France Stein et Tobias Jetzitzak, l’auteur s’intéresse à la naissance d’une philosophie et sa mutation en idée politique et sociale. Ce cheminement complexe occupe la majeure partie du roman avant de se projeter dans le futur pour un petit tour d’horizon en compagnie de Julien et François, couple de Nomades Décontextualisés à l’heure du triomphe de la nouvelle société responsable libérée des attaches humaines de jadis.
Ainsi, difficile de faire plus original que Christophe Carpentier pour vivre la fin du monde puisque celui-ci met de côté l’aspect destruction au profit de la pensée nouvelle et d’un après pour le moins étonnant.
Sans contexte, pas de texte ?
Comme on l’a dit plus haut, bien davantage qu’un roman post-apocalyptique de plus, Cela aussi sera réinventé se veut un voyage philosophique vers un avenir autre où les hommes auraient enfin trouvé un moyen d’exister plus respectueux pour la planète et pour son prochain. Dès sa première partie, l’histoire fait la part belle aux échanges sur divers aspects de la vie en société et sur la nécessité fondamentale de prendre en compte le contexte lorsque l’on en vient aux notions de bien et de mal, de responsabilités et de vie collective. Christophe Carpentier se fait clairement plaisir et disserte en long, en large et en travers sur cette nouvelle philosophie de décontextualisation qui doit permettre à l’humain d’en finir avec toute forme de radicalité et/ou de violence.
Il applique cette doctrine à tous les champs possibles, du droit à l’engagement militant en passant par la nature, la sexualité, le genre ou encore l’énergie.
Malin, le français envisage surtout en sous-main les problèmes de cette nouvelle façon de penser qui comporte aussi sa part d’ombre (et de dérives, qui sont illustrées dans la dernière partie).
Pour intéressant et foisonnant qu’elle est, la pensée de l’auteur nous est cependant servie sous une forme très académique, en empruntant un ton professoral et théorique qui baigne (très) souvent dans un style aussi lourd que pompeux. En soi, ce genre de choses ne seraient pas dérangeantes dans un essai mais, puisqu’il s’agit ici d’un roman, la sauce ne prend pas.
Pire, en abusant de cette décontextualisation narrative (pour que se rejoigne le fond et la forme), Christophe Carpentier saborde ses personnages qui n’ont aucune chaleur humaine. Le lecteur se retrouve face à une sorte de démonstration magistrale historico-philosophique tendance universitaire qui laisse perplexe sur sa capacité à passionner le lecteur sur la longueur.
Évidemment, cette froideur calculée sert très bien le propos du livre et donne l’impression que l’auteur applique ses propres règles fictives à son récit… mais a-t-on vraiment envie de lire une apocalypse décontextualisée aux personnages glacés et aux enjeux dramatiques finalement inexistants ?
Pas sûr…
Curieux ouvrage que celui de Christophe Carpentier. Coincé entre son côté philosophique hardcore et son style froid et pompeux, Cela aussi sera réinventé parvient pourtant à offrir une vision convaincante et inédite de l’après. Évitant l’écueil du fatalisme et s’efforçant de trouver d’autres chemins pour le futur, l’histoire hésite entre apocalypse, dystopie et essai politique.
L’échec ou la réussite de l’entreprise dépendra de l’état d’esprit du lecteur…et du contexte de la lecture !
Lien :
https://justaword.fr/cela-au..