À partir du dernier tiers du XIXe siècle, certains protecteurs des animaux se scandalisent désormais de la souffrance des bêtes au point d'ailleurs que cette dernière semble alimenter leur révolte contre les abus de la puissance. […] Bêtes domestiques et ouvriers sont pareillement exploités par ceux-là mêmes qui se piquent d'afficher à leur endroit un paternalisme compassionnel et protecteur. Par là même, militer en faveur d'un ordre social plus juste – purgé des dominations multiformes dont abusent les puissants – implique d'intégrer les animaux au rang des faibles, des soumis, des dociles, pour qui la révolte contre les forts mérite d'être menée. (p. 144-147)
Le registre de l'attendrissement draine un nombre croissant d'affiliés privilégiant un type d'action si coûteux qu'il condamne les organisations militantes à se préoccuper de trouver toujours plus d'adhérents et de donateurs. Ainsi, au tout début du XXe siècle, et à rebours du critère sélectif de la notabilité valorisé autrefois, la direction de la SPA érige le recrutement de nouveaux soutiens (financiers) en critère d'excellence de l'activisme en faveur de la cause […]. (p. 132)
Le scandale auquel les militants entendent remédier n'est pas encore la souffrance de l'animal, mais bel et bien la cruauté dont font preuve ceux qui, après s'être exercés sur les bêtes, menacent de se tourner vers les hommes. Si les couches supérieures de l'establishment britannique sont convaincues de la nécessité d'œuvrer au plus vite, c'est bien parce qu'elles craignent que les classes laborieuses, après s'être accoutumées au sang des bêtes, puissent menacer un bon ordre social exempt de violence. (p. 40)
L'engagement en faveur des animaux présente un panel de modes d'action très contrastés que les militants de la cause combinent ou excluent très diversement : prodiguer caresses et croquettes ; rédiger des manifestes ou des traités de philosophie morale ; distribuer des tracts ; réaliser des documentaires spectaculaires ou, au contraire, des expertises affichant l'objectivité de la science sur le sort de certaines espèces sauvages, sur les bêtes de boucherie ou de laboratoire ; faire signer des pétitions ; manifester sa désapprobation devant des arènes, des cirques, des laboratoires, ou bien encore des grandes chaînes de restauration accusées de recourir à l'élevage en batterie ; exiger des pouvoirs publics des réglementations protectrices ; organiser des opérations commando visant à délivrer des cobayes de l'industrie pharmaceutique ou des visons destinés aux fourreurs. (p. 2)
Alors qu'il s'agissait autrefois de bannir les scènes de violence de l'espace public, il est question désormais de traquer, de débusquer et de divulguer les cruautés occultes qui se déploient à l'abri du regard de l'opinion. (p. 159)
Aux craintes et à la répugnance suscitées par la violence exercée sur les animaux […] se sont progressivement ajoutées ces émotions de type compassionnel qui résultent de l'aptitude à saisir par empathie la souffrance d'autrui. Autant dire que le développement de la compassion démocratique peut difficilement être dissocié d'un processus de réduction de l'altérité. Par là, il faut entendre qu'autrui – plus particulièrement l'animal –, loin d'être reconnu dans son irréductible différence, est confondu avec soi […]. Par là même, la protection animale apparaît de plus en plus souvent en rapport d'affinité avec cet anthropomorphisme qui prête aux animaux les mêmes sentiments que ceux éprouvés par les hommes. (p. 105)
Les premières sociétés consacrées à la protection animale se distinguent par la respectabilité et le prestige des membres qui les rejoignent après avoir payé une cotisation dont le montant élevé exclut les moins fortunés. (p. 13)